Un moment de la rencontre

« Une amitié inimaginable » : parler d’entreprise et gratuité au cœur de Paris

Pourquoi parler d’une amitié inimaginable en lien avec le travail ? Que de liens insoupçonnables entre la recherche du luxe et la recherche du bonheur, entre la performance de marché et le besoin de relations humaines dans l’entreprise
Paolo Silvano

Le 20 Janvier dernier, une centaine de personnes, venant de plusieurs villes de France (et même de l’étranger), se sont retrouvées à l’Auditorium de l’Espace Bernanos, tout près de la Gare Saint Lazare, pour participer à une rencontre – témoignage sur le thèm : « Une amitié inimaginable – Une autre manière de vivre l’entreprise ». Pendant l’assemblée, Francesco Romboli, Directeur Financier de LVMH Italia, Erasmo Figini, fondateur de l’association Cometa, et Federica Saibene, qui travaille dans le « Work Café » au siège de LVMH à Milan, ont apporté leur témoignage sur une expérience extraordinaire qui conjugue entreprise et gratuité, recherche de la performance et inclusion.



Flash back sur la genèse de cette proposition inhabituelle:
En août dernier, Giampaolo, patron d’une importante filiale d’un des plus grands groupes industriels français, qui a passé quelques années à Paris et vit et travaille maintenant en Bourgogne, participe en tant que bénévole au Meeting de Rimini au mois d’août de l’année dernière. Entre une exposition et une conférence, il y rencontre Francesco Romboli, qu’il connaissait de longue date mais qu’il avait un peu perdu de vue (ainsi va la vie des grands managers…).
Francesco lui raconte avec enthousiasme qu’il a eu la possibilité de proposer à son patron la création d’un espace travail-détente-cafétéria, un outil de plus en plus utilisé pour motiver les salariés des grandes entreprises à préférer le présentiel au télétravail. Il en a confié la gestion à Cometa, une association née il y a plus de 30 ans d’un groupe de familles du Mouvement de Communion et Libération, et qui au fil du temps a développé plusieurs initiatives d’accueil d’enfants malades ou handicapés, de formation professionnelle, de soutien aux jeunes et aux familles en difficulté, d’insertion professionnelle de jeunes avec des handicaps ou des problèmes.
Ce nouvel espace de rencontre, de travail et de détente au sein du siège de cette importante entreprise, baptisé « Work Café », existe désormais depuis quelques mois à Milan et représente une opportunité d’insertion professionnelle pour de jeunes porteurs de handicap. En même temps, l’initiative permet aux salariés de se rencontrer dans un environnement qui favorise un regard différent sur l’humanité de chacun.
Le petit groupe de jeunes professionnels qui se retrouvent périodiquement à Paris pour échanger sur leurs problèmes et expériences de travail décide donc d’organiser une rencontre avec Francesco, à Paris, pour qu’il raconte cette expérience et ce qu’elle a généré.

De la discussion avec les responsables du Mouvement en France surgit alors l’idée de proposer une rencontre ouverte à tous, et d’inviter aussi Erasmo Figini, l’un des fondateurs de Cometa, qui vient régulièrement à Paris pour son travail d’architecte d’intérieur. Et puis, pour témoigner de l’expérience du Work Café, Francesco suggère d’inviter Federica, qui y travaille depuis quelques mois, et Daniela, sa maman, qui l’accompagne partout pour permettre ses déplacements.
Murielle, avec sa créativité habituelle, arrive à trouver un très bel espace au cœur de Paris, l’Espace Bernanos. La rencontre a lieu dans son Auditorium très moderne. Une salle adjacente est ensuite mise à notre disposition pour un pot d’amitié qui prolonge les échanges de manière informelle. Enfin, Roberta réalise l’affiche d’invitation, distribuée de la main à la main et diffusée sur les réseaux sociaux.

Flyer d'invitation à la rencontre

Ainsi, après quelques semaines de préparation, le 20 Janvier après-midi, environ une centaine de personnes sont arrivées à l’Espace Bernanos pour écouter les interventions de Francesco, Erasmo, Federica et Daniela, qui, réunis sur l’estrade, répondaient aux questions de Murielle, l’animatrice de la rencontre. Giampaolo, comme il se doit, a introduit la rencontre : « Pourquoi parler d’une amitié inimaginable en lien avec le travail ? À l'origine de ce titre, ‘Une amitié inimaginable’, se trouve une réflexion du Pape François qui parle de « l'amitié sociale qui construit la coexistence contre l'individualisme et le ‘chacun pour soi’ . Nous croyons qu’une telle amitié peut faire surgir des œuvres et des initiatives sociales et culturelles utiles au monde. Alors pourquoi ne pas proposer une amitié sociale aussi dans les entreprises, qui peuvent construire des expériences humaines de partage, et des exemples inspirants. »
Erasmo a ensuite raconté la genèse de Cometa, en projetant aussi une brève vidéo qui montre une journée chez Cometa dans tous ses différents aspects. L’expérience d’une douleur personnelle a été le moteur qui l’a fait s’ ouvrir à de nouvelles possibilités. Mais si la rencontre avec le Seigneur est un miracle, le miracle ne suffit pas, il faut un lieu – a souligné Erasmo – dans lequel la vie se développe et chacun se mette en marche, individuellement et en communauté, vers son bonheur et son destin.

Francesco a raconté la naissance de son amitié avec Erasmo. Cette amitié est devenue une sorte de canal « institutionnel » entre cette importante entreprise, ses plus hauts dirigeants et Cometa, tous deux à la poursuite de l’excellence et de la beauté. Que de liens insoupçonnables entre la recherche du luxe et la recherche du bonheur, entre la performance de marché et le besoin de relations humaines dans l’entreprise ! Il a décrit comment ses chefs, l’un après l’autre, ont été fascinés par Cometa et ses responsables, découvrant un désir de participer à cette œuvre non pas pour « cocher la case RSE (responsabilité sociétale des entreprises) » mais pour saisir une possibilité de bien pour eux-mêmes.
L’intervention de Federica a été un moment de grande émotion : cette jeune femme de vingt-cinq ans, malvoyante et avec des difficultés de déambulation, a surpris tout le monde par son sourire merveilleux, en témoignant de la beauté de son travail, et de sa joie intérieure : « Cette expérience a changé ma vie – a-t-elle affirmé - car j’ai rencontré des personnes qui me veulent du bien et m’accompagnent dans le chemin de ma vie, en m’apprenant un tas de choses. Ma tâche est de servir le café et aussi de mettre en place les serviettes et lustrer les couverts ; en somme, tout ce qui se fait dans un bar, mais ici il y a quelque chose de différent. Dans le rapport avec mon chef et mes collègues, mais aussi avec ceux qui fréquentent le Work Café, on discute, on rigole, on est bien ensemble, et comme dans une grande famille, je me sens aimée.
Grâce à eux, j’ai compris que moi aussi je peux faire quelque chose pour les autres. Et ça c’est super beau, et très important pour moi, car d’habitude ce sont toujours les autres qui m’aident, parce-que je vois mal et je marche avec difficulté. » Elle a poursuivi : « Je peux enfin regarder la réalité en face avec dignité. Chaque matin je me réveille avec la joie dans le cœur en pensant non pas d’aller travailler, mais d’aller voir mes amis pour leur préparer le café, et je laisse ma montre chez moi : ainsi, ce sera mon chef, Luciano, qui devra m’avertir que, malheureusement, la journée est terminée. Cette magnifique expérience m’éduque, jour après jour, me faisant grandir en tant que personne et donne un sens à ma vie : c’est véritablement une Grâce »

Federica et sa maman Daniela

Federica, plus que quiconque, a témoigné de la positivité de la vie, l’attention à l’essentiel, sur un bien qui rend négligeable la fatigue, la difficulté, les obstacles. Mais les intervenants aussi ont montré comment un regard passionné pour le bien et pour l’humain peut permettre de vaincre beaucoup d’obstacles et faire vivre une expérience inimaginable. Beaucoup de questions dans la salle ont animé la discussion et ont donné l’occasion à Erasmo et à Francesco de raconter d’autres épisodes et d’autres réflexions sur leur propre expérience. Murielle a conclu la rencontre de la manière la plus juste, en lisant un passage de Péguy (tiré de : « L’argent », 1913), qui après plus d’un siècle conserve une pertinence extraordinaire et a résumé de manière surprenante le contenu des interventions écoutées : « Il y avait un honneur incroyable du travail. Tous les honneurs convergeaient en cet honneur : une décence, une finesse de langage, un respect du foyer. Un sens du respect, de tous les respects. D’ailleurs le foyer se confondait très souvent avec l’atelier, et l’honneur du foyer et celui de l’atelier, c’était le même honneur. Tout était une élévation intérieure, et une prière. […] Nous avons connu des ouvriers qui avaient envie de travailler. Ils se levaient le matin (et à quelle heure !) et ils chantaient à l’idée qu’ils partaient travailler. Travailler était leur joie même, la racine profonde de leur être. »
Une inspiration pour nous, hommes et femmes, travailleurs du XXI siècle, en quête du sens de notre travail et de notre vie.