(Photo Unsplash/Vanessa Werder)

« Les portes de la prison s’ouvrent et Jésus entre »

La fidélité et l’attention à tous les détails des circonstances pour reconnaitre le mystère de la présence Dieu la où nous ne l’attendons pas. Expérience d’une caritative à la prison de Fleury Mérogis

Ce dimanche seulement Paolo et moi pouvons aller à Fleury, il est rarissime que nous ne soyons que deux, je suis très contente d’aller à la prison avec Paolo qui me conduit en voiture, grâce à lui je peux continuer de participer au groupe de la caritative. Paolo vient me chercher à 7.45. Nous disons l’Angelus puis je lis dans livret sur l’Action Caritative, le passage sur les directives : la fidélité, agir pour comprendre et l’ordre. Je vérifie à quel point ces relectures sont importantes parce qu’elles parlent à chaque fois au moment présent.
Nous échangeons ensuite des nouvelles sur tout ce qui s’est passé depuis les exercices. Sur le parking nous retrouvons Erwan, notre responsable de l’aumônerie, le père Guilhem, jésuite accompagné par Ulyces jeune mexicain en formation jésuite au centre Sèvres, ordonné diacre la veille avec 16 autres novices jésuites à l’église Saint Sulpice.

L’entrée dans la prison est toujours une lente affaire d’autorisations à présenter pour que les portes s’ouvrent et se referment. Nous arrivons au troisième étage où cette salle un peu en pente, avec des bancs scellés et une estrade devient notre chapelle : rapidement chacun s’active pour installer l’autel, les nappes, la tenture derrière l’autel et la croix haute de plus de cinquante centimètres, faite avec des allumettes collées par un ancien détenu. Paolo installe la sono, il s’assied avec Hugues un détenu qui joue très bien de la guitare et va devoir improviser l’accompagnement des chants et les entonner avec Erwan et Paolo. Très vite les détenus arrivent par petits groupes. Ils sont une soixantaine. Ils ne se retrouvent ensemble des trois étages du D2 qu’à cette occasion. Ils saluent chacun, ils prennent les feuilles des chants et des textes (des traductions en 9 langues des passages de la liturgie sont disposées sur le premier banc, beaucoup des détenus sont étrangers). Six des détenus vont avec le père Guilhem et Ulices au fond de la salle, ils viennent en procession en portant de gros cierges, le cierge pascal et l’icône qu’ils dressent devant l’autel. Tout se calme, le silence se fait. La célébration commence.

Je suis chaque fois saisie par ces messes. Il y a ici tellement de souffrance rassemblée, souffrance d’enfermement, de cohabitation, d’injustice, de culpabilité, de déracinement, d’arbitraire, d’incompréhension, de rupture avec la famille, d’attente interminable… Le paradoxe ici c’est que l’expression de la joie vient avec une intensité égale à ces souffrances.
Cette densité de la souffrance est aussi la densité de la joie qui transporte les chants, la profondeur des intentions de prière partagées et offertes sur l’autel. Je ressens ici une assemblée toute entière qui célèbre et qui est unie dans tous les gestes de la demande et de l’action de grâce.
Le père Guilhem distribue le texte de son homélie en anglais et en espagnol. Il nous parle du bon pasteur, celui qui protège ses brebis du danger et de la peur de la dévoration du loup. Comment les protège-t-il ? Par sa voix : il connait chacune et elles le connaissent, entendre sa voix, l’écouter, la suivre, car elle parle plus fort au fond de nous que les voix du désespoir, de la colère, de la haine, de la vengeance. Écouter sa voix nous sauve.
Au moment de la communion nous nous mettons tous en cercle autour de la salle, Guilhem et Ulyces distribuent la communion que nous faisons ensemble.
Chants de communion, chants d’envoi vibrants comme j’imagine en Afrique ! Nous avons à la fin de la messe presque une demie heure pour bavarder avec les détenus et ranger la salle.

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Je pensais en venant demander au détenu avec qui je pourrais parler comment il vivait une journée, comme Soljenitsyne écrivain russe raconte pour Une journée d’Ivan Denissovitch et rien ne s’est passé ainsi ! Turenne assis à coté de moi m’a répondu qu’il était différent, de fil en aiguille j’ai appris que sept d’entre eux « n’étaient pas en prison mais au monastère », qu’ils priaient ensemble pendant la promenade et cherchaient à faire tout le bien qu’ils pouvaient. Leur sourire et leur paix étaient étonnants. Paolo lui a parlé avec un jeune albanais ici depuis dix sept mois qui a une petite fille qu’il ne connait toujours pas. Quand nous nous retrouvons sur le parking avant de repartir il est évident que chacun est heureux d’être venu.

Je suis là, c’est totalement inattendu, improbable. Je viens à l’aumônerie de la prison depuis des années grâce à la proposition du mouvement d’apprendre par ce geste la gratuité du partage. Aucun autre chemin ne m’aurait fait arriver ici et vivre ce que je viens de vivre de la communion de l’Église.
Marie Michèle, Paris