Le père Aliaksei Ason

Biélorussie. Le discernement d’Aliaksei

Il est né dans un village aux églises fermées. Sa petite amie lui demande un jour : Pourquoi es-tu si content quand tu vas à l’église ? Question qui prend de plus en plus de place dans sa vie. Enfin, au séminaire, il rencontre les étudiants du CLU
Luca Fiore

« Jamais je n’aurais imaginé que venir à Plaisance pour y faire mon séminaire, m’aurait permis de rencontrer Communion et Libération et de découvrir autant d’amis ». L’histoire du Père Aliaksei Ason, à ce jour curé de Nowy Pahost et de Baradzenicky, dans la région de Vitebsk au nord-ouest de la Biélorussie, a beaucoup d’aspects surprenants. Quand il retrace le parcours qui l’a mené jusqu’à son ordination sacerdotale le 16 juillet 2011, on peut comprendre ce qu’est le discernement vocationnel, à l’ordre du jour du Synode qui se déroule actuellement à Rome. Comme la vocation n’est pas une simple décision à prendre, mais constitue la fibre de la vie d’un chrétien, l’histoire du Père Aliaksei mérite d’être racontée depuis le début.

« Je suis né dans un petit village du nom de Karaby », raconte le Père Aliaskei. « Nous étions encore sous le régime soviétique et mes parents – mon père orthodoxe et ma mère catholique – n’avaient pas d’église où me faire baptiser. Pour eux, c’était important et j’ai finalement été baptisé selon le rite orthodoxe. Ma grand-mère m’a ensuite éduqué dans la foi catholique. » Enfant, il fréquente la paroisse catholique qui a rouvert ses portes à la chute du régime communiste. A quinze ans, il part étudier à l’Institut technique de Vitebsk et loge dans un pensionnat. A ce moment, il n’y a qu’une seule église dans tout Vitebsk et, pour la rejoindre, Aliaksei doit traverser toute la ville. Il cesse donc d’aller à la messe pendant une année. « Quand je rentrais chez mes parents et que je me rendais dans la paroisse du village, je me rendais compte qu’il me manquait quelque chose ».

L'église de Nowy Pahost

A dix-sept ans, il commence à sortir avec une fille de Vitebsk. Un jour qu’il se rend chez elle, il voit un prêtre en soutane pénétrer dans un vieux centre sportif inachevé. Aliaskei le suit et découvre qu’une nouvelle paroisse vient d’ouvrir ses portes à cinq minutes de chez lui. Il recommence donc à participer à la messe dominicale et aux rencontres de la dizaine de jeunes de la communauté, avec qui il se lie d’amitié. Il se sent bien avec eux. Il perçoit toutefois une certaine nervosité chez sa petite amie. Un jour, elle lui demande : « Pourquoi es-tu plus content quand tu parles de ce que tu fais à l’église, que lorsque tu es avec moi ? » Aliaskei se souvient : « Je ne m’en étais pas rendu compte : c’est elle qui me l’a fait remarquer. A partir de là, j’ai commencé à y prêter plus d’attention. Je me suis alors aperçu que ma relation avec elle n’était pas fondamentale pour moi. »

Une question a commencé à l’obséder : qu’est-ce que Dieu veut de moi ? « Je n’étais plus tranquille comme avant. J’ai alors demandé de l’aide à un prêtre et je me suis mis à prier beaucoup plus. »
Aliaskei raconte que, au cours des semaines suivantes, il a participé à des moments d’adoration eucharistique, avec le groupe liturgique de la paroisse. On avait coutume de lire les prières des fidèles. « Les intentions étaient inscrites sur des feuillets et distribuées. Je préférais que ce soient les autres qui lisent mais, cette fois-là, ce fut mon tour. C’était une prière pour les vocations sacerdotales. Simple coïncidence, pensais-je. Pendant la semaine, la coïncidence se répéta au moins deux fois : toujours des prières pour les vocations. » Il aurait pu ne pas y prêter attention, mais ce ne fut pas le cas. « Une autre fois encore, j’avais préparé un gâteau pour l’anniversaire de ma petite amie. Je le lui apportais lorsque, devant l’église, j’ai trébuché et le gâteau est tombé... Ce sont des petits riens mais, quand tu as une question ouverte, tout finit par te parler. » Au bout d’un moment, la jeune fille cherche à clarifier leur situation. « C’est elle qui m’a dit que je devrais devenir prêtre. Elle me l’a dit sans cynisme, elle avait vraiment vu quelque chose en moi. »

Avec les amis de Plaisance, le jour de son ordination sacerdotale

Son professeur de Théologie fondamentale lui enseignera par la suite que « le Christ s’impose », c’est-à-dire qu’Il nous montre de manière évidente qu’Il peut nous rendre heureux. « C’est ce qui m’est arrivé durant ces mois. Quand j’ai décidé d’entrer au séminaire, ce fut comme si tout avait retrouvé sa place. J’avais enfin l’esprit tranquille. » Comme il n’y a pas de séminaire dans le diocèse de Vitebsk, l’évêque envoie Aliaskei étudier au collège Alberoni à Piacenza. « Les deux premières années se sont écoulées normalement mais, à la fin de la troisième année, je me suis aperçu que tout avait perdu son sens. C’était un sentiment indéfini, vague. J’ai passé mon été en Biélorussie, assailli de doutes. Je travaillais avec des jeunes et il y avait une fille qui me témoignait de l’intérêt. Je lui ai dit : “Pour maintenant, je rentre en Italie. Si je vois que ce n’est pas ma voie, je reviendrai ici et on verra...” ».

Un jour, après le repas, un séminariste lui raconte qu’il a participé à une École de communauté de Communion et Libération, à l’Université catholique de Plaisance, juste de l’autre côté de la rue. « Il en parlait de manière très critique. Je ne savais pas de quoi il s’agissait. Mais cela a piqué ma curiosité que des jeunes de mon âge se retrouvent à midi pour parler du Christ. »

Aliaskei se renseigne et se rend à une de ces rencontres. Le groupe travaille sur les textes de Peut-on vivre ainsi ? (Luigi Giussani, 1994). « C’était une période où j’étais très apathique, mais la lecture de ces pages m’a rappelé ce que j’avais vécu des années auparavant, ce qui m’avait convaincu d’entrer au séminaire. Mon expérience était décrite dans ces pages. Je ne m’y attendais pas. »

Les discussions polémiques sur des aspects théologiques ne manquent pas, mais la curiosité prend le dessus. A tel point qu’au bout de deux semaines, Aliaskei accompagne les étudiants du CLU au soutien scolaire qu’ils offrent comme acte de la Caritative. « J’ai entrepris ce chemin sans me poser trop de questions : j’étais intéressé par le livre, l’expérience de la Caritative, le fonds commun et par le fait qu’avec eux, on puisse parler librement de la vie. »

Après quelques mois, Aliaskei rentre en Biélorussie pour les vacances de Noël, l’esprit complètement libéré des préoccupations de l’été précédent. Il a commencé à suivre de manière assidue la vie du CLU et il raconte comment sa vocation a refleuri. Alors que, depuis environ deux ans, il vit des relations très intenses avec ses nouveaux amis, son père meurt. Aliaskei se rend compte qu’il éprouve une profonde sérénité devant cette grande douleur. « Il m’est alors apparu clairement que le Seigneur me tenait près de Lui, à travers le Mouvement et la méthode que j’avais commencé à suivre. »

La prière dans un village

Aujourd’hui, le Père Aliaskei Ason a 31 ans ; il mène une vie de curé de campagne. Les deux communautés dont il a la charge, Nowy Pahorst et Baradzenicky, respectivement de 1200 et 700 fidèles, sont éloignées de 27 km l’une de l’autre : la voiture est indispensable. Quatre messes sont au programme chaque dimanche. En vue de la Toussaint, la bénédiction des 43 cimetières commence dès la fin septembre. Les paroissiens sont surtout des adultes et des personnes âgées : les jeunes partent étudier en ville. Le Père Aliaskei essaie de rendre visite trois ou quatre fois par an aux 120 personnes qui attendent qu’on leur apporte les sacrements à domicile. « On risque de tout vivre de manière mécanique, de tout réduire au rapport prêtre-fidèles. Les rappels continus du Mouvement me font cependant parier sur le fait que l’on peut instaurer un rapport humain avec chacun : cela fait partie de la tâche qui m’a été confiée. Aujourd’hui que les amis du CLU ne sont plus avec moi toute la journée, la méthode de don Giussani m’aide à vivre quotidiennement la familiarité avec le Christ. Elle m’aide à être plus attentif ».

avec un couple de jeunes mariés

Le Père Aliaskei a été responsable de la pastorale pour les jeunes du diocèse de Vitebsk pendant deux ans. Leurs questions sur la vocation ne manquaient pas. « Ils me demandaient de l’aide pour comprendre ce que Dieu attendait d’eux. En repensant à ce qui m’était arrivé, je leur disais que le signe d’une vocation à la virginité doit venir de l’extérieur, à travers quelqu’un d’autre. Sinon, on court le risque que ce soit le fruit d’un projet personnel. Mais, lorsqu’il y a un signe extérieur à soi, cela vaut la peine de vérifier. C’est la même chose pour la vocation au mariage mais, dans ce cas, c’est plus simple parce que le premier signe est la liberté de l’autre : que quelqu’un partage notre amour est un fait étranger à soi. Pour la vie religieuse, il faut que quelque chose vienne à ta rencontre, quelque chose qui te secoue. Le second signe est la paix qui découle de la disponibilité à l’appel du Christ. Si tu vis une ouverture vers ce que t’offre la vie, cela vaut la peine d’approfondir ce chemin ».

Le Père Aliaskei repense à ces années passées en Biélorussie après l’expérience du CLU et sourit : « C’est impossible de se défaire d’une amitié. Le Christ nous a mis ensemble et il nous garde en contact. Cela n’interfère pas avec les belles amitiés que j’ai ici. La vie du Mouvement fait partie de moi. Elle m’aide dans ma vie de chrétien. Quand on est en accord avec Dieu, on voit le bien qu’il y a dans le prochain. Le monde devient plus clair. C’est à peine un sentiment ou une émotion, c’est une nouvelle manière de connaître, parce que l’on est rendu plus attentif à ce qui se passe chaque jour. »