« J’apporte seulement ma vie »

Des Memores Domini enseignent dans la nouvelle école orthodoxe de Kemerovo, en Sibérie. Une histoire d’amitié et d’estime dans laquelle Dieu œuvre au-delà de tout projet humain
Paola Bergamini

Au début, cela semblait impensable : des Memores Domini qui enseignent dans la nouvelle école orthodoxe de Kemerovo, en Sibérie, dans un pays où soixante-dix ans de communisme ont engendré la désagrégation de la personne dans la tentative de détruire le sentiment religieux. Mais Dieu ne laisse jamais l’homme seul. Et c’est là une histoire d’amitié et d’estime dans laquelle Dieu œuvre au-delà de tout projet humain. La même dynamique que nous verrons dans les rencontres du Meeting de Rimini. Le simple témoignage d’une compagnie fidèle qui ne nous abandonne jamais.

SEULEMENT MA VIE. En 2009, le métropolite Aristarch charge son collaborateur, le père Sergej, de mettre sur pied une école orthodoxe : pour reconstruire la société, il faut partir de l’éducation. Le père Sergej ne sait pas par où commencer. Deux amis catholiques, le père Ubaldo et le père Giampiero, des prêtres de la Fraternité Saint Charles [Association de prêtres missionnaires de CL, ndt] qu’il a connus à Novosibirsk, lui disent d’aller voir La Traccia, une école gérée par des amis du mouvement dans la région de Bergame. Il n’hésite pas un seul instant et se rend en Italie où il est frappé par l’expérience éducative qu’il voit. Un rapport d’estime et de soutien commence à naître avec Franco Nembrini, proviseur de La Traccia, qui s’envole plusieurs fois pour Kemerovo, où l’école a ouvert ses portes en septembre 2009. Mais cela n’est pas suffisant. Il faudrait une présence stable qui puisse collaborer à l’œuvre éducative. Le père Sergej en parle avec le métropolite qui, lui faisant confiance, écrit au père Carrón. C’est le commencement.
Maria Rosa, après seize années passées à enseigner à l’université de Novosibirsk, était rentrée en Italie en 2007. À 53 ans, elle pensait en avoir fini avec la Russie. Mais à la retraite des Memores Domini de 2011, elle accepte la proposition qui lui est faite d’aller travailler à Kemerovo. Béatrice, qui a enseigné l’italien à l’Université de Pédagogie de Novosibirsk jusqu’en mai de cette année-là, accepte aussi de partir avec elle. En septembre, elles se retrouvent catapultées dans ce coin de la Sibérie pour enseigner l’italien à des jeunes de 6 à 17 ans qui ont souvent des situations familiales désastreuses. Béatrice raconte : « Pour moi, une chose est claire : je suis là pour servir ce lieu. Catholique dans un milieu orthodoxe, j’apporte seulement ma vie, le regard avec lequel j’ai été regardée ». Maria Rosa continue : « Pour moi, l’essentiel est de servir, à travers notre travail, un dessein plus grand que nous ».
En 2012, le père Sergej fait part de son besoin de trouver un professeur d’anglais. Francesca, une Milanaise qui vient d’avoir sa licence en langues à l’Université Catholique, est volontaire pour partir. Elle se souvient : « C’était une opportunité intéressante, un beau défi ». Elle s’installe avec une collègue française dans un appartement situé pas très loin de la maison des Memores qui vient d’ouvrir. La première année n’est pas simple pour elle. « Personne ne m’avait obligé à venir et je me demandais ce que je faisais là. Comment pouvais-je aider l’école à comprendre sa vocation éducative ? Des questions inutiles… » Mais l’Archevêque, lors de la fête qui marque le début de l’année scolaire, lui remet, ainsi qu’à Béatrice et à Maria Rosa, un parchemin. Francesca lit le sien : « Moi, Métropolite, je donne cette reconnaissance à Francesca pour ses douloureux efforts au service de la Sainte Église ». À partir de ce moment-là, tout change. « C’est comme si Jésus m’avait dit : “Moi, je suis content que tu sois là, et tu y es parce que c’est Moi qui t’y ai mise, même si tu as l’impression de ne rien faire”. Ce fut un cadeau. Je suis là pour approfondir mon rapport avec le Christ, voilà ce qui aide l’école ».

APRES UN VOYAGE. En 2013, un nouveau membre rejoint le groupe : Ekaterina, de la maison de Moscou. « Après avoir accompagné Nembrini lors d’un voyage à Kemerovo, j’avais donné ma disponibilité. Mais comme j’étais dans une situation un peu spéciale – orthodoxe et membre des Memores Domini – j’ai demandé son avis au métropolite Aristarch. Il m’a répondu qu’il n’y avait aucun problème et qu’il était heureux de ma venue. » Tout de suite, les jeunes remarquent un accent différent et se mettent à poser des questions. Pendant trois semaines une élève a demandé à Ekaterina : « Mais toi, est-ce que tu es heureuse ? » Maria Rosa a lu, en la traduisant avec ses élèves, « Avant le voyage », une poésie de Montale. Ils se sont arrêtés sur le vers : « Un imprévu est la seule espérance ». « Madame, où se trouve l’espérance quand on a fait des erreurs dans la vie ? » Un accent qu’ils perçoivent dans le rapport entre le père Sergej et les quatre enseignantes. « Ce qui éduque les jeunes, c’est de voir l’unité qui existe entre vous et moi. Cela les aide à grandir », répète le prêtre orthodoxe. « C’est pourquoi – explique Ekaterina – bien qu’il ne soit pas toujours à l’école, je lui demande de venir dans ma classe chaque fois qu’il y a une question importante avec les jeunes ». C’est une amitié qui investit la vie à 360 degrés. À Pâques, elles lui ont suggéré d’inviter les parents de l’école à la liturgie de sa paroisse. Il l’a fait, et certains sont même ensuite restés prendre le thé. « Il ne laisse passer aucune provocation ». La partie est toujours ouverte.