L’Adoration des Mages des frères Gagini dans la rue des Orfèvres à Gênes

Gênes. Crèche de rue

Cette année, l’affiche de Noël est une Adoration des Mages de 1457, sculptée par les frères Gagini. Voici son histoire, avec celle d’autres œuvres à la disposition de tous. Des images qui veillent sur la vie de tous les jours (“Tracce”, décembre 2018)
Giuseppe Frangi

C’est la crèche des “caruggi” (“venelles – petites rues – typiques de Gênes”, ndt). Au cœur de Gênes, en marchant le long de la rue des Orfèvres, arrivés au numéro 47, si on lève la tête, on se trouve devant quelque chose d’inattendu. Au niveau de la rue, il y a les vitrines d’un magasin de couteaux, qui forment un angle. Au-dessus de l’une de ces vitrines, au lieu de l’enseigne, c’est un grand bas-relief en marbre avec l’Adoration des Mages qui se détache. Naturellement, il était à cet endroit bien avant que n’ouvre cette exploitation commerciale. En effet, une plaque rappelle la date probable à laquelle il a été réalisé, 1457, ainsi que le nom de ses auteurs, Elia et Giovanni Gagini. C’est une crèche de rue qui a veillé pendant des siècles sur cette petite rue de Gênes et qui a fait relever la tête en signe de gratitude et de dévotion aux milliers d’hommes et de femmes qui ont vécu ici, ou qui sont simplement passés par ici. L’auteur est un artiste qui fait partie d’une dynastie de sculpteurs d’origine tessinoise, qui ont quitté leur Bissone natale au milieu du XVe siècle : une partie de la famille est arrivée à Gênes, tandis que l’autre branche, la plus noble, s’est installée à Palerme. Le chef de lignée, Domenico, s’était formé sur les chantiers de Brunelleschi à Florence. Giovanni est son petit-fils, et c’est l’auteur probable de l’Adoration de la rue des Orfèvres ; ce n’est pas la seule œuvre de rue qu’il a laissée dans la ville, parce qu’il existe deux autres bas-reliefs dont il est l’auteur, qui représentent l’histoire de saint Georges, dont un particulièrement beau, dans la rue du Canneto voisine, toujours en tant que dessus-de-porte d’un magasin.

Aujourd’hui, nous sommes moins enclins à lever la tête et à être surpris de ces présences le long des rues que nous fréquentons quotidiennement. Pourtant, si l’Italie est un pays qui n’a pas d’équivalent au monde, c’est bien pour cette idée de l’art, et donc de la beauté, comme patrimoine répandu et à la disposition de tous. Ce sont les œuvres que Tripadvisor signale à juste titre comme 24/24, c’est-à-dire toujours ouvertes, à toute heure du jour et de la nuit. Ce ne sont pas des monuments parce qu’elles n’ont rien de rhétorique. Ce sont des images souvent furtives, à l’écart, placées aux angles des rues, qui veillent sur la vie de chaque jour. Des images vers lesquelles lever les yeux, pour demander protection ou en signe de remerciement.

À Rome, pour donner un exemple, on compte aujourd’hui encore 522 “petites Madones de rue” sur les quelque deux mille qui peuplaient le centre de la ville. Elles étaient toujours ornées de fleurs et de lumignons et, comme l’avait remarqué Stendhal dans ses Promenades dans Rome, elles éclairaient la nuit les rues de la ville : une autre manière simple de se proposer comme des présences protectrices. La “petite Madone de rue” la plus célèbre est celle de l'Édicule du Pont, rue des Coronari, à laquelle ont travaillé deux “grosses pointures” : Antonio da Sangallo et Pierin del Vaga, qui a peint l’image du Couronnement de la Vierge. On attribuait aussi des miracles à ces images, comme celui de la Madone de l’Archet, qui pleura à l’arrivée des Français dans l’État pontifical ; c’est pour cette raison qu’on la plaça dans un minuscule sanctuaire, la plus petite église de Rome.



À Florence, au contraire, ce sont les tabernacles qui étaient la forme la plus répandue de ces présences de rue. Le plus spectaculaire est certainement le Tabernacle des petites Fontaines (à cause des sept têtes de chérubins qui versent de l’eau dans la fontaine sous-jacente) : il s’agit d’une grande céramique vernissée avec la Vierge Marie, l’Enfant-Jésus, et une multitude de saints. Elle s’offre à nos yeux en nous donnant pour cadeau, à toute heure du jour et de la nuit, le bleu intense que seuls les Della Robbia savaient obtenir (ici, c’est Giovanni Della Robbia qui est à l’œuvre). Les céramiques vernissées se présentaient souvent comme des joyaux gratuitement sertis dans le tissu de la ville. À Florence, on ne peut pas oublier les médaillons des enfants de l’Hôpital des Innocents sur le portique réalisé par Brunelleschi.

Mais on trouve le résultat le plus spectaculaire à Pistoia où, au début du XVIe siècle, Santi Buglioni a réalisé sur le portique de l’Hôpital du Ceppo la longue frise avec les Sept œuvres de miséricorde. C’est une frise qui se déploie comme un film en technicolor, projeté jour et nuit. Ceux qui passaient en dessous pouvaient la regarder et avoir la certitude que, dans le besoin, ils ne resteraient jamais seuls.