CL, le défi de la mission

Une interview du père Julián Carrón, président de la Fraternité de Communion et Libération, parue dans l’hebdomadaire espagnol « Alfa y Omega » du 20 mars 2008
Julián Carrón

Il y a un an, la place Saint-Pierre s’est remplie de membres du mouvement Communion et Libération qui venaient du monde entier pour l’audience avec Benoît XVI à l’occasion des 25 ans de la reconnaissance pontificale de la Fraternité. Que vous reste-t-il à l’esprit de cette audience ?
Il me reste en mémoire de façon vivante le fait que Rome a constitué la confirmation apostolique de la valeur du charisme donné à don Giussani pour la vie de l’Église. Benoît XVI insista sur l’origine personnelle du charisme et confirma la permanence de celui-ci dans l’expérience du mouvement. Et il nous relança dans la tâche missionnaire, que Jean-Paul II nous avait déjà confiée, comme témoignage dans le monde d’une foi enracinée dans le Corps du Christ qu’est l’Église. Ce défi missionnaire est encore plus décisif si je pense à ce qui s’est passé au Brésil ces dernières semaines et dont nous avons été les témoins stupéfaits. Pendant une rencontre à São Paulo avec cinquante mille adhérents au mouvement brésilien des Sans Terre, Cleuza Zerbini, l’initiatrice avec son mari Marcos, a dit : « Carrón, il y a quelques aimées vous aviez un mouvement, Terre Nouvelle. Quand vous avez connu don Giussani vous lui avez confié votre mouvement parce que vous n’aviez plus rien à chercher ; tout ce que vous deviez chercher vous l’aviez déjà trouvé. Aujourd’hui il n’y a pas deux chemins : il n’en existe qu’un. Aujourd’hui Terre Nouvelle et les Sans Terre s’unissent au mouvement Communion et Libération ». Vous imaginez mon émotion, comme celle que j’ai ressentie lorsque don Giussani m’a appelé d’Espagne pour conduire le mouvement à ses côtés. Et de même qu’à ce moment-là je me suis senti si petit, si peu de chose devant cette tâche, à São Paulo j’ai eu la même sensation. Mais ce fait nouveau que le Mystère met sous nos yeux ne me fait pas peur, parce que Celui qui a commencé parmi nous cette œuvre bonne la conduira à son accomplissement. Nous avons seulement à dire oui à la forme nouvelle et mystérieuse par laquelle Dieu se rend présent dans notre vie.

Comment avez-vous accueilli votre nouveau mandat pour guider le mouvement dans les années qui viennent, qu’est-ce que cela représente pour vous ?
J’ai accepté la décision de la diaconie de la Fraternité avec le même état d’esprit avec lequel j’avais accepté celle de don Giussani, en cherchant à obéir à la modalité par laquelle le Mystère m’appelle à répondre. Aujourd’hui je suis beaucoup plus conscient de mon entière disproportion face à la tâche qui m’est confiée, parce qu’avant je voyais les choses de loin, alors que maintenant j’en ai une conscience plus directe. Et ce que je veux vivre est bien exprimé dans le passage de Soloviev que don Giussani nous avait proposé comme affiche permanente pour le mouvement : « Ce que nous avons de plus cher dans le christianisme c’est le Christ lui-même, Lui et tout ce qui vient de Lui, car nous savons qu’en Lui demeure corporellement toute la plénitude de la divinité ». Moi, voilà ce que je veux vivre, je désire n’avoir rien d’autre de plus cher que cela dans ma vie.

En résumé, qu’est-ce que le charisme de Communion et Libération peut offrir d’original ?

Ce que nous avons reçu de la grande tradition de l’Église et que le génie humain et chrétien de don Giussani a rendu expérience présente, attirante pour notre époque : dans la foi, la solitude et le scepticisme sont vaincus et la vie devient une immense certitude précisément parce qu’un Autre est à l’œuvre dans l’histoire ; dans n’importe quelle circonstance et dans n’importe quelle épreuve, on peut vivre ainsi. Voilà l’aide que nous pensons pouvoir apporter à la vie de ceux qui nous entourent, en Espagne et en Italie, ainsi qu’au Brésil, avec nos nouveaux anus : montrer la pertinence de la foi pour les exigences de la vie – exigences de vérité, de beauté, de justice, de bonheur – et donc l’utilité de la foi pour la vie des hommes de notre temps.

Est-il possible que cela suffise pour affronter l’impact avec un monde qui s’est progressivement éloigné de l’Église et de la foi, et que l’on veut construire indépendamment du christianisme, quand ce n’est pas explicitement contre ?
Je vous réponds avec les mots que don Giussani prononça après la défaite des catholiques italiens lors du référendum sur l’avortement en 1981 : « Voilà un moment où il ferait bon n’être que douze dans le monde entier. C’est-à-dire qu’en ce moment précis on revient au début, parce qu’il n’a jamais été aussi évident que la mentalité n’est plus chrétienne. Le christianisme en tant que présence stable, consistante, et donc capable de tradere, de tradition, de communication, de créer une tradition, à présent n’existe plus : il doit renaître. Il doit renaître en tant que sollicitation pour les problèmes de tous les jours, c’est-à-dire pour la vie quotidienne ». Y a-t-il quelque chose de plus original et de plus enthousiasmant que cela ?