Discours du pape François au mouvement de Communion et Libération

Place Saint-Pierre. À l'occasion du 60e anniversaire de la naissance de CL et du 10e anniversaire de la mort de Don Giussani
Pape François

Chers frères et sœurs, bonjour !

Je souhaite la bienvenue à vous tous et je vous remercie pour votre affection chaleureuse ! J’adresse mes salutations cordiales aux Cardinaux et aux Évêques. Je salue le père Julián Carrón, président de votre Fraternité, et je le remercie pour les paroles qu’il m’a adressées au nom de tous ; et je vous remercie aussi, père Julián, pour cette belle lettre que vous avez écrite à tous en les invitant à venir. Merci beaucoup !

Ma première pensée va vers votre fondateur, Mgr Luigi Giussani, dont nous célébrons le dixième anniversaire de sa naissance au Ciel. Je suis reconnaissant à don Giussani pour différentes raisons. La première, plus personnelle, est le bien que cet homme m’a fait, à moi et à ma vie de prêtre, à travers la lecture de ses livres et de ses articles. La deuxième raison est que sa pensée est profondément humaine et qu’elle atteint les profondeurs les plus intimes du désir de l’homme. Vous savez à quel point l’expérience de la rencontre était importante pour don Giussani : la rencontre non pas avec une idée, mais avec une Personne, avec Jésus Christ. Il a donc éduqué à la liberté, en conduisant à la rencontre avec le Christ, parce que le Christ nous donne la vraie liberté. En parlant de la rencontre, c’est “La vocation de saint Matthieu”, ce tableau de Caravage devant lequel je m’arrêtais longtemps à Saint-Louis-des-Français, chaque fois que je venais à Rome, qui me vient à l'esprit. Aucun de ceux qui étaient là, y compris Mathieu avide d’argent, ne pouvait croire qu message de ce doigt qui l’indiquait, au message de ces yeux qui le regardaient avec miséricorde et qui le choisissaient pour Le suivre. Il ressentait cet émerveillement de la rencontre. Elle est ainsi, la rencontre avec le Christ qui vient et nous invite.

Dans notre vie, aujourd’hui comme à l’époque de Jésus, tout commence par une rencontre. Une rencontre avec cet homme, le charpentier de Nazareth, un homme comme tout le monde, et en même temps, un homme différent. Songeons à l’Évangile de Jean, là où il raconte la première rencontre des disciples avec Jésus (cf. 1,35-42). André, Jean et Simon se sont sentis regardés jusqu’au plus profond d’eux-mêmes, connus dans leur for intérieur, et cela a engendré en eux une surprise, un émerveillement qui les a immédiatement reliés à lui… Ou lorsque, après la Résurrection, Jésus demande à Pierre : « M’aimes-tu ? » (Gv 21,15) et que Pierre répond : « Oui », ce oui n’était pas le résultat d’une force de volonté, il ne venait pas que de la décision de l’homme Simon : il venait avant tout de la Grâce, c’était ce “primerear”, cette Grâce qui nous précède. Voici la découverte décisive pour saint Paul, pour saint’Augustin et pour de nombreux autres saints : Jésus Christ est toujours le premier, il nous “primerea”, il nous attend, Jésus Christ nous précède toujours ; au moment où nous arrivons, Lui nous attendait déjà. Il est comme la fleur de l’amandier : c’est l’arbre qui fleurit le premier et qui annonce le printemps.

On ne peut pas comprendre cette dynamique de la rencontre qui suscite l’émerveillement et l’adhésion sans la miséricorde. Seuls ceux qui ont été caressés par la tendresse de la miséricorde connaissent vraiment le Seigneur. Le lieu privilégié de la rencontre est la caresse de la miséricorde de Jésus Christ envers mon pêché. C’est pourquoi vous m’avez parfois entendu dire que l’endroit, le lieu privilégié de la rencontre avec Jésus Christ est mon péché. C’est grâce à cette étreinte de miséricorde que l’on a envie de répondre et de changer et qu’une vie différente peut en jaillir. La morale chrétienne n’est pas l’effort titanique, volontariste, de ceux qui décident d’être cohérents et qui y arrivent, une sorte de défi solitaire face au monde. Non. Ce n’est pas cela, la morale chrétienne, c’est tout autre chose. La morale chrétienne est une réponse, c’est la réponse émue face à une miséricorde surprenante, imprévisible, “injuste” même, selon les critères humains, de Quelqu’un qui me connaît, qui connaît mes trahisons et m’aime quand même, m’estime, m’embrasse, m’appelle à nouveau, espère en moi, est dans l’attente de mon être. La morale chrétienne, ce n’est pas ne jamais tomber, mais c’est se relever toujours grâce à Sa main qui nous prend. Le chemin de l’Église, c’est aussi permettre à la grande miséricorde de Dieu de se manifester. Je le disais encore, il y a quelques jours, aux nouveaux Cardinaux : « La route de l’Église est celle de ne condamner personne éternellement ; de répandre la miséricorde de Dieu sur toutes les personnes qui la demandent d’un cœur sincère ; la route de l’Église, c’est justement de sortir de son enceinte pour aller chercher ceux qui en sont loin dans les “périphéries” essentielles de l’existence ; celle d’adopter intégralement la logique de Dieu », qui est celle de la miséricorde (Homélie, 15 février 2015). L’Église aussi doit ressentir cette impulsion joyeuse de devenir une fleur d’amandier, c’est-à-dire printemps comme Jésus, pour toute l’humanité.

Aujourd’hui, vous célébrez également les soixante ans de votre mouvement, « né au sein de l’Église - comme vous l’a dit Benoît XVI - non pas d’une volonté organisatrice de la hiérarchie, mais suscité par une rencontre renouvelée avec le Christ et donc, pouvons-nous dire, d’une impulsion dérivant en définitive de l’Esprit Saint » (Discours aux participants au pèlerinage de Communion et Libération, 24 mars 2007).

Soixante ans plus tard, le charisme originaire n’a rien perdu de sa fraîcheur et de sa vitalité. Néanmoins, rappelez-vous que le centre n’est pas le charisme : il n’y a qu’un seul centre, c’est Jésus, c’est Jésus Christ ! Lorsque je mets au centre ma méthode spirituelle, mon chemin spirituel, ma manière de le réaliser, je sors de la route. Toute la spiritualité, tous les charismes de l’Église doivent être “décentrés” : au centre, il n’y a que le Seigneur ! C’est pourquoi, lorsque Paul dans sa Première lettre aux Corinthiens, parle des charismes, de cette si belle réalité de l’Église, du Corps Mystique, il termine en parlant de l’amour, c’est-à-dire de ce qui vient de Dieu, de ce qui est propre à Dieu et nous permet de l’imiter. N’oubliez jamais cela, d’être décentrés !

Et le charisme ne se garde pas dans une bouteille d’eau déminéralisée ! Fidélité au charisme ne signifie pas “le pétrifier” - c’est le diable, celui qui “pétrifie”, ne l’oubliez pas ! Fidélité au charisme ne signifie pas l’écrire sur un parchemin et l’encadrer. La référence à l’héritage que vous a laissé don Giussani ne peut pas se réduire à un musée de souvenirs, de décisions prises, de normes de comportement. Elle implique sûrement une fidélité à la tradition, mais être fidèle à la tradition - comme le disait Gustav Mahler - “signifie alimenter le feu et non pas adorer les cendres”. Don Giussani ne vous le pardonnerait jamais si vous perdiez votre liberté ou que vous deveniez des guides de musée ou des adorateurs de cendres. Alimentez le feu de la mémoire de cette première rencontre et soyez libres !

Ainsi, centrés sur le Christ et sur l’Évangile, vous pouvez être les bras, les mains, les pieds, l’esprit et le cœur d’une Église “qui sort”. La route de l’Église, c’est sortir pour aller chercher ceux qui sont loin dans les périphéries, servir Jésus dans chaque personne marginalisée, abandonnée, sans foi, déçue par l’Église, prisonnière de son propre égoïsme.

“Sortir” veut également dire repousser l’autoréférentialité dans toutes ses formes ; cela signifie savoir écouter ceux qui ne sont pas comme nous, en apprenant de chacun, avec une humilité sincère. Lorsque nous sommes esclaves de l’autoréférentialité, nous finissons par cultiver une “spiritualité d’étiquette” : “Je suis CL”. Voilà l’étiquette. Puis nous tombons dans les mille pièges que nous tend la complaisance autoréférentielle, cette tendance à nous regarder dans le miroir qui nous amène à nous désorienter et à nous transformer en simples directeurs d’une ONG.

Chers amis, je voudrais terminer par deux citations très significatives de don Giussani, l’une du début et l’autre de la fin de sa vie.

La première : « Le christianisme ne se réalise jamais dans l’histoire en tant que fixité de positions à défendre, qui se rapportent à ce qui est nouveau comme pure antithèse. Le christianisme est le principe de rédemption qui assume le nouveau en le sauvant » (Porta la speranza. Primi scritti [Porte l’espérance. Premiers écrits, ndt], Gênes 1997, 119). Elle doit dater de 1967 environ.

La seconde citation, de 2004 : « Non seulement je n’ai jamais pensé “fonder” quoi que ce soit, mais je considère que le génie du mouvement que j’ai vu naître consiste dans le sentiment de l’urgence à proclamer la nécessité de revenir aux aspects élémentaires du christianisme, c’est-à-dire la passion pour le fait chrétien comme tel dans ses éléments originaux, un point c’est tout » (Lettre à Jean-Paul II, 26 janvier 2004, à l’occasion des 50 ans de Communion et Libération).

Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge vous garde. Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi ! Merci.

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(Traduction par Communion et Libération)

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