Don Giussani : le Pape avertit ceux qui ont le sort du monde entre leurs mains

Le conflit en Irak. Saddam, Bush et le « non à la guerre » de Jean-Paul II. Corriere della Sera, p. 12
Luigi Giussani

Cher Directeur,

dans l’explosion des bombes et les villes incendiées, ce qui, à mes yeux, redonne leur vérité aux choses est la pensée de la mort de Jésus. Je ne suis pas en mesure de me donner une autre explication que celle-ci : suivre le Christ qui va mourir sur la croix, être comme Lui, et c’est tout.

C’est pour cela que nous avons adhéré avec simplicité aux sentiments d’amour et de paix du Pape, en reconnaissant comme lui qu’ils ne proviennent pas de l’adhésion à la condamnation de ceux qui veulent la guerre, mais de l’engagement de toutes les énergies à réveiller de nouveau une éducation qui fait à reconnaître une injustice lovée aux origines de toutes les décisions humaines – ce qui, au nom du Christ, s’appelle péché originel.

Il nous est impossible de donner un jugement à partir d’une analyse psychologique ou naturelle, maintenu ensuite par l’enchevêtrement du pouvoir conçu par la mentalité de Saddam, mais aussi par celle de Bush. Un jugement est possible si l’on admet ceci : de même qu’il est sûr que la faute revient autant à une partie qu’à l’autre (et elles en répondront), de même il est évident que l’origine de cette faute n’est ni dans l’une ni dans l’autre. La faute originelle, et donc la possibilité du despotisme, est un poison qui a sa demeure, sa genèse, en un mystère. Et c’est à ce niveau, pour nous insondable, que la miséricorde de Dieu donne un remède.

Or, ce dont je suis en train de parler ne concerne pas seulement l’au-delà, parce que la miséricorde de Dieu donne déjà un remède dans l’existence terrestre, et de ce fait déjà en ce monde existe la possibilité de la paix pour les uns et du désespoir pour les autres. Dieu est miséricordieux, le Mystère est une miséricorde qui porte la croix avec elle. Une croix qui, pour les uns, est un destin de châtiment, de pénitence et d’humilité sur un chemin à l’intérieur de la paix et, pour les autres, un mystère de colère sans limite.

Ainsi dans la miséricorde, le visage du soldat américain est identique à celui du soldat irakien qui se retrouve devant la bouche du canon qui va le mettre en pièces. Ils se ressemblent, ils ne sont plus l’un contre l’autre. Quel grand mystère ! Dans la miséricorde se réalise l’avantage de l’amour, qui parvient jusqu’au pardon. Si l’on n’arrive pas à cela, tout est mensonge ; et la raison se bloque sur une contradiction : on accuse l’autre et on s’accuse soi-même, en finissant dans un vrai désespoir.

Le salut est donné par le fait de suivre le Christ, de s’identifier à Son sentiment de l’homme en invoquant la grâce que l’homme fasse de sa liberté ce que le Christ a fait de la Sienne : l’abandon de sa propre faiblesse mortelle aux mains de la miséricorde du Père, c’est-à-dire aux mains du Mystère de l’être.

Que l’on pense aux psaumes ou aux paroles prophétiques contenues dans la Bible. Dieu intervient dans le chemin du peuple par des prophéties ou des personnes faisant autorité et dit, par exemple : « Je vous châtie ! Je te châtie, mon peuple ! ». Ou bien, Il se sert du prophète pour parler au peuple qui tremble parce qu’il se trouve écrasé par un chef païen, et le prophète Néhémie dit : Dieu est plus fort, Il est le Seigneur de tous, alors « Ne vous affligez point : la joie de Yahvé est votre forteresse » (Néhémie 8,10). Il parle de Dieu qui apporte le bien, la beauté, la bonté, en qui le peuple trouve l’énergie pour juger ce qui arrive.

Lorsqu’un peuple traverse un moment difficile ou pénible de son histoire, il peut donner un jugement sur ce qui est juste ou pas dans la mesure où il est éduqué : s’il est éduqué, s’il est guidé sur un chemin, si on lui montre le chemin, alors en suivant ses maîtres il peut dire oui ou non à des évidences historiques – claires historiquement. En ce moment, le Pape a des raisons appropriées pour dire non à la guerre, même si la guerre est menée par des gens qui, en soi, auraient raison de la faire ; alors gardons à l’esprit ce que dit le Pape, parce que le jugement incombe à des personnes qui ont été éduquées à considérer ce qui arrive du point de vue de la loi de Dieu et de la mémoire du peuple. Jean-Paul II, après avoir dit que c’est une erreur de faire la guerre – une erreur parce qu’il n’y a pas de raison appropriée – a ajouté : « Dieu vous jugera », ce qui est une manière de mettre en garde ceux qui ont un devoir de responsabilité historique pour le futur du monde (c’est la raison pour laquelle nous éprouvons surtout une immense pitié pour ceux qui ont assumé la terrible responsabilité de la guerre).

Ma mère n’aurait certainement jamais indiqué comme raison en faveur de la guerre celle affirmée par ceux qui la soutiennent. Mais elle n’aurait pas suivi non plus ceux qui s’y opposent à cause d’un calcul de politique contraire ; en regardant les uns et les autres, ma mère aurait conclu ainsi : « Prions le Seigneur pour qu’il nous aide Lui ». Et ce jugement l’aurait laissée en paix – non parce qu’indifférente, mais parce que certaine que Dieu est le Seigneur de tout, que tout conduit à un destin de bien – devant n’importe quel moment grave de l’histoire.