Un regard sur la vie au Centre Social Edimar

Le père Maurizio, Mireille, et d’autres amis du mouvement travaillent au Centre Social Edimar. Ce centre œuvre pour la réinsertion familiale et sociale des enfants de la rue. Qu’est-ce qui permet à ces éducateurs d’être des guides pour ces jeunes paumés ?
l’équipe du Centre Social Edimar

L’éducateur attentif se rend compte aujourd’hui que le Centre Social Edimar est un lieu où le Mystère se manifeste. Un parent attentif se rend compte que son enfant qui rentre à la maison a changé ! L’enfant assidu au Centre se rend compte progressivement qu’il a une âme bonne…
Pourquoi une telle intensité de vie dans un environnement si hostile ?
Parce que, comme le disait don Giussani, « les forces qui changent l’histoire sont les mêmes que celles qui changent le cœur de l’homme » !
Mais alors, l’Homme n’est-il pas une urgence en ces moments où sa dégradation est extrême ? En ces moments où la famille perd sa valeur originale ? En ces moments où il se perd dans la société, au point de se renfermer dans une carapace, dans un bunker où il y étouffe et se meurt à petit feu ? Quand il s’agit d’hommes, on peut comprendre… Mais les enfants ? Pourquoi l’enfant est-il brisé à la racine ? Qu’est-ce qui le détruit alors qu’il ouvre à peine les yeux sur ses parents, sur sa famille, sur son environnement ? Qu’est ce qui l’horrifie à ce point pour qu’il prenne la fuite et se réfugie dans la rue ? Cette dernière, comme une mère nourricière, lui ouvre toutes les facilités. Il a entre onze et quinze ans, il est petit, il est naïf, il a les yeux qui brillent, un sourire charmeur et un incroyable désir de liberté ! Plein de curiosité face à ce nouvel environnement, et comme s’il avait vécu longtemps dans une prison – la prison de son histoire, la prison de sa famille, la prison de lui-même – l’enfant ouvre les bras comme pour dire à la rue : « prends-moi ! » Libre et léger, il court… il court… il court…
Toute la dynamique des accompagnateurs est de stopper cet élan destructeur. Toute la responsabilité des éducateurs est de se poser en repère, dans cette même rue, afin qu’en le rencontrant, l’enfant freine sa course folle, se regarde, regarde autour de lui, croise le regard de l’éducateur et fasse un choix.
L’année 2013 nous a défiés avec des situations qui nous ont poussés à rechercher les périphéries de l’humain, afin de récupérer ce qui soutient la vie. L’une des situations les plus difficiles a été cette « société parallèle » qui s’est développée à côté du Centre, de l’autre côté du mur : drogues, vols, violence, trafics en tout genre… Nous avons eu un sentiment d’impuissance. Des jeunes y sont tombés et sont morts d’overdose, d’aucuns se déchirant avec des couteaux ou des tessons de bouteilles, d’autres se mouvant à longueur de journée dans cet environnement nauséabond.
La position géographique du Centre, bien que stratégique, nous a obligés à rechercher tout ce qui pouvait soutenir la vie dans un tel milieu.
Comment la vie au Centre a-t-elle pu influencer le choix d’un enfant ? Comment celui qu’on appelait déjà « le fou », drogué 24 heures sur 24, se nourrissant à même les poubelles, comment ce gamin a-t-il pu dire à un éducateur : « je veux être comme toi, je suis ton jumeau ». Il s’est senti profondément regardé par l’éducateur, il a compris que quelqu’un accordait une importance à sa vie, une importance plus grande que celle que lui-même y accordait. Le désir de mériter une telle attention l’a bouleversé. Il a compris qu’il n’était pas ce que la rue avait fait de lui. L’une des choses les plus difficiles pour un éducateur est de regarder et d’accompagner un jeune qui se débat contre lui-même… le drame de sa liberté blessée ! Comment éduquer cette liberté à dire « non » quand il le faut, et « oui » si besoin est ? Cette année, comme les précédentes, l’éducateur a joué de toute sa personne, de toute sa liberté, de tout son amour, de toute sa créativité… Il est descendu dans le « Mapan » (c’est le nom de cette société parallèle), et a tenu la main d’un jeune en train de se droguer. Sous la huée des autres et malgré les risques encourus, l’éducateur a plongé son regard dans celui du jeune et l’a invité à le suivre. Ce dernier s’est laissé prendre par la main et a tourné le dos au Mapan en laissant les cris et les défis que les autres lançaient derrière lui : « Tu vas revenir ! Tu ne peux pas t’en sortir ! Pourquoi est-ce qu’on te prend par la main ? Tu es malade ? ... » Ce jeune a fait un choix, et il a choisi ce qui soutient la vie.
Deux questions nous ont accompagnés pendant tout ce temps : « Comment fait-on pour vivre ? » et « Pourquoi je suis dans le monde ? » Ces questions ont dérangé tous les jeunes qui ont été assidus aux réunions que nous faisons tous les mercredis. Ces questions les ont accompagnés le soir, après la fermeture du Centre, pendant qu’ils vaquaient à leurs occupations quotidiennes, même lorsqu’ils se droguaient. Après avoir sniffé sa colle, un jeune, troublé, perdu, déboussolé, s’est mis à genoux et a levé les mains au ciel en criant : « Mon Dieu… je te vois et Toi tu ne me vois pas ! » Comment fait-on pour vivre ? Pourquoi je suis dans le monde ? Quel est le sens de ma vie ? Qui suis-je ? Toutes ces questions le torturaient. Il voulait comprendre, il voulait vivre !
Le travail d'éducateur est rigoureux, les blessures sont profondes. Nous sommes défiés à renouveler notre propre consistance chaque jour et sans trêve, pour pouvoir espérer tenir face au poids de la vie des enfants et des jeunes qui viennent à nous.
Tout ceci passe par des activités. Tout ce travail de fond que nous avons décrit depuis le début est ce que nous appelons « le travail dans le travail ». C’est un travail qui ne se voit pas, mais qui se comprend à travers l’humanité de chacun. Aller jusqu’aux périphéries de l’humain passe à travers les activités qui meublent le quotidien au Centre. En faisant tout ce qui est proposé, l’éducateur veut écouter le battement du cœur du jeune, et le jeune peut entendre battre le cœur de l’éducateur.
Grâce à des personnes comme vous, grâce à votre présence à nous côtés où que vous soyez, présence qui nous rend conscient d’appartenir à une belle compagnie, nous trouvons des forces pour continuer à rechercher jusqu’aux périphéries de l’humain ce qui soutient la vie. Ainsi, en œuvrant pour changer le cœur de l’Homme, nous changeons l’histoire… L’histoire d’une vie, l’histoire d’un jeune, l’histoire d’un enfant de la rue !