De Paris à Côme pour ré-apprendre l’accueil

Voici un témoignage qui fait suite à la visite des amis de Par Ici* à la Cometa.
Alessandra Guerra

Voici ce qui est arrivé un dimanche de fin mars à Côme. Nous étions neuf, en provenance de Paris et à destination de la Cometa, une œuvre d’accueil pour mineurs. Erasmo, qui a créé la Cometa avec son frère Innocente il y a des années, nous a fait faire le tour du propriétaire : jardin, maison, chapelle, école, et même les toilettes – où la présence d’une croix est le signe que le Christ est bien présent partout. Chaque pas, chaque endroit est objet de stupeur, de curiosité, de désir de voir et de comprendre. Quelle humanité et quel réalisme ! Je m’occupais de traduire pour mes amis tout ce que disait Erasmo, mais au bout d’un moment, ma gorge s’est nouée et je n’arrivais plus à parler. Un mot de plus et j’aurais fondue en larme. Pourquoi ? Qu’avait-il dit ? « La loi ne me permet d’accueillir que six enfants, mais actuellement j’en ai quatorze… C’est parce que les plus grands ont demandé à rester à la Cometa ». Cette maison est la leur, c’est la maison. Ses fils et ses filles (c’est ainsi qu’Erasmo appelle les enfants qui lui sont confiés) sont accueillis chez eux et il est donc normal qu’ils y restent. Existe-t-il une preuve plus grande que dans ce lieu l’amour pour l’homme se fait concret, présent, évident, tangible ? Et cette évidence fut pour moi tellement forte qu’elle m’a déconcertée, laissée sans voix, le souffle coupé. Nous avons ensuite été invités à déjeuner. La table était tellement grande, que pour parler il fallait utiliser un micro. Et ce moment aussi est devenu une occasion de rencontre ou nous nous sommes présentés les uns aux autres. C’était vraiment une grande famille ! Les échanges étaient vifs, et le micro passait sans relâche d’un bout à l’autre de la table. Un deuxième micro a même fait son apparition pour que je puisse traduire. Aucun détail n’était laissé au hasard !

« Une belle publicité ». À la fin du déjeuner, nous avons parlé de la raison de notre présence ici. Il y a trois ans, j’avais vu une vidéo dans laquelle on racontait la vie de la Cometa. Comme je travaille dans le secteur de l’enfance maltraitée à Paris, j’avais décidé de contacter Erasmo et je lui avais dit de but en blanc : « Ton film est sûrement une belle publicité, mais il est complètement mensonger : ce que l’on y voit est carrément impossible ». Il m’avait simplement répondu : « Viens voir… »
Je m’étais donc rendue à Côme, un week-end de juin, en compagnie de deux amies. J’ai passé deux jours à pleurer. En parlant avec Erasmo, je lui ai dit : « C’est moi qui avais raison… ton film est mensonger parce que la réalité est encore plus belle que ce que l’on y voit… Ce que j’ai vu pendant ce week-end, je veux vivre la même chose ! Mais nous n’avons ni les familles, ni les maisons, ni les forces… Que faire ? » Erasmo m’a alors dit qu’il ne fallait pas chercher à imiter la Cometa, mais qu’il fallait partir de notre réalité, de nos capacités. Nous sommes rentrés à Paris, nous avons regardé autour de nous, et nous nous sommes dit : « Pourquoi ne pas emmener les jeunes de l’institut dans lequel je travaille [des jeunes éloignés de leur famille sur ordre du juge] voir toutes ces belles choses que la Ville Lumière a à offrir ? Nous pourrions faire cela une fois par mois ! » Et c’est ainsi qu’est née l’association Par Ici. Une quinzaine de personnes du mouvement font actuellement partie de cette association. C’est un geste de caritative. Et ce geste est si beau que de plus en plus de personnes veulent y participer ! Depuis peu, nos amis de Points-Cœur (une ONG qui travaille avec les jeunes de banlieues) nous ont aussi rejoints. Mais nous avons ressenti le besoin, 3 ans après la création de l’association, de nous confronter de nouveau avec la Cometa : comment ne pas nous noyer dans l’organisation et ne pas perdre de vue la vraie motivation ? Comment renouveler le « oui » de ce geste en demeurant fidèles à l’intuition originale ?

Coup d’éponge. Devant un bon café, nous avons partagé avec Erasmo, sa femme Serena et leur fils Giovanni toutes les difficultés concrètes que nous rencontrons. Tous les trois ont balayé d’un coup d’éponge toutes ces « fausses » questions et nous ont aidés à nous concentrer sur le vrai problème : pourquoi le faisons-nous ? Ils n’avaient pas de solution miracle, mais nous nous sommes sentis embrassés par une humanité infinie. Vous n’imaginez pas à quel point je me suis sentie embrassée par eux trois ! L’accueil est généré par la communion. Et la charité est la conséquence de cette communion qui consiste à s’aider à vivre mieux, avec simplicité, avec cette Présence qui s’est incarnée. Ici, à la Cometa, ce ne sont pas que des mots, parce que cette Présence nous pouvons la toucher. À travers leur communion, Erasmo, Serena et Giovanni sont pour nous cette Présence.

*Par Ici est une petite association, née à Paris en 2011, suite à la rencontre avec Erasmo à la Cometa, qui propose un lieu de partage (jeux, visites, pique-niques, etc.) avec des jeunes.