Adorable Montmartre

« La réalité s’ouvre à nos yeux quand nous nous ouvrons à la réalité ». Journée de début d’année de CL Paris
David Victoroff

A sept heures du matin, ce samedi 11 octobre, des trombes d’eau tombaient sur Paris. Cela augurait mal de la journée de début d’année. Et quelle idée de choisir Montmartre, ce haut lieu touristique où tout paraît surfait, des abominables caricatures qui fleurissent place du Tertre à la monstrueuse pièce montée qui domine la capitale. En plus, le jour de la fête des vendanges, quand les flons flons des fanfares se mêlent aux odeurs de hot-dogs et d’andouillette frite et que les marches de la butte sont encombrées de fêtards qui sirotent les petits crus de terroir ! Comme lieu de recueillement, pouvait-on trouver pire ?
Et pourtant, nous avons bien fait de suivre la proposition qui nous a été faite de nous retrouver place Emile Goudeau, à côté du Bateau Lavoir, point de rencontre fameux d’illustres artistes et écrivains. Un beau soleil d’automne assez inattendu réchauffait l’atmosphère. Surtout, Marie Michèle, Nicolas et Tommaso ont réussi par leurs explications à transfigurer ces lieux pour les faire sortir de leur banalité première. « La réalité s’ouvre à nos yeux quand nous nous ouvrons à la réalité » dira dans l’après-midi le père Filippo Belli, prêtre de Communion et Libération à Florence venu commenter les propos de la Journée de début d’année du père Julian Carron.
C’est ce qui est arrivé avec Montmartre, qui, de lieux touristique et de guinguettes superficielles est peu à peu, au fur et à mesure de notre cheminement vers la Basilique, redevenu le mont des martyres, le lieux de création, d’expiation et d’adoration que le brouillard superficiel de la fête païenne tendait à occulter : martyre de Saint-Denis qui aurait été exécuté près du métro Abbesses (métro qui n’existaient pas à l’époque bien sûr), martyre des généraux lynchés par les communards à qui ils voulaient reprendre leurs cannons, martyre des communards massacrés par les « Versaillais ». Lieu de création évidemment qui de Toulouse Lautrec à Pablo Picasso, en passant par Renoir, fut source d’inspiration et surtout occasion de logement bon marché pour beaucoup d’artistes fauchés. Lieu d’expiation, quand on connaît l’origine de l’édification de la Basilique, par souscription nationale pour expier les pêchés qui, du moyen-âge à la commune de Paris, ont causé l’abaissement de la France. « France, qu’as tu fait de ton baptême ? » nous demandait Jean-Paul II. Vieille question, toujours actuelle.
Lieu d’adoration, enfin. Lors de notre visite à Saint-Pierre de Montmartre, le père camerounais qui nous a fait découvrir cette église méconnue, plus ancienne que Notre Dame, rappelait l’existence dès l’antiquité d’un temple à Mars et d’un temple à Mercure dont on retrouve d’ailleurs des colonnes dans la nef de l’édifice. Depuis, les vieilles idoles ont cédé la place à la statue de la vierge des artistes aujourd’hui encore vénérée par les peintres de la commune de Montmartre et à un étonnant calvaire que nous avons eu le privilège de voir de près, que peu de touristes regardent en passant dehors.
Mais c’est évidemment l’adoration du sacré cœur de Jésus, assurée nuit et jour par des volontaires, comme le rappelait la sœur qui nous a accueillis dans la Basilique, qui donne à ce lieu unique son caractère sacré pour toute la chrétienté française.
Ainsi initiés par ce cheminement et par un pique-nique miraculeux (en bon journaliste imprévoyant je n’avais rien apporté d’autre qu’un stylo et un carnet mais j’ai été rassasié), nous étions préparés à entendre le père Filippo qui a repris une phrase de Léon Bloy citée par Max Jacob et lue par Marie Michèle le matin même : « tout ce qui arrive est adorable ». « Restons simple pour voir ce qui nous arrive » dira encore le père Filippo. Abandonnons donc nos préjugés esthétiques et trouvons adorable cette Basilique et sa crypte un peu poussiéreuse dans laquelle le père Dino nous a fait un beau sermon pour clore cette belle journée de commencement.