Conquis un par un

Un groupe de 30 lycéens français en voyage pour l’Italie où ils participent au Triduum Pascal de GS (Jeunesse Etudiante regroupant les lycéens de Communion et Libération). La moitié sont musulmans. Pourquoi ?
Silvio Guerra

Depuis quelques années je propose aux élèves du lycée Charles de Foucauld, où je travaille, de participer au Triduum Pascal organisé par GS en Italie.
Mes élèves ne sont pas membres de GS même si quelques-uns ont participé à certains gestes avec nous. Cette année ils étaient trente, en partie invités par des élèves qui ont participé régulièrement à nos rencontres durant l’année écoulée.
En janvier, quand ils se sont présentés dans mon bureau pour s’inscrire, je leur ai posé une seule question. Ni pourquoi ils voulaient venir, ni s’ils étaient croyants mais : « Êtes-vous bien au clair sur ce que je vous propose ? ». Personne n’a renoncé. Au contraire, Mariam, musulmane, m’a demandé avec un grand sourire : « Pourrai-je porter le voile pendant le voyage ? ». Surpris je lui ai répondu : « Pourquoi ? Est-ce que c’est nécessaire ? ». « Je veux être moi-même. Je me sens plus libre quand je porte le voile ». « Pourquoi pas ? Mais nous devons tous deux comprendre pourquoi c’est important. Nous devons y réfléchir et nous revoir ».
Nous sommes partis en direction de l’Italie deux jours avant le Triduum Pascal, accueillis à Bologne par les jeunes de GS et leurs familles.
Leur accueil, une soirée pizza et nos chants en italien et en français ont suffit à faire fondre le cœur et l’intelligence de mes élèves au point qu’ils s’émeuvent et posent mille questions : « Ils viendront avec nous ? Est-ce que nous serons avec eux à Rimini ? ».
C’est ce qui est arrivé. Mes élèves sont une merveille de "périphérie existentielle". Leur vie est marquée par des histoires invraisemblables, des violences et des drames qui briseraient un adulte et ils ont toutes sortes de problèmes. Après les paroles du Pape à Rome le 7 mars, j’en viens à penser qu’on n’a vraiment pas le temps d’être « autoréférentiel » avec eux. Leur "non être" t’étonne continuellement, et quand tu as des prétentions, ils te font comprendre que le centre ce sont eux justement : "Cendres et braises".
À vrai dire, au début de ces premiers jours, j’avais été assailli de mille doutes et perplexités par rapport à cette proposition que je leur avais faite ; était-elle adéquate ? Mais jeudi matin, en récitant l’Angélus avec trois jeunes travailleurs qui m’accompagnaient et qui vivent une expérience de foi dans un autre mouvement du diocèse de Paris, je leur ai dit en priant : « Je ne sais pas ce qui va se passer pendant ces journées, ni si le Seigneur pourra nous toucher. Mais Lui seul peut faire un miracle ». Il leur a suffi de rencontrer quelqu’un qui vit son humanité et sa foi de manière authentique pour faire renaître dans leur cœur un feu et le désir de "rester". C’est le verbe qui a dominé ces trois jours à Rimini. Désir de "rester" et de comprendre : « En Italie est-ce qu’il y a des jeunes athées ? Mais Jésus ressuscite vraiment dimanche prochain ? ». Pendant trois jours nous avons participé à tout : leçons de don José Medina, messe du Jeudi Saint, Chemin de Croix, assemblée à l’hôtel et témoignage de Davide Prosperi… « Et les 13 musulmans, pourquoi sont-ils ici ? » : c’était la question que certains nous posaient. Et moi : « Pourquoi pas ? » ou bien : « Vous avez lu le titre du Triduum ? "Tout commence par une rencontre". La caresse de la miséricorde est pour tout le monde ou est-elle réservée aux chrétiens ? ». En fait, l’enthousiasme et la manière de participer au Triduum des jeunes musulmans n’étaient pas différents des autres justement parce que la proposition n’était pas réservée au club des jeunes chrétiens mais elle était pour tout le monde : adressée à l’humanité de tout le monde. Mes élèves, bien qu’ils ne suivent pas GS ou l’expérience chrétienne, regardaient tout, du silence aux chants et aux leçons et ils faisaient l’expérience d’une "unité qui dépasse toute différence". « Les paroles de ce prêtre m’ont aidé à mieux vivre ma religion, l’islam : vivre de manière authentique c’est vivre comme un mendiant. Et pleurer ce n’est pas un truc de couard, comme dans ma culture, mais c’est un cri et un sentiment humain. Avant ce prêtre, personne ne me l’avait dit » expliquait l’un d’eux. Et une autre : « Les paroles de don José m’ont interpelée personnellement, surtout à propos de ma dépression. C’était une gifle. Parce qu’il disait que je devais affronter la vie sans avoir peur. Ce n’est pas si facile pour moi parce que je vois et vis seulement dans le noir. Toutefois ce que j’ai entendu m’a réveillée ».
Le chemin de Croix aussi, comme l’a dit encore un jeune musulman : « Le Chemin de Croix m’a fait réfléchir à moi-même et à ce que je désire vraiment. Marcher avec autant de jeunes tellement différents de moi m’a fait prendre conscience de la beauté de la rencontre que j’étais en train de vivre. Jusque là je m’étais contenté de participer. En revanche, en étant là j’ai vraiment pris conscience de la souffrance que le Christ a endurée. Quelle beauté dans son geste pour nous sauver ! ». Et une jeune fille : « Pendant le Chemin de Croix, le silence de toutes ces personnes était très beau parce qu’elles étaient une seule chose ».
Juste avant de "venir voir" ces jeunes demandaient : « Quand irons-nous faire du shopping ? Aurons-nous du temps libre à Rimini ? Est-ce que la messe sera obligatoire ? L’hôtel a combien d’étoiles ? Que ferons-nous pendant trois jours à Rimini ? Irons-nous visiter la ville ? ».
Après la première journée j’ai demandé à Mariam : « As-tu encore besoin de porter le voile pour te sentir toi-même ? ». « Non, je n’en sens plus le besoin. Je suis impressionnée de voir six mille jeunes tellement unis dans leur manière d’être ensemble, pour chanter et pour écouter. Ils sont morts de fatigue comme moi. Mais quand moi je décroche parce que je n’en peux plus, eux ils vont jusqu’au fond. Dans tout ce qu’ils vivent. Dans leurs regards je ne me sens pas discriminée. Je me sens accueillie par tous comme une des leurs et c’est comme si on se connaissait depuis toujours. Ils ont cassé toutes mes peurs et je n’ai donc plus besoin de me centrer sur moi-même. Je me découvre capable de m’ouvrir à eux plus que je ne le pensais ».
Un autre jeune musulman, circonspect durant les différents moments, a été touché par ce qu’il a entendu : « On a parlé du Christ, de la religion chrétienne, mais la proposition était ouverte à tous, elle parlait du fondement humain de toute personne ; on a touché les questions que chacun se pose. Je n’ai pas perçu une différence par rapport à ma religion parce que je me suis senti reconnu dans mon humanité ».
Enfin une jeune fille qui se déclare athée : « Après ces journées en Italie, j’ai l’impression qu’ici tout est religieux alors que chez nous tout est interdit, tabou. Je n’avais aucune attente quand je suis arrivée à Rimini. J’ai immédiatement été surprise par la foi de tant de jeunes et par ce qu’ils exprimaient. Et je me suis demandé : comment se fait-il que des jeunes comme moi fassent tant confiance à la religion ? Pourquoi veulent-ils vivre avec Jésus ? Avant de les rencontrer je considérais la religion comme une étiquette qu’on se met pour ne pas avoir peur de la vie. Maintenant je ne peux plus éviter de me poser vraiment les questions que j’ai entendues ».
Face à tous ces témoignages, mes doutes aussi se sont évanouis définitivement. Ce qu’ils m’ont témoigné c’est ce que le Christ a fait en eux afin que je rencontre à nouveau un fait : Jésus de Nazareth.
Un fait comme le témoignage de Davide Prosperi le samedi matin, pour conclure le Triduum. Mes élèves l’ont tout de suite adopté et transformé en David. Son témoignage était « simple, mais il nous a ouvert son cœur et il nous a émus » ont-ils commenté. « Mais comment a-t-il fait pour vivre ainsi ? ».
Seulement maintenant, en regardant le visage de ces jeunes, leur émotion, je peux comprendre et redire les paroles du Pape : « André, Jean, Simon se sont sentis regardés en profondeur, connus intimement, ce qui a provoqué en eux une surprise, une stupeur qui les a immédiatement liés à Lui ».
Deux faits très simples ajoutent un dernier témoignage de l’importance de la transformation de leur humanité. De retour à l’aéroport de Paris, je suis impatient de les restituer à leurs parents. J’étais épuisé et je voulais aller à la Veillée Pascale. Soudain ils m’arrêtent au milieu de l’aéroport : « Ecoutez cette chanson que nous avons écrite pour vous ! ». Et ils commencent à chanter à tue-tête, sur l’air de Aux Champs Elysées, en modifiant les paroles pour raconter ces journées magnifiques. Comme les passants, j’étais pantois : trente jeunes qui chantent pleins de joie. J’avais les larmes aux yeux. Je ne savais plus où j’étais ni ce qui se passait. Ce qui était la "périphérie existentielle" était devenu mon "centre existentiel". Ils me passent un bloc-notes : « Vous voyez que nous avons pris des notes à Rimini ? ». J’avais lourdement insisté pour qu’ils le fassent. « Et en plus nous avons écrit nos impressions ! ». Sur la couverture du bloc qu’ils avaient choisi il était écrit : « Travaille le plus que tu peux et la récompense sera plus douce ». Décidément Dieu a plus de fantaisie que nous ! Et c’est justement cela, le centuple qui m’est donné chaque fois que je me laisse décentrer non pas par un discours ou une volonté, mais par "un émerveillement de la rencontre".
Merci les gars parce que vous avez accompli ces paroles du Saint Père : « Le lieu privilégié de la rencontre c’est la caresse de la miséricorde de Jésus Christ ». Si c’est le centuple, qui sait ce que sera la Vie éternelle !
PS : ils ont déjà "réservé" pour l’année prochaine !