Johnny

Une chose positive

Les Shankman étaient une famille tranquille du Midwest. Puis il y eut l'accident de Johnny : la course à l'hôpital, les opérations, les diagnostics décourageants. Mais une pensée change tout « Il ne nous appartient pas ».
Luca Fiore

« Cela semble fou, je le sais. Mais je t’en prie, ne pense pas que je sois folle. J’ai compris que Dieu était en train de nous préparer depuis des années à ce moment avec, par exemple, toute l’insistance de don Carron sur la positivité du réel ». Kim Shankman et son mari Don vivent à Atchison, dans l’état du Kansas. Ils sont une famille normale du Midwest. Elle travaille au Benedictine College où elle enseigne dans le Département des Sciences sociales. Lui a ses journées libres car il est à la retraite et il s’occupe de la maison et sort Bosley leur chien. Un après-midi de mars leur vie a changé pour toujours. Difficile d’oublier la date : le soir précédent il y avait eu l’élection du Pape François et quelques jours après leur fils unique Johnny aurait eu 18 ans.
Cet après-midi là, Johnny se trouve à l’arrière d’un pick-up et fait un tour dans le parc de la ville avec un groupe d’amis. À un certain moment, la voiture heurte quelque chose et se retourne. Lui est éjecté. « La police nous appelle en nous disant que c’est grave », raconte Kim : « nous sommes accourus à l’hôpital. Nous étions bouleversés ». Le trajet en voiture est tendu, mais tous les deux restent dans le silence. Dans sa tête à elle apparaît alors une pensée. Quelques mois auparavant elle était allée à la retraite de l’Avent de la Fraternité de Cl où elle avait entendu un ami parler de sa sœur malade d’un cancer : « Moi je sais qu’elle ne m’appartient pas ». En l’écoutant, Kim avait pensé : « Je ne pourrai jamais dire une chose pareille, je serais trop épouvantée et préoccupée ». Après quelques instants, le silence est rompu et Kim dit à Don : « Dans le fond, Johnny ne nous appartient pas ».
« À partir de ce moment-là, tout a changé. Nous étions toujours bouleversés, mais nous avons commencé à nous rendre compte qu’il y avait Quelqu’un qui aimait notre fils bien plus que ce que nous pouvions le faire. Qu’Il était là, avec lui et avec nous ». Ils trouvent la force pour téléphoner à l’ami qui conduisait le pick-up : « Nous ne sommes pas fâchés. Nous savons que ce n’était pas ta faute. Ne t’en fais pas ». Entretemps, les amis arrivent, 20 ou 30 personnes. Ils récitent le Rosaire. On attend. « À ce moment-là, j’ai pensé : “C’est comme être au Paradis“ ». Au cours des jours qui suivirent, les amis de la communauté d’Atchison accompagnent les Shankman. « Nous avons été aidés d’une manière que je ne saurais expliquer et que nous n’avions même pas demandée ».
Aujourd’hui, Johnny est hospitalisé dans un centre de rééducation. Don s’occupe de lui la semaine alors que Kim est au travail, mais elle est avec eux le week-end. Les journées sont ponctuées par les différentes thérapies : la thérapie physique qui l’aidera, peut-être, à recommencer à marcher. Puis il y a la thérapie dite occupationnelle qui devrait le conduire à réaliser des activités quotidiennes comme se laver les dents, se raser et s’habiller tout seul. Et la thérapie du langage : aujourd’hui, Johnny ne parle pas et ce travail sert à trouver des moyens qui lui permettent de communiquer et d’interagir avec les autres. Il aime la politique et le football américain. Ainsi lors de son temps libre il regarde à la télé les journaux et les rencontres de son équipe, les Packers.

MACHINES ET VIE. Il a fallu des semaines pour en arriver là. Après l’accident, Johnny est entré et sorti plusieurs fois de la salle d’opération. Il n’était pas conscient. Un jour, les médecins, délicatement, font comprendre que la chose la meilleure serait de laisser faire la nature et de débrancher les machines qui le gardent en vie. « Non, il est vivant et il est là où il doit être », répond Kim : « Nous l’aimons, maintenant, tel qu’il est. Et s’il doit passer le reste de sa vie au lit, nous l’aimerons ainsi jusqu’à la fin ». Le médecin, pris à contrepied, réplique : « Mais vous, vous voudriez vivre de cette façon ? ». Kim répond avec tout autant de simplicité : « Bien sûr que non, personne ne peut le désirer. Mais nous n’avons pas d’autre choix aujourd’hui. Ça c’est la vie qu’il a. Ce que nous pouvons faire dans cette situation est de l’aimer et d’être avec lui tel qu’il est ». Quelques temps plus tard, l’assistante sociale présente lors de cet échange confessera aux parents : « Vous m’avez beaucoup touché. Je n’avais jamais entendu quelqu’un expliquer d’une façon aussi linéaire une telle décision ».
Kim regarde en arrière et pense aux derniers mois. Elle ne voit pas tant les difficultés et la douleur même si elles sont grandes et indicibles. Mais elle est étonnée par le chemin accompli. « Pour moi, personnellement, mais aussi pour mon mari, cette expérience a été une indication sur notre réelle pauvreté. Nous ne pouvons pas faire ce que nous désirons le plus au monde : faire en sorte que notre fils aille mieux. Nous devons être des mendiants. Mendier que la miséricorde de Dieu nous aide. Savoir que cela est tout ce que nous devons et pouvons faire, est une expérience puissante de liberté. À nous, il ne nous reste qu’à aimer notre fils tel qu’il est. Le reste ne vient pas de nous, mais de Qui l’aime plus que nous ». C’est une façon différente de regarder Johnny, une façon différente de regarder ce qui lui arrive. Un jour, un des médecins a dit, déçu : « Il ne parle pas et il ne s’améliorera pas ». « Le regarder pour ce qu’il n’arrive pas à faire écraserait un cœur qui n’est pas ouvert », explique Kim : « mais se demander comment je peux voir dans les circonstances la positivité du réel change la façon de regarder Johnny. On commence à se rendre compte de ses besoins sans trop se préoccuper de savoir quelle est la chose la plus juste à faire. Ce qui lui arrive n’est pas dans nos mains. Certes, nous faisons tout notre possible pour qu’il soit bien et qu’il réussisse à vivre tout ce que sa condition lui permet. Mais il n’est pas ce qu’il réussit à faire. Il est lui, pour ce qu’il est. C’est pour cela que nous l’aimons ».
Kim a commencé à raconter les journées de Johnny sur Facebook en publiant photos et vidéos de son fils. Tout est né en demandant aux amis de prier pour les différentes interventions chirurgicales. Mais les gens ont commencé à demander, au travers du réseau social, comment il allait. « Ce sont les amis qui m’ont demandé de raconter les journées de Johnny. Mais une fois, j’ai écrit sur mon profil qu’il n’y avait rien de nouveau qui vaille la peine d’être raconté. Alors beaucoup m’ont écrit de façon privée en me disant que tout vaut la peine et qu’ils voulaient avoir de ses nouvelles. C’est ainsi que j’ai commencé à publier chaque jour, même des petites choses. Aujourd’hui, si je n’écris pas, les gens me demandent : “Pas de mise à jour ? Comment va Johnny ?“. Tout cela m’est fort utile car ça me rappelle que les gens lui sont proches et prient pour lui ».

L’AIDE LA PLUS GRANDE. Une amitié qui n’est pas seulement online, mais qui se décline aussi dans les petites choses. « Parfois j’ai besoin que quelqu’un sorte le chien, ou vienne ranger la maison car mon mari et moi sommes toujours dehors. Quand tout va bien, c’est simple de penser aux amis pour faire des choses qui te plaisent. Mais quand tu es dans une situation comme celle-ci, c’est différent. J’ai du l’apprendre et ça a été dur. C’est difficile de demander de l’aide. Mais la disponibilité de mes amis a rendu la chose plus facile ».
L’éducation du mouvement, la prière et l’amitié. Pour Kim ce sont ces choses là qui l’ont le plus aidé durant ces mois. « Le rapport avec mon mari a aussi été important. Nous avons continué dans les difficultés à parler et à nous rappeler l’un à l’autre de rester positifs dans ces circonstances. Non pas positifs dans le sens optimiste, en nous disant que tout va bien. Mais positifs dans le sens où le Christ est présent maintenant, et que nous le savons et que nous voulons nous le rappeler ». Le dernier mot de Kim est “gratitude“ : « Il est difficile d’expliquer toute la gratitude que tu éprouves. Je rends grâce à Dieu pour la bonté qu’il nous a montrée, pour avoir rencontré le mouvement car je men rends compte qu’il m’a permis de traverser tout cela. Ces mois ont été importants dans ma vie : puissants et positifs. Quand je le dis, on peut penser que je suis folle, mais ce n’est rien d’autre que mon expérience ».