TAIPEI - En trois gestes : « Toi-moi-mangeons »

Comment la vie de la Fraternité peut-elle aider notre vie quotidienne ? De Taiwan à l’Italie, des États-Unis à l’Ukraine, voici les récits de celui qui vient d’entrer à la fraternité ou de celui qui, après bien des années, pensait avoir tout vu.
Alessandra Stoppa

La photo de droite a été prise lors du repas du jour du Nouvel An 2013, dans une paroisse du district de Tai Shan. La Fraternité de Cl de Taipei est née ce jour là. Pour certains, la rencontre avec le mouvement a coïncidé avec leur première découverte de la foi. Donato Contuzzi est le dernier missionnaire de la Fraternité Saint Charles à être arrivé à Taiwan en 2012. Il lui a été tout de suite évident que dans cette petite communauté née il y a quelques années, il y avait des personnes pour qui la rencontre qu’ils avaient faite était le chemin de toute une vie. « Ils avaient décidé ». Il ne le voyait pas par les discours qu’ils tenaient – il ne connaissait même pas la langue -, mais par l’affection qui les animait. Un mois après son arrivée, il est resté seul pendant deux semaines car don Paolo Costa et don Emmanuele Angiola devaient rentrer en Italie. Le soir de leur départ, après les avoir laissés à l’aéroport, il s’est retrouvé seul dans sa voiture : « Et maintenant, comment vais-je faire ? Je ne sais même pas parler et je ne comprends rien ». Il rentre chez lui inquiet. Peu de temps après, on frappe à la porte. C’est un ami de la communauté, Kun Li, qui est chauffeur routier. En silence, avec trois gestes, il lui dit : toi-moi-mangeons. « J’ai toujours pensé qu’être chrétien voulait dire ne représenter que 1%. Ici c’est comme ça », dit Kun Li qui est aujourd’hui dans la Fraternité : « Mais quand je suis allé au Meeting de Rimini, j’ai découvert que j’étais dans une grande famille et j’ai éprouvé un désir ardent de construire l’Église ». C’est avec le même désir qu’A-Mei et Chun-Jia, qui sont sœurs, s’occupent de la paroisse et de la maison des missionnaires. « Nous le faisons pour remercier Dieu de nous avoir fait revenir à la maison ». Elles ont connu la foi étant enfants grâce à leur pauvre papa soldat, dans le village de Xizhou où on était chrétiens pour avoir de la farine et des médicaments. En grandissant, elles ont vécu plusieurs années loin de l’Église : plus de trente ans pour A-Mei qui s’est mariée avec un taoïste. Leurs parents désormais âgés ont dû s’installer près de leurs filles dans une banlieue de la capitale et ont beaucoup souffert de l’éloignement. Ce sont les chrétiens de cette zone qui se sont occupés d’eux. Quand leur père est mort, A-Mei les a tous vu arriver : « Ici, aucun étranger ne rentre dans la maison d’un mort. Et moi je pleurais mais ce n’était pas seulement de douleur : je pleurais à cause de leur présence ».

« NOUS Y VOILA ! ». Aujourd’hui A-Mei et sa sœur font partie de la Fraternité avec douze autres amis. Parmi eux, il y a Julie qui habite loin de Taipei : si elle ne peut pas se déplacer, ce sont les autres qui viennent la voir. Ça semble peu de choses mais ici c’est tout : « les gens travaillent sans arrêt et n’ont pas de moments libres », raconte don Paolo qui est à Taipei depuis plus de dix ans :
« Il n’est déjà pas habituel de se retrouver pour dîner, alors imaginez passer des vacances ensemble. Ici il n’y a que les vacances d’État avec cinq jours au Nouvel An et c’est tout ». Et eux, cette année, ils sont partis en vacances ensemble à la montagne.
Au moment de proposer à leurs amis les plus proches de faire partie de la Fraternité, les missionnaires étaient hésitants : qui sait s’ils vont comprendre, quelle réaction vont-ils-avoir… Ils ne voulaient rien imposer, mais la réponse les a dépassés : « Nous y voilà ! C’est ce que nous attendions », ont-ils entendu. « Ils ressentaient le besoin d’un engagement plus définitif », dit don Donato en parlant de cette communauté née autour de don Paolo et des autres missionnaires qui se sont succédé au fil des ans. La première étincelle du mouvement est apparue à Taipei en 1995 avec un couple d’enseignants à l’Université catholique Fu Jen. Depuis, ce sont presque vingt ans d’arrivées et de départs, de nouvelles rencontres, la présence de la Fraternité Saint Charles à qui deux paroisses ont été confiées, et enfin, en 2010, le premier voyage en Italie de la communauté taiwanaise qui a beaucoup marqué leur amitié. Le premier miracle dans un endroit comme celui-là c’est justement la familiarité qu’ils vivent. « Nous sommes comme frères et sœurs » dit timidement Mu Dan, femme de Kun Li. Un lien plus fort que celui du sang. C’est ce qui a frappé Emilia. Elle n’est pas sur la photo car c’est elle qui la prenait. Elle a 25 ans. « Si je rencontrais don Giussani aujourd’hui, je lui baiserais les mains pour le remercier. S’il n’avait pas été là, il n’y aurait pas eu Cl. Sans Cl, je n’aurais pas été baptisée. Et sans le Baptême je ne serais pas heureuse comme je le suis ». Son visage s’illumine pendant qu’elle parle en italien avec émotion. Un jour, elle a vu la photo de certains de ses amis d’université sur Facebook : ils étaient allés en Italie, à Rimini… Elle a voulu comprendre et a cherché à les revoir. Elle s’est retrouvée à l’École de Communauté. « Ces amis étaient différents, avec une vie plus profonde. Ils étaient sérieux avec moi et ils affrontaient tout, même l’affectivité, d’une manière plus belle que ce que j’avais l’habitude de faire. Je me suis dit : ici, nous sommes dans un autre monde ».
Il y a un an, lors de la nuit de Pâques, elle a reçu le Baptême. Et maintenant, elle invite tous ceux qu’elle rencontre. « Je veux partager ma joie avec tous ». Même en famille où les problèmes ne manquent pas. « Tout a changé car ces amis m’ont dit :
« nous prions pour toi et ta famille ». J’ai alors pensé : si eux, prient pour moi, pourquoi ne puis-je pas être plus ouverte, plus constructive ? Aujourd’hui je suis très proche de ma famille alors que cela n’était pas le cas avant ». Elle a tant désiré entrer dans la Fraternité : « Je sens que j’ai une responsabilité : toute ma vie peut contribuer à approfondir ce que j’ai rencontré. J’ai toujours pensé qu'il n'était pas possible de devenir saint. Mais c'est notre but ».