Un chemin impossible à parcourir sans amis

Environ soixante-dix personnes se sont réunies, venues des deux côtés de la frontière brûlante entre la Russie et l’Ukraine, mais aussi en provenance de la Biélorussie, de la Lituanie et de l’Italie
Luca Fiore

Roman est russe, Michail biélorusse. Ils sont diplômés en théologie à l’université orthodoxe Saint Tikhon de Moscou. Le week-end de la Toussaint, ils se rendent à Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine qui compte deux millions et demi d’habitants, pour les journées de début d’année de la communauté locale de CL. Comme tous les hommes en âge d’être mobilisés en provenance de Russie, ils sont contrôlés à la frontière, suspectés d’aller combattre aux côtés des indépendantistes du Donbass.

Alekseij arrive à Kharkiv en train depuis Kiev, avec des Italiens et des Ukrainiens. Dans leur compartiment se trouve un soldat en route pour le front. Il comprend l’italien, et il demande ce qui réunit ce groupe d’amis. « Nous allons à une rencontre avec des assemblées ; nous entendrons un Italien qui s’occupe d’une communauté de réinsertion pour toxicomanes (il s’agit de Silvio Cattarina, fondateur de la communauté L’imprevisto, à Pesaro, ndr) ». Il répond : « Ah, je vois : vous êtes communistes… ».

Le commencement est toujours un don, disait-on à la journée de début d’année de Milan. Ici, à Kharkiv, à 250 kilomètres des champs de bataille, le don est encore plus inattendu. Ce n’est pas seulement le lancement de l’année civile, mais le début de quelque chose de totalement nouveau dans la vie de CL et de l’Église orthodoxe. Alexandr Filonenko inaugure ces trois jours en introduisant le thème : « Qu’est-ce que la vie chrétienne comprise comme un chemin ? Pourquoi est-ce impossible de parcourir ce chemin sans amis ? Pourquoi les miracles ne nous semblent-ils jamais suffire dans leur vie ? Et pourquoi a-t-on besoin des amis pour reconnaître les miracles ? ».

Environ soixante-dix personnes sont réunies, venues des deux côtés de la frontière brûlante entre la Russie et l’Ukraine, mais aussi en provenance de la Biélorussie, de la Lituanie et de l’Italie. Filonenko a invité les amis orthodoxes avec lesquels, il y a une dizaine d’années, il a participé à un institut théologique estival dans une paroisse de la banlieue de Kiev. Il s’agit d’une expérience née autour du charisme du métropolite Antoine de Souroge et qui a croisé de manière inattendue l’expérience de don Giussani. Il y a un éditeur de Kiev, un poète de Minsk, les jeunes russes de Saint Tikhon, de jeunes Italiens venus étudier le russe.

Pour l’occasion, le père Filaret, le curé qui accueille l’initiative théologique estivale, et Ilarij, l’évêque auxiliaire du Métropolite de Kiev, sont venus aussi. Ils restent deux jours et assistent à l’introduction et aux témoignages du vendredi soir, à la leçon de Filonenko sur la trame de celle du père Julián Carrón à Milan, au témoignage de Silvio et Miriam Cattarina et, pour finir, à l’assemblée de l’après-midi durant laquelle tous deux interviendront. C’est la première fois qu’un Évêque orthodoxe participe et intervient à un geste d’une communauté de CL, formée en majorité d’orthodoxes. Chez les orthodoxes, les mouvements laïcs, quand ils existent (et c’est rare), sont très suspects ; à plus forte raison lorsqu’il s’agit de réalités provenant de charismes issus du catholicisme. Ce qui se passe autour de Filonenko est quelque chose d’inattendu pour lequel il n’existe pas de recettes préalables, ni du côté catholique, ni du côté orthodoxe. L’évêque Ilarij affirme avoir vu quelque chose de bon mais – avec une franchise inhabituelle dans le monde de la hiérarchie orthodoxe, qui n’oublie pas la prudence bien compréhensible – il reconnaît qu’on ne pourra juger de la teneur de cette expérience nouvelle qu’avec le temps.

Cette expérience nouvelle comprend d’étranges histoires, comme celle de Davide, Italien de Catane, auteur d’une thèse à l’Université catholique de Milan sur Julien Ries, qui accepte de poursuivre ses études à Kiev pour faire connaître la pensée de ce savant belge si cher à don Giussani. Ou encore l’histoire du père Potapi Tsurtsumia, prêtre orthodoxe géorgien, ancien homme d’affaires à Moscou qui, pour la quatrième fois déjà, et avec une joie toujours plus grande, accueille la communauté de CL pour la liturgie dominicale dans sa petite église de la campagne ukrainienne : un accueil impensable dans la plupart des églises orthodoxes de la ville.

À Kharkiv, on n’avait jamais entendu de témoignage comme celui de Cattarina, venu présenter l’édition russe de son premier livre, Rentrons à la maison, lors d’une rencontre publique. Il est accompagné d’Enrico et Marigona, deux jeunes passés par la communauté L’imprevisto. Dans l’auditoire se trouvent des travailleurs sociaux, des jeunes qui suivent des parcours de désintoxication et des parents blessés et désorientés qui demandent : « Pouvons-nous envoyer nos enfants dans votre communauté ? ».