La vera suerte

Une semaine après l’Audience avec le Pape, l’Assemblée des responsables de CL a réuni au Brésil trois cent personnes provenant de toute l’Amérique Latine (Aral).C’est la vie d’un peuple qui, depuis la Place Saint Pierre, continue ici.
Alessandra Stoppa

« Tout dans notre vie », a dit le Pape, « commence par une rencontre ». Pas avant, pas après, maintenant. Une semaine s’est écoulée depuis l’Audience et Alexandre, médecin à Sao Paulo, raconte sa rencontre avec quelques étudiants. « Nous pouvons rentrer tous à la maison », a dit le père Julián Carrón après l’avoir écouté et en défiant les trois cent personnes de l’Assemblée des responsables de l’Amérique Latine provenant de vingt pays et rassemblés par une journée de pluie violente de l’été brésilien. Mais personne ne se lève, c’est évident : le plus beau commence.
Alexandre enseigne à la Faculté de Médecine de l’Université pauliste, où est formée l’élite du Brésil. Le climat y est tendu, les collectifs étudiants se multiplient ainsi que les luttes pour tout type de droit. Au point que dans l’auditoire, durant les leçons, deux professeurs doivent être présents pour “garantir l’objectivité”. « Une demande en moi s’est forgée », raconte-t-il. « Comment peut-on annoncer la nouveauté du Christ à travers la matière que j’enseigne. ». À la fin de la leçon, un étudiant vient le trouver. « Je veux rester avec vous ». Quelques jours après, deux autres jeunes, tout comme le premier, athées et de gauche, lui dirent : « Nous voulons être des médecins plus humains, comme vous. Est-ce inné ou on peut l’apprendre ? ».

LA LUTTE INVISIBILE.
Ils ont commencé à se rencontrer une fois par semaine, sans jamais même aborder l’argument de la foi. L’amitié grandit jusqu’au jour où ils ont fait une promenade en montagne. Alexandre raconte son expérience. Les jeunes sont stupéfaits que la réponse à toutes leurs demandes soit l’Église. Le jour suivant, ils ont cherché CL sur internet et ils reviennent vers lui : « Nous voulons faire l’École de communauté, même si nous sommes athées ». Ils commencent à travailler sur le texte Le sens religieux. « L’un deux m’a dit : “le parcours que nous faisons ensemble m’ouvre le cœur”», continue Alexandre. « Ils ont invité d’autres compagnons et ils m’ont demandé de pouvoir payer le fonds commun et de faire la “caritative” ». L’histoire continue mais Carrón s’exclame : « Est-ce que nous croyons vraiment que la foi exerce une attraction ? Deux mille ans après, la même chose se reproduit. Le dernier arrivé se rend compte de la nouveauté qui nous a saisis entièrement, par la diversité avec laquelle nous faisons les choses. Nous nous agitons face aux défis, nous pensons que l’alternative est la lutte frontale ou l’impossibilité d’être soi-même dans la réalité. Nous répondons aux apparences alors qu’il faut seulement vivre le trésor que nous avons reçu ». C’est ainsi qu’en l’autre s’ouvre une lutte, tout comme dans le cœur de cet étudiant, une lutte que le monde ne voit pas mais qui d’un coup explose en une demande : « Je vous rester avec vous ».
C’est la « méthode de Dieu ». Il y reviendra souvent durant l’Assemblée, commencée par la vidéo de l’Audience et qui, durant ces trois jours, sera dominée par le fait que cela continue ici. « Voici le point central : qu’est-ce qui nous est arrivé à Rome ? ». Ou même à dix mille kilomètres de Rome. Il était quatre heures et demi du matin le 7 mars, et Silvia suivait la retransmission en direct dans le salon, chez elle, à Lima, au Pérou. À la fin de l’Audience, son mari Ivan, grand et imposant, était en larmes. Il lui a seulement dit : « J’ai le cœur qui éclate pour l’amour que le Christ a pour moi ».
« Nous sommes allés à Rome pour être embrassés par Sa Présence quelle que soit la situation que nous puissions vivre », dit Carrón. « Le Pape a fait arriver ce qu’il nous disait ». Quelqu’un qui arrive et nous aime, tout en sachant tout de nous et qui nous appelle encore, espère en nous, attend quelque chose de nous. « Ce samedi-là, j’ai été de nouveau touché par le regard qui, un jour, a bouleversé ma vie », raconte Marco, surnommé “Bracco”, responsable du Brésil. « Alors que j’étais perdu dans mes préoccupations, comme Mathieu ».
Comme Abraham. « Le choix dont moi, toi, chacun de nous fait l’objet. L’élection d’un homme », dit Carrón. « C’est ainsi que Dieu change le monde, même si nous pensons que cela n’a pas d’incidence. L’unique chose nécessaire à faire est de se convertir : vivre avec la conscience d’être aimé est le fait politique, culturel et social le plus pertinent qui existe ». En de nombreux pays réunis à l’Aral, le quotidien est fait de grandes épreuves. Mais la modalité d’action de Dieu désarme comme un embrassement dans la violence et elle est disproportionnée comme le petit peuple de jeunes, mères, pères, missionnaires, éparpillés dans la vaste étendue de l’Amérique latine.

FOI ET ROCK.
Les amis vénézuéliens sont tombés dans la famine (cfr p. 66). Le père Leonardo est de Caracas : « C’est la réalité qui nous décentre. Tout ce qui est en train d’arriver me pousse à reconnaître d’autant plus la caresse de la miséricorde sur ma vie ». On le voit dans l’unité retrouvée dans la communauté au point de faire la file à la pharmacie en ayant en tête les besoins des autres, la tendresse avec laquelle on se surprend à regarder le chef de la police lors d’un affrontement avec les étudiants, les amis qui n’ont pas d’argent mais donnent au fonds commun « parce que le mouvement leur donne en retour la vie ». Et ici, à l’Aral, on voit arriver des sacs et des valises en provenance d’autres pays, avec de la nourriture et des médicaments. « Nous nous sentons comme les premiers chrétiens » raconte, ému, Alejandro, qui a à peine reçu une nouvelle paire de jeans d’un ami colombien.
Oliverio a 39 ans et vit à Coatzacoalcos, dans l’État de Vera Cruz, l’un des plus violents du Mexique. Il travaille dans le magasin de son père qui, il y a quelques années, a été enlevé et tué. En écoutant le Pape, une grande nostalgie lui est venue pour toute son histoire. « Je jouais dans un groupe, je me droguais et je buvais. Et la mort de mon père m’a sauvé la vie, car c’est à ce moment-là que j’ai rencontré le mouvement. Tout ce que j’ai aujourd’hui est grâce à cette miséricorde ». Aujourd’hui il est père lui aussi, de trois enfants, et avec quelques commerçants, touchés par son désir de risquer, il a commencé un projet d’aide à la ville et dans un lieu aussi massacré, il n’a pas perdu la passion pour la vie (et pour la musique, il a à peine enregistré un disque rock). Le père Julián de la Morena, responsable de CL en Amérique latine, est touché par ces amis toujours plus impliqués dans la réalité de leur pays. « En chemin, nous devenons toujours plus conscients que toute notre contribution est la construction d’un peuple, un peuple avec Jean et André dans les yeux ».

PALMADITA.
Durant ces trois jours, on marche ensemble sur le chemin que le Pape a proposé et on le fait à la lumière de la « préférence du Mystère », qui, comme le dit Carrón, rejoint chacun de nous « non avec une palmadita, une tape sur l’épaule, mais avec qui nous parle du Christ et de Sa miséricorde, de ce dont nous avons besoin pour vivre. Nous nous trompons souvent à propos de la préférence, car nous ne connaissons pas notre besoin : nous sommes préférés parce que nous L’avons rencontré ! C’est là toute notre chance ».
Santiago, 33 ans, argentin en Uruguay, demande ce que signifie ce « Soyez libres ! ». « Je suis en train de perdre mon poste de travail », raconte-t-il, « Et je ne suis pas du tout libre. Qu’est-ce que cela signifie être libre ? ». Carrón répond alors : « Le Pape dit : soyez libres ! Alors commence maintenant : sois libre, tout de suite. Risque. Justement à partir de cette phrase, fais une hypothèse en fonction de ton expérience. Il vaut mieux se tromper que de ne pas être libre. Alors dis-le-moi : que dit son appel, à toi et à ta situation ? Où trouves-tu la liberté ? ». Santiago raconte qu’il s’est mis à chercher un autre travail mais que cela ne l’a pas rendu libre. Et qu’il a beaucoup prié, et cela l’a rendu « un peu libre… ». « Nous nous coinçons deux fois », insiste Carrón : « Outre le fait de perdre le travail, nous avons aussi le problème de ne pas réussir à être libre. Alors, lisons ce que dit le Pape sur la liberté : “Giussani a éduqué à la liberté en conduisant à la rencontre avec le Christ, car le Christ nous donne la vraie liberté”. Est-ce le fruit de notre effort, de notre énergie ? Non. Alors, qu’est-ce qui nous donne la liberté ? ». Il commence à parcourir la rencontre de Jean et André avec Jésus : la stupeur qui les laisse remplis de silence, la manière dont ils se saluent sans se saluer parce qu’ils sont une seule et même chose, et puis André qui arrive chez lui et embrasse sa femme en pleurant : « Qu’est-ce que tu as fait ? ». C’était bien lui, mais il était un autre. Ainsi Carrón met devant les yeux de tous que l’on n’est pas libre mais libéré, que la liberté est entièrement donnée. « Tu dois le vérifier dans ton expérience », dit-il à Santiago : « Et ensuite voir s’il t’arrive de te découvrir libre, non en théorie mais réellement et de découvrir d’où nait la liberté. Je ne peux pas te répondre moi-même. Je ne peux pas t’épargner l’expérience. C’est là un exemple de travail que nous devons faire par rapport à la proposition du Pape ».
Le jour de l’Audience, sur le parvis, il y avait aussi Cleuza et Marcos Zerbini. « J’ai été ému de voir ce peuple ». À peine avait-il commencé à parler que les larmes coulent sur le visage de Marcos, lui qui connaît les grandes foules, les milliers de personnes de Trabalhadores Sem Terra : « De tous les coins du monde, nous étions une seule chose. Le problème n’est pas d’appartenir à un peuple, mais d’en rendre compte. Ne pas le tenir pour acquis ».

À L’EMBOUCHURE
« La beauté de ce qui m’est arrivé a besoin de temps », dit Cleuza : « Maintenant je sais seulement que je vis avec un autre cœur. Partout là où je suis ». Le lendemain de Rome, elle était déjà submergée par les réunions de travail : « Mais c’était la même chose que d’être sur la Place. Le Christ est-il mon centre ou non : c’est cela qui fait la différence ». Elle donne un exemple franc, tout comme elle : « Nous sommes allés sur la Côte amalfitaine, en tant qu’hôtes dans l’hôtel d’amis qui étaient eux par contre à l’étranger. Ils nous avaient tout préparé, sur une terrasse dans cet endroit merveilleux… Et pourtant, il ne l’était pas comme les autres fois, parce qu’eux manquaient. Avec le Christ, c’est la même chose ».
« Laissons-nous défier par les choses belles qui nous arrivent, par les actions de Dieu », c’est l’invitation qui revient souvent dans l’assemblée, où les problèmes et les demandes émergent, et où le désir grandit de ne pas vouloir se sentir en sécurité et suffisants, mais décentrés de soi-même. Jovana, brésilienne, ayant à peine terminé ses études, se découvre « décentrée » de la compagnie « car celle-ci ne résout pas les problèmes comme je le voudrais mais elle me soutient ». Alors que Horacio, qui est en train d’écrire un commentaire désespéré sur la situation politique en Argentine, s’arrête et l’efface : « Cette analyse m’aide-t-elle dans le rapport avec ma femme ? M’aide-t-elle à vivre ? ». La personne vaut plus que le monde entier et la présence active de Dieu est dans les plis des vies qui se racontent lors des petits-déjeuners, les déjeuners et les dîners. Il y a là des jeunes chiliens présents pour la première fois et don Marco, en mission parmi eux depuis des années, les regarde, plein de gratitude : « Leur beauté mérite tout. C’est cela qui m’aide et me fait désirer de donner la vie, comme les témoignages que je vois ici : une chaîne de “oui” qui permet le mien ».
Claudia de Macapà, provenant de l’embouchure du Rio des Amazones, est à l’Aral pour la première fois. Après la projection de la vidéo sur don Giussani, le dernier soir, elle se sent comme quand elle a rencontré le mouvement : « Tout ce que cet homme a dit, jusqu’à la fin de sa vie, est pour moi : il voulait me le donner à moi. Il m’a fait comprendre la dimension