Une vie qui éclate

Que veut dire vivre « enraciné dans le Christ et rien de plus » ? Nous l’avons demandé aux moines de la Cascinazza, le monastère né entre autres grâce à l’amitié avec don Giussani.
Paola Bergamini

« Devant ma fenêtre j’ai des plantes encore toutes anéanties par le gel et le froid de l’hiver. En les observant il m’est venu à l’esprit que toutes les choses, toutes nos choses subiraient le même sort s’il n’y avait pas cette force, ce pouvoir créateur qui réveille devant moi d’autres plantes parées de feuilles vertes et neuves. Cette force mystérieuse a voulu se faire visible, en se rendant proche de notre chemin d’hommes ».
Ces plantes, cette campagne qui commence à se réveiller et dont parle don Giussani au début de la vidéo, sortie le mois dernier et insérée dans Corriere della Sera, sont les mêmes qui entourent la Cascinazza, le monastère bénédictin SS. Pietro e Paolo, aux portes de Milan. « Quand j’ai entendu ces paroles, j’ai pensé que Giussani avait devant les yeux la même réalité que moi je vois tout le temps. Hélas, pareilles considérations sont loin d’effleurer mon esprit ». La remarque de leur confrère font rire les autres moines. Michelangelo continue : « Mais si cela a été possible pour lui, moi aussi je puis y parvenir aujourd’hui. Je désire cette humanité, cette familiarité avec le Christ dans mon cheminement humain. Là où Il m’a appelé ».
Au réfectoire, parmi les dix-sept moines et les trois postulants, certains n’ont jamais connu don Giussani, tandis que d’autres se rappellent fort bien leur rencontre avec lui, avant leur entrée dans la vie monastique et par la suite à l’occasion de ses visites au monastère. Ils se rappellent les paroles qu’il leur adressait dès le début quand il venait les trouver ; son amitié fidèle et discrète fut un élément fondamental pour la vie de la communauté. Mais chez tous la vision de la vidéo a suscité une tension pour leur propre vie. Aucune trace d’un souvenir nostalgique, mais bien une émotion manifeste devant quelque chose qui te fait bouger, te mets en mouvement, comme le pape à l’audience du 7 mars. Dans leurs paroles il y a le récit d’une vie qui te presse, où le fil conducteur est cette « attractivité de Jésus » qui remplit la journée, jusqu’à la faire « éclater ». Nous cherchons de la revivre.

FABRIZIO. Cette vidéo ne te laisse pas tranquille. Don Giussani était comme ça, son humanité est surprenante. Réentendre le « oui » de Pierre et s’entendre dire : nous sommes pécheurs, mais la miséricorde nous embrasse. Les mêmes paroles prononcées par François, le samedi 7 mars. C’est la grâce de ne rien devoir censurer de mon humanité, la possibilité de toujours repartir.

QUIQUE. La regarder réveille l’infini que tu portes en toi. Dans ma vie il y eut une période où je cherchais à réduire la réalité, en quelque sorte j’étais dans la défensive et je disais : cela me va, cela ne me va pas. C’est moi qui décidais, je découpais la réalité. Mais depuis un an tout cela a « éclaté ». J’ai dit: « Seigneur, je veux me faire aimer de Toi en tout. Je ne veux plus te laisser ». La vie refleurit. Il n’y a plus de sélection, tu peux vraiment jouir de toute chose. Même ton péché devient le lieu privilégié de la rencontre avec le Christ. Ainsi le moralisme, la propre mesure sont vaincus. La victoire du Christ. Voir quelqu’un comme don Giussani, avec son tempérament à lui et à ce point accompli jusqu’au dernier jour de sa vie, cela te donne espoir.

PIPPO. Cette vidéo me rend reconnaissant et plein de stupeur d’être ici. C’est comme si je percevais mieux le paradoxe de l’origine de mon histoire. Quand Giussani raconte qu’il cherchait à rencontrer les jeunes pour qu’ils puissent acquérir ces certitudes et cette affectivité dont ils étaient incapables par eux-mêmes, c’est moi qu’il décrit. Moi je n’aurais jamais été capable d’une affectivité telle que je la vis aujourd’hui. Et tout est né du rapport avec lui. Mais il y a un autre aspect important de jugement et de défi: « La foi m’a été donnée pour que je la communique ». C’est cela le but de ma vie. Je puis accomplir un acte qui donne moins de gloire au Christ. La vie m’a été donnée pour que la miséricorde me reprenne, me confère cette énergie, cette simplicité de cœur qui me permet de me laisser regarder comme Giussani m’a toujours regardé. Durant un certain temps j’ai préparé chaque matin le petit-déjeuner des moines. Tant de fois je me levais et je pensais : sommeil écourté, et personne ne se rend compte de ce que je fais… Puis il y a eu une sorte de révolution. Un matin je me suis dit : ce travail je l’accomplis pour moi, parce que je suis attendu. Chaque matin je cherche les traces de cette Présence qui enflamme. C’est une chose qui s’impose. Comme le printemps. Tu aperçois une chose qui est déjà là et tu la reconnais.

GIOVANNI. Fabrizio a raison. La vidéo ne te laisse pas tranquille. À un moment donné je me suis retourné et j’ai vu l’émotion de Matteo et de Monfe. Cette humanité a touché les apôtres, puis don Giussani et puis moi, à travers les amis. Moi qui n’ai jamais rencontré don Giussani et qui ne suis ici que depuis quelques mois. La même expérience que celle de Jean et André. Mais aujourd’hui.

MARCO. Giussani dit que notre présence ici a comme racine le Christ et rien de plus. Notre témoignage consiste à dire que le Christ suffit à rendre un homme heureux. Ici c’est la seule chose qui compte.

PIETRO. « Le don de la foi pour le monde », comme disait Pippo. Je pense que le test que tu es en train de L’annoncer est ton expérience quotidienne. Cela se produit lorsque la conscience de ce qui t’a pris devient une passion. Je donne un exemple. Ma tâche consiste à repasser les chemises. Tu peux commencer ton travail avec une chose en tête : en finir au plus vite ; ou bien tu prends le fer à repasser plein du désir que ce qui est arrivé à toi, puisse arriver à tous. C’est la prière.

MATTEO. Un jour j’étais en train d’éplucher les carottes à la cuisine et me suis découvert dans la joie. Je ne voulais pas être autre part : je coïncidais avec le geste que j’accomplissais. Normalement, surtout quand il s’agit d’une situation difficile, nous répétons : je le fais pour le Christ. Paroles saintes, non fausses. Mais le Christ est déjà avec toi. Cela m’a renversé. Comme dit le pape François: Il te précède. Nous croyons que pour supporter ce qui nous arrive la meilleure chose à faire est de penser à quelque chose de pieux. Au contraire, tu épluche les carottes et tu es dans la joie. Toi-même tu es incapable de te donner la joie, seul un Autre peut te la donner. Quand tu regardes Giussani dans la vidéo, tu te rends compte qu’il coïncide avec ce qu’il dit. Quoi de plus désirable que cela ? Moi je ne l’ai jamais vu, ici il y a tant de personnes qui l’ont connu, mais en l’écoutant je me dis : Dieu a pensé à ce charisme, à cet homme, pour moi. Non pas en premier lieu pour le monde, pour l’histoire, mais pour moi, pour que je puisse rencontrer le Christ.

CLAUDIO. Regarder la vidéo était comme si j’étais exposé au brasier sur lequel je suis tombé il y a cinquante ans avec Giussani. Ce brasier a enflammé ma vie et l’a renflammé tant de fois, malgré toutes mes tentatives de l’enterrer sous les cendres. Je reviens sur la phrase de Pippo – la foi nous est donnée pour la communiquer – qui m’a aussi frappée. Giussani nous a dit un jour : vous devez prier, travailler et vivre comme s’il y avait des gens qui vous regardaient. Et même s’il n’y avait personne, il y a les anges qui font refluer vers les gens ce qu’ils voient. Comme on peut le lire dans le livret Una dimora per l’uomo (Une demeure pour l’homme), qui recueille des paroles dites par don Giusssani au fil des années à notre communauté. La mission, le devoir de communiquer, n’est pas quelque chose de différent ou d’ajouté par rapport à l’intensité de conscience que je suis appelé à laisser se rallumer, et qui connait mille modalités. Le pape, Giussani, Carrón, les plus jeunes d’entre nous et ceux qui guident, les circonstances exceptionnelles et les plus quotidiennes sont les canaux dont le Seigneur se sert pour me reprendre et renflammer ce brasier. Une seule chose est requise : la sincérité de la demande. Alors de Seigneur concède des signes indus mais gratuits de la fécondité que tout cela comporte. Il y a une miséricorde plus grande que les cendres sous lesquelles tu voudrais tout enfouir.

SERGIO. Le film touche la vie, réveille la vie. Une vie comme signification totale. La rencontre avec Giussani a été la réponse au besoin que j’avais en moi. C’était se trouver devant quelque chose de tellement exceptionnel et correspondant que tu comprenais que cela ne pouvait être que le Christ. Notre responsabilité vis-à-vis du monde ? Une obéissance au Mystère du Christ qui m’a ressuscité et qui détermine la forme de la personne dans son éclat essentiel. Je pouvais m’imaginer être heureux dans le mariage, ayant des enfants, mais en acceptant la forme déterminée par la rencontre, je me découvre être heureux et surpris que mon accomplissement soit passé par une modalité si étrange. Dans le vidéo, Giussani dit à un moment donné: Jean et André sont une seule chose, tellement ils sont investis de la même chose ». De là nait une moralité nouvelle : commencer à se regarder, à prendre en main un outil en affirmant Celui qui te constitue. Ça c’est la vie monastique, ou plutôt la vie chrétienne. Quand tu comprends qu’avec Christ plus rien ne te manque, tu peux nettoyer les toilettes et être heureux. Le témoignage de Giussani est pour moi la reprise continuelle de cette vie. Son témoignage et celui de tous ceux qui nous parlent de lui. Car voici le point essentiel : la vie se réveille à travers une vie, non pas à travers des discours, des idées ou quoi que ce soit. Dans Giussani, nous est donnée la grâce et la miséricorde de rencontrer, de toucher le Mystère du Christ.