« Mais pourquoi tenez-vous autant à nous ? »

A Minsk, un meeting marque le début (ou la renaissance) d'une histoire… Il y a le compositeur, le chansonnier, le peintre, la réalisatrice. Tous sont venus voir ce qui fleurit dans une « communauté volante » de catholiques et d'orthodoxes, liés à CL.
Luca Fiore

A Minsk, en Biélorussie, le KGB s'appelle encore KGB. Et il se porte à merveille : Alexandre Loukachenka, son président, est considéré comme le dernier dictateur à l'ouest de l'Oural. On comprend alors pourquoi le poète orthodoxe Dimitri Strotsev a craint jusqu'au bout que quelque chose n’aille de travers. Ce ne fut pas le cas !
Ils ont appelé Pamiezza « Terre des confins », deux jours de conférences et d'expositions inspirées du Meeting de Rimini. C'était les 23 et 24 mai. Minsk n'est pas habitué à ce genre de manifestations, surtout si elles sont organisées en dehors des institutions publiques ou religieuses. « C'est une initiative, a expliqué Strotsev au public, de la “communauté volante” de catholiques et d'orthodoxes qui viennent de Russie, Biélorussie, Ukraine et Italie. Notre amitié a été confrontée à la crise entre Moscou et Kiev, mais nous avons vu que ce qui nous unit est plus fort que la guerre. Ce qui nous lie, c’est la volonté exacerbée de crier Ton nom, Christ ! Nous avons organisé ces journées pour que Minsk puisse voir cette amitié en acte ». Pour expliquer le titre du meeting, Andrei, le fils de Dimitri, montre une icône peinte à la main ; elle représente trois martyrs, Afanasi Filipovich, un orthodoxe (tué par des catholiques), Andrei Bobolia, un catholique, et Josafat Kuntsevych, un Grec catholique, (martyrisés par des orthodoxes).

LUTTE POUR LA RÉALITÉ
Nombreux sont les amis de Dimitri : un compositeur, un chansonnier, un peintre, la réalisatrice de dessins animés ; mais aussi des gens qui sont là tout simplement pour héberger la trentaine d'amis de la « communauté volante », arrivés de Moscou, Kharkov, Kiev, Vilnius et Milan. Il y a aussi Alescha, un orthodoxe de Minsk qui a rencontré CL en 1999. Après avoir participé à une Ecole de Communauté qui a compté jusqu'à dix personnes et s'être inscrit à la Fraternité, il était seul depuis cinq ans quand on lui a présenté Dimitri il y a quelques mois. Et maintenant, il se retrouve embarqué dans l'organisation frénétique de Piamezza. Pour lui, c'est un rêve qui se réalise.
C'est une surprise aussi pour le père Alexeï, un prêtre catholique (mais baptisé orthodoxe) qui a fréquenté le CLU à Piacenza, pendant son séminaire. Aujourd'hui, il est à la tête d’une paroisse de 40 fidèles, à 200 kilomètres de Minsk. A Piamezza, on voit arriver aussi le père Vadim, un orthodoxe qui faisait partie, avec Alescha, du premier groupe de l'Ecole de Communauté.
Les quatre-vingts personnes réunies au musée littéraire Maxime Bahdanovic écoutent Adriano Dell'Asta, de Russie chrétienne : elle parle de son livre Dans la lutte pour la liberté, une réflexion sur la différence entre idéologie et expérience, thème brûlant dans la société post-soviétique. Alexeï Sigov présente l'exposition du Meeting de Rimini, dédiée à Charles Péguy. Le deuxième jour, dans la salle des congrès du portail Tut.by, Alexandre Filonenko commente l'exposition sur la Sagrada Familia d'Antonio Gaudí. Le dernier invité, Franco Nembrini, ‘introduit’ par la lecture de la poésie Père et fils de Strotsev, parle de l'édition russe de son livre De père en fils. Le thème de l'éducation, étroitement lié à celui de la transmission de la foi — si tant est que cela soit possible — est encore plus urgent dans les sociétés post-soviétiques que dans celles du monde occidental. Le soleil resplendit sur les immeubles soviétiques de la banlieue, comme sur les bâtiments du centre historique, reconstruits d'après le projet original des Jésuites au XVIIe siècle. Minsk sait séduire celui qui le découvre pour la première fois.
Ania, la femme de Dimitri, a accueilli les amis de CL avec gratitude et curiosité : « La raison pour laquelle nous avons besoin de vous est très claire pour moi. Mais, vous, pourquoi tenez-vous autant à nous ? ». Quiconque a assisté en fin de journée à l'assemblée dans le bureau de Strotsev, détient la réponse. Dans la petite pièce où s’est réunie la « communauté volante, il n'y a pas assez de chaises pour la trentaine de participants, au point que certains doivent s’asseoir par terre. « Je vous ai rencontrés il y a un an, et la joie et la stupeur continuent. Je suis heureuse, tout simplement », dit Ira de Kiev. Ekaterina, venue d'Ukraine elle aussi, raconte le voyage en autobus avec les autres : dix heures de voyage ! « Une fois à Minsk, je suis allée immédiatement acheter un billet de retour par le train. Mais, aujourd'hui, j'ai décidé de rentrer en autobus. J'ai compris que, dans la vie, j'ai deux possibilités : être à mon aise, mais seule, ou être mal installée, mais avec quelqu'un ».
Michaïl rappelle que, à la fin de la journée, quand tout semblait fini, il a vu Misha aller vers Alescha en lui disant : ‘Ciao, je m'appelle Misha’. Ainsi, la fin est devenue le début de quelque chose. Et c'est souvent comme ça. Tous mes vœux pour ce nouveau début ! ». Luda a été amené à Minsk par Michaïl: « C'est la première fois, dit-il, que je participe à un geste comme celui-là. J'ai vu ici des personnes qui vivent ce qu’elles disent. Derrière leurs paroles, il y a un travail quotidien. Merci pour les questions que vous avez ouvertes en moi ».

UN RIRE ECLATANT
Ksisha, une amie de la famille Strotsev, a un passé d'actrice et de toxico. Elle est là, elle aussi, et dit avec des yeux difficiles à oublier : « Hier, j'ai couru à la maison, je voulais rencontrer ma mère et mes enfants, je désirais qu'eux aussi puissent voir cette lumière à laquelle je me suis accrochée grâce à vous. Et puis, il est arrivé plein de choses et cela ne s'est pas passé comme je le croyais. Mais ils ont compris qu'il m'était arrivé quelque chose ».
Iana qui est venue de Moscou dit, les yeux baissés : « J'ai peur de perdre les amis que j'ai trouvés ici. J'ai peur de perdre le feu qui s'est allumé. J'avais la nostalgie d'un lieu comme celui-ci. Je suis protestante et j'ai compris que, vous aussi, vous êtes tous ‘protestants’ ». La pièce retentit d'un formidable éclat de rire. Kolia, de Kharkov, se lève immédiatement pour réagir : « Non, ce n'est pas vrai, je suis orthodoxe et je suis convaincu qu'ici tous sont ‘orthodoxes’ ». Nouvel éclat de rire. Et il ajoute : « Je repars avec la pensée que, ce qui caractérise un chrétien, c'est l'attention au Christ dans chaque détail de sa vie. Quand cela se produit, c'est comme si tu te mettais à construire une cathédrale ».

Le soleil vient de se coucher, ce 24 mai qui, cette année, coïncide avec la Pentecôte dans le calendrier catholique.