« Balla » et la lueur d’une certitude

Andrea Balarin est mort le 20 octobre dans un accident. L’homélie de ses funérailles.

« “Balla” est notre ami et il sera de plus en plus notre ami. Le témoignage qu’il nous a laissé à tous est que “la valeur de notre vie réside entièrement dans l’instant vécu avec la densité d’une vocation”. En effet, il était à la recherche de sa vocation, même sur un plan professionnel. Et pourtant sa vie était déjà accomplie, simplement en vivant la beauté qu’il avait rencontrée. Andrea nous témoigne que la valeur de notre vie réside entièrement dans l’instant présent, dans notre rapport avec le Christ ». Ce sont les mots du père Pierluigi Banna, très proche d’André et de sa famille, qui souligne que c’est précisément dans la douleur, apparemment insurmontable, que « la lueur d’une certitude se fait jour ». Et ce qui le prouve, c’est l’existence même de ce jeune de Limbiate, qui « donnait sa vie pour le Christ », accompagnée du témoignage des membres de sa famille, comme sa maman Luciana, qui lui a dédié un chant, ou sa sœur Maria Grazia, qui reconnaît : « c’est paradoxal, mais en ce moment je me sens aimée comme jamais cela ne m’était arrivé dans ma vie ».

Le texte de l’homélie du père Pierluigi

La mort d’un ami cher, la mort d’un enfant, la mort d’un frère nous remplit d’une douleur qui semble presque nous couper le souffle. Il semble qu’il n’y a plus de place pour autre chose que la douleur, parce que jusqu’à mardi il était encore là, et brusquement il n’est plus là.

Pourtant cette douleur n’est pas complètement aveugle, privée de direction, sans possibilité de demander, ou de poser un jugement de valeur. La douleur, la nostalgie, la sensation de vide risquent, si on ne les regarde pas en face, en ce moment, de remplir l’horizon de nos journées actuelles, en donnant l’impression d’être quelque chose de totalisant et d’insurmontable. Mais ensuite, un jour, elles disparaîtront en emportant avec elles le souvenir de notre ami Balla, en le laissant dans la mémoire du passé, dans l’oubli injuste auquel nous condamne l’histoire humaine.
Mais il existe une alternative. Nous ne sommes pas destinés à être accablés par la douleur aujourd’hui et à faire des commémorations demain. C’est justement l’atrocité et l’injustice de la douleur qui peuvent ne pas nous laisser sans voix et nous faire crier que tout ne peut pas se terminer ainsi, que cela n’est pas tout. Grâce à la façon dont Balla a vécu, grâce à ce que nous avons vu et vécu avec lui, dans l’obscurité de la douleur la lueur d’une certitude se fait jour : tout ne peut pas se terminer ainsi. Ce jugement de valeur s’appuie sur toutes les fois où nous avons reconnu en Balla cette sympathie de Pierre qui fait monter Jésus dans sa barque. Cette sympathie qui reconnaît qu’il n’a rien pris de toute la nuit, qui lui fait jeter ses filets sur la parole de Jésus et puis qui, dans un élan d’étonnement et d’émotion, le fait se jeter à genoux devant Lui.

Chacun de nous doit choisir s’il se laisse accabler par le sentiment de la douleur ou s’il fait confiance à ce jugement de valeur, même s’il n’est qu’initial, qui affirme ce que Balla a cherché toute sa vie, même lorsqu’il se trompait. Nous, nous pouvons défier la douleur en nous demandant : mais pour qui Andrea a-t-il donné sa vie ? Si nous l’avions interpellé dans la rue, même en supposant qu’il se soit senti gêné, si nous lui avions demandé : « Mais toi, Balla, pour qui es-tu en train de donner ta vie ? », lui, il nous aurait tout de suite répondu : « Pour Jésus ! ». J’en suis sûr.

En effet, il y a quelques mois, il écrivait à l’une de ses amies : « Je ne vaux pas grand-chose, mais je peux aimer avec une puissance qui me dépasse de partout ! Mettons que je meure en cet instant, et que je me retrouve devant Jésus pour le jugement sur ma vie. Lui, il me demanderait : “Balla, est-ce que tu m’aimes ?”. Moi, je pourrais lui répondre : “Écoute Jésus, moi, j’ai aimé les personnes que tu m’as permis d’aimer, et je t’en remercie. Je n’ai pas pu en faire plus”. Lui, il prendrait le tampon sur lequel est écrit “sauvé” et il l’appliquerait sur mon dossier, puis il me dirait : “Un cas d’indentification imparfaite. Ajouté aux péchés véniels, cela fait dix mille années de purgatoire. Tu peux y aller, quand tu sortiras je serai là à t’attendre”. Mais ce que je ne pouvais pas imaginer, c’était la découverte de Celui qui m’accorde cette puissance. Je n’ai jamais perçu le Mystère de façon aussi claire, aussi libre de tout raisonnement, je n’ai jamais dialogué de façon aussi directe avec Lui que pendant ces deux derniers jours. Rien à voir avec un enchaînement d’arguments ! Lui, il est là, derrière les détours de mes pensées. Alors le matin, à la messe, pendant la communion, j’ai voulu prier pour cela. Il y a une seule demande à Lui faire qui m’est venue à l’esprit, et je ne sais même pas si cela se dit : “Sois là !”. Quelle émotion de savoir qu’il y a Quelqu’un qui m’aime davantage que je n’en suis capable, et qui a voulu me donner un avant-goût de ce qu’il peut faire de moi ! ».

Ce jugement de valeur qu’il a donné sur sa vie, en se mettant face au Mystère, comme la vie de Pierre remplie d’étonnement et d’émotion face à Jésus, c’est le plus grand témoignage que Balla nous a donné pour rester face à la douleur de son absence, à la douleur de sa mort.

Avec ce jugement qu’il a exprimé, « Sois là ! », Balla est notre ami et il restera notre ami : nous n’en ferons pas simplement la commémoration, mais, avec le temps, nous percevrons qu’il est de plus en plus notre ami. Lui, il nous témoigne que la valeur de notre vie réside entièrement dans l’instant vécu avec la densité d’une vocation. Parfois, Balla se demandait ce qu’il ferait de sa vie, quelle femme il épouserait, s’il pourrait aimer vraiment, comment il aiderait plus tard ses frères et sœurs, sa famille, quel travail pourrait lui convenir. Peut-on penser qu’il avait encore bien des choses à comprendre, bien des choses encore floues qu’il allait devoir clarifier ? Eh bien non. Sa mort inattendue nous rappelle à tous que la vie n’est pas accomplie si on réalise ou pas nos projets (le travail, la vocation, la famille), mais que la vie est accomplie si, à chaque instant – le matin quand je me lève, devant ton visage, de même que devant une voiture qui arrive droit sur moi –, moi, surpris par la question : « Mais toi, pour qui vis-tu ? », je peux répondre en disant : « Sois là, Seigneur ». Une vie accomplie c’est la vie de quelqu’un qui, dans l’instant qu’il doit vivre aujourd’hui ou demain, répondrait comme Balla : « Sois là » ; ou comme Pierre, qui a dit : « Seigneur, tu sais tout, tu sais que je t’aime ».

Au revoir, cher ami ! À présent, toi comme Pierre, « ayant tiré ta barque sur la rive, tu as tout quitté, et tu l’as suivi ». Maintenant que tu es en train de le suivre, pendant que tu lui parles de tes frères et sœurs, de tes parents et de tous tes amis, pour nous préparer au ciel un endroit où nous nous retrouverons tous – et ce sera une grande fête ! – prie pour nous, pour que chaque jour nous puissions, comme toi, dire notre oui, notre « Sois là », dans les circonstances les plus banales et imprévues à travers lesquelles le Seigneur nous fera passer.