Joshua est libre

Il avait 25 ans quand sa vie a été brisée, et depuis, il en a passé dix-huit en prison. Joshua Stancil, ex-deejay en Caroline du Nord, revient dans un monde où tout a changé. Tout comme sa vie, depuis qu’il a cédé au visage de la miséricorde.
Luca Fiore

Il est allé embrasser sa mère. C’est la première chose qu'il a faite en sortant de prison, après avoir passé 18 ans derrière les barreaux. Et sur la route qui menait chez lui – à Asheboro en Caroline du Nord –, alors qu'il était encore dans le fourgon pénitentiaire, Joshua s'est rendu compte à quel point le monde avait changé depuis 1996. Arrêté à un feu, il a regardé autour de lui : tous ceux qui attendaient, dans leur voiture ou sur le trottoir, avaient le regard fixé sur leur smartphone. « Quand je suis entré en prison, ces gadgets-là n’existaient pas ». L’Amérique a vraiment changé. Le 11 septembre, la guerre en Afghanistan, l’invasion de l’Iraq… Mais aussi Twitter et Facebook, Lady Gaga et Miley Cyrus.

Lui non plus, Joshua Stancil, 44 ans, n’est plus le même qu’avant. Car il a été libéré bien avant sa sortie de prison. Les lecteurs de Traces le connaissent pour avoir lu certaines de ses lettres qu'il a écrites en prison. Il était l'un des protagonistes de l’exposition au Meeting de Rimini "être racheté en veillant". Au cours des prochaines semaines, il va raconter son histoire dans de nombreux centres culturels dans toute l'Italie. Tout a commencé par une page d’un livre lu par hasard, ainsi qu’une visite inattendue.

La vie de Joshua s’est brisée alors qu’il avait vingt-cinq ans. À l'époque, il travaillait comme deejay dans l'une des plus importantes radios de Caroline du Nord, la Wksa, de Greesboro. « Je mettais les disques, je lançais des boutades… bref, ce qu'il faut faire pour divertir les gens. J'étais célèbre et les gens me reconnaissaient dans la rue. J'étais ce qu'on appelle chez nous a big fish in a small pond (un gros poisson dans un petit étang), parce que Greensboro n’est pas New York. Mais tout ça m'est monté à la tête et j'ai commencé à penser que les règles valables pour tout le monde ne l'étaient pas pour moi ». Et le succès pour un deejay, cela veut dire avoir toutes les filles à ses pieds. Mais l'État de Caroline du Nord avait depuis peu voté une loi qui relevait l'âge de la majorité, et la relation entre une personne majeure et une personne mineure étant un délit, Joshua a été reconnu coupable et condamné à dix-huit ans de prison.

CETTE NUIT EN SILENCE
« Cela faisait 4 ans que j'étais catholique. Et je l'étais devenu de manière un peu étrange. Ma famille n'était pas religieuse mais nous avions pendant un temps fréquenté l'Église méthodiste, surtout parce que mon frère devait recevoir le Baptême. Mais ensuite nous avons tout arrêté, et je suis devenu agnostique ». À l'université, il se retrouve dans la même chambre qu'un jeune protestant très pratiquant et très anticatholique. « Nous passions la nuit à parler de philosophie, de politique et de religion. Un jour il m'a dit : "Les catholiques iront très certainement en enfer, mais il y a une chose qu'ils font bien, c'est construire des églises" ». Un soir, ils sont allés ensemble voir la Basilique de Saint Lawrence, une église néo-romane du XIXème siècle. L'église était assez sombre et un énorme crucifix pendait du plafond. Il était onze heures du soir et l'église était ouverte pour l’adoration eucharistique nocturne. « Un prêtre est sorti de la pénombre et nous a salués en disant : "God bless you", une formule que l'on dit généralement sans même y penser. Mais lui, il semblait y croire vraiment ». Les deux amis sont sortis de l’église vers minuit, et sont allés prendre un café et mangé un donut. « Nous étions secoués par la beauté du lieu et par cet homme. Nous nous sommes assis et nous avons passé le reste de la nuit en silence. Quelques mois après, je suis allé voir ce prêtre pour lui demander de devenir catholique ».

« Quand on entre en prison – explique Joshua – soit on abandonne la foi, soit on devient fondamentaliste. Mais il ne m'est arrivé ni l’un ni l'autre. Ma vie a changé le 29 décembre 2002, quand Elisabetta et Tobias sont venus me rendre visite ». Et ce n'est pas lui qui avait souhaité les rencontrer. Lui, il ne souhaitait voir personne. Mais il avait lu, quelques mois auparavant, un extrait de don Giussani sur la revue catholique Magnificat. C'était une page du livre Pourquoi l'Église ? : « L'Église primitive, donc, ne se considère pas comme le lieu des gens parfaits ». Cette page a été un soulagement. Il a cherché à savoir s'il existait des livres de Giussani traduits en anglais. Il a reçu quelques numéros de Traces ainsi que les volumes du ParCours.

Au bout de quelques semaines, il a reçu une lettre d’Elisabetta, qui était à l’époque la secrétaire de CL aux États-Unis. Elle lui demandait si elle pouvait venir le voir en prison, accompagnée de Tobias. « J'avais demandé des livres et je n'étais pas intéressé par connaître CL ou rencontrer d'autres personnes – explique Joshua. J'ai accepté parce que c'était impoli de refuser. Je pensais qu'ils venaient pour accomplir quelque devoir religieux, pour faire une bonne action… Et ce fut vraiment une belle rencontre. Elisabetta est tout de suite venue m'embrasser. Ils avaient l'air serein alors que c'était la première fois qu'ils entraient dans une prison. J'étais étrangement heureux. Mais je pensais que je ne les reverrais plus après cette rencontre ». Mais les rencontres ont continué. Et l'amitié s'est élargie à d'autres amis d'Elisabetta et Tobias. « Ils faisaient 4, 8 ou même 10 heures de route pour venir me voir. J'étais content, mais je pensais qu'il ne s'agissait que d’une forme de volontariat et je me disais que cela ne durerait pas ». En 2009, Joshua a traversé une grave crise personnelle. La vie en prison était difficile et il commençait à tout mettre en discussion. « Je pensais qu'à ce point, ils auraient cessé de faire attention à moi, mais ce ne fut pas le cas. Ils ont continué à m'accompagner. C'est à ce moment-là que j'ai compris qu'ils faisaient cela parce qu’ils s'intéressaient à moi. Je les intéressais, pas parce que j'étais un prisonnier à visiter ou parce qu'ils devaient être généreux avec moi. Il y avait autre chose qui nous unissait. Et à un certain moment, j'ai dû l'admettre : leurs visages étaient la façon avec laquelle le Christ avait décidé de me communiquer Sa miséricorde ».

« POURQUOI EST-CE QUE TU RIS ? »
Les derniers mois, Joshua a lu les paroles que le pape François a adressées à CL le 7 mars dernier : « Le lieu privilégié de la rencontre est la caresse de la miséricorde de Jésus Christ envers mon pêché ». « Au début – dit-il – cela me semblait juste être une très belle phrase, assez suggestive. Puis j’ai compris qu’elle décrivait l’expérience que j’avais faite en prison. Le Christ a caressé mon péché à travers ces amis-là. C’est quelque chose que je ne méritais pas. Ils me sont restés fidèles durant quatorze ans et moi, je n’avais rien fait pour gagner cette confiance. Pour moi, le visage de la miséricorde a coïncidé avec ces visages ».

Aujourd’hui Joshua est un homme libre, même si, à travers de nombreuses lettres qu’il a écrites ces dernières années, il a montré combien il l’était déjà depuis longtemps (sa première lettre a été publiée sur Tracce n°11/2002, ndr.). Ses compagnons de prison s’en étaient rendu compte. « ;Pourquoi est-ce que tu ris, tu es drogué ? », lui demandaient-ils. « En prison, les gens se lamentent continuellement. La nourriture n’est pas bonne, les gens sont méchants, les gardiens aussi. Tout est négatif. Si tu ne te lamentes pas, ça se remarque. Imagine alors si tu dis quelque chose de positif. Ça, je l’avais appris de me mes amis du mouvement. Ils reflétaient une légèreté particulière. Eux aussi, ils devaient avoir leurs problèmes, mais c’était clair qu’il y avait quelque chose d’autre qui dominait dans leur vie. J’avais commencé à en prendre conscience dès leur première visite ».

En prison, on doit faire les comptes avec le sens de la culpabilité. Mais celui de Joshua était très particulier : « Je me demandais s’il était juste d’être aussi heureux vu le mal que j’avais fait, vu toutes les personnes que j’avais déçues. J’en ai parlé un jour avec Teresa, Mary Ellen et Michelle, les Memores de la maison de Washington, et Michelle m’a dit : "Mais Jésus sauve tout". Je n’oublierai jamais cette réponse. Est-ce que cela a un sens que Dieu désire que je reste malheureux toute la vie ? Non, Jésus sauve aussi les personne que j’ai blessées et déçues ».

Pour un homme déjà libre, il est plus facile de retrouver la liberté. Les psychologues des prisons disent : « Fais attention parce que ce n’est pas facile de se réhabituer ». Nombreux sont ceux qui commencent à boire et il ne faut pas grand chose, une rixe suffit, pour retomber. « Je vous remercie pour le conseil, mais vous ne devez pas vous en faire pour moi. Durant les quatorze dernières années, je n’ai jamais été seul. Si ce n’avait pas été le cas, vous auriez raison de me prévenir ».

Comment un ex-deejay et ex-prisonnier peut-il réinventer la vie ? « Je me suis inscrit à l’université que j’avais abandonnée pour travailler à la radio. Pour moi, c’est important. Je voudrais devenir enseignant et travailler avec les prisonniers. Je voudrais redonner un peu de ce que j’ai reçu. Mais quoique je fasse, je veux que cela ait un sens. Je veux être sérieux, comme les amis que j’ai rencontrés. Eux, ils savent pourquoi ils vivent, ils savent ce qui anime leurs journées. Et cela ne signifie pas qu’il ne faut pas jouir de la vie et se faire un bon hamburger ». Pourtant, toutes les blessures ne sont pas cicatrisées. Le passé n’est pas encore complètement passé. Son frère, par exemple, ne lui adresse plus la parole. « Lui, il ne s’est jamais trompé dans la vie. Mais sans doute n’a-t-il jamais expérimenté la libération de celui qui se sait pardonné ». Ici, Joshua cite don Giussani : « Le pardon est la chose la plus difficile à accepter parce qu’il s’agit de couper radicalement notre présomption à la racine ». Et il ajoute : « Je le sais bien, parce que j’ai résisté longtemps. Mais quand j’ai cédé, ça a été une vraie libération : on sait alors qu’on est vraiment aimé ».