« Ok, je vous attends à l’heure du thé… »

D’une dispute avec quatre élèves marocains est née une amitié. Et la maison de Cristina et Sergio s’est remplie d’enfants musulmans.
Luca Fiore

« J’ai appris la nouvelle des attentats de Paris en pleine nuit. Le jour suivant, j’ai écrit à quelques amies ce message : "Aujourd’hui, tout en marchant d’une classe à l’autre, j’avais dans le cœur un désir ardent de conversion. De ma conversion, bien avant celle des terroristes. Car la réponse aux attentats est simple : vivre le christianisme, vivre toujours plus en Lui appartenant" ».
Voici l’histoire de Cristina et Sergio, ainsi que celle de quelques enfants musulmans qui ont vu en eux ce désir ardent.
Calcinate est un petit point sur la carte géographique, un village de six mille habitants dans la province de Bergame, où sont nés le joueur de foot Pietro Vierchowod et l’écrivain-deejay Fabio Volo. Il compte aussi une école paritaire assez connue : la Traccia. Pour le reste, il se compose de maisons basses, on y travaille dur, pas de lubies.
Cristina travaille comme enseignante de soutien au collège de l’institut paritaire public Aldo Moro. Chez elle, le soir du samedi 14 novembre, on fête l’anniversaire de son fils Filippo. Il a invité dix amis. Alors qu’ils attendent l’arrivée des pizzas, ils descendent dans le jardin pour faire éclater des pétards. Le vacarme attire l’attention de quatre jeunes marocains. Ils ont à peine pris des kiwis chez un marchand de fruits et légumes et commencent à les utiliser comme projectiles qu’ils lancent contre Filippo et les autres. La bande aux pétards répond par des insultes. Et on entend fuser un beau « musulman de m… ».
« Mon fils rentre à la maison et me raconte », nous dit Cristina : « J’étais furieuse et suis allée les chercher en pensant : "Je les trouve et je leur rabats le caquet". J’étais décidée à les ramener chez leurs parents et à attendre pour compter les gifles que je pensais bien méritées. Mais avant, je les ramène pour leur faire nettoyer ce qu’ils ont sali ».

TRÈS BIEN
Entre-temps, Sergio, son mari, arrive. Il reste calme et Cristina pense : « C’est la meilleure ! Il est en colère toute la journée, et justement maintenant il joue les conciliants ? ». Elle décide de se taire et de voir ce qui va se passer. Elle est convaincue que cette fois Sergio se trompe en étant aussi accommodant, étant donné les mensonges des petits marocains qui continuent à se renvoyer la faute. Et pourtant, alors qu’elle le regarde, elle voit en lui une tendresse étrange et une pensée lui vient à l’esprit : « Cri, ok, ils ont lancé des kiwis et dans quelques années ils pourraient lancer autre chose. Mais toi, tu as quelque chose de plus intéressant à leur offrir ? Ou bien tu penses qu’une belle punition leur suffit ? ». Alors, elle aussi cède et se laisse conduire par cette intuition et, comme l’un des enfants fréquente son école, elle dit : « Les enfants, si vous ne saviez pas quoi faire, vous pouviez me demander de rester avec nous, au lieu de nous prendre comme cible. Vous auriez mangé la pizza avec nous. En fait, fixons un jour pour la semaine prochaine : vous êtes invités ». Tout le monde se calme et les enfants se demandent pardon les uns aux autres. Les marocains pour avoir cherché la bagarre et les bergamasques pour les avoir insultés. Comme dans la troisième partie d’un match de rugby, tout le monde serre la main de tout le monde. Tout semble se terminer ici. Or, ce n’est que le début.
Dix minutes plus tard, les quatre enfants reviennent et sonnent à la porte : « Prof, mais c’est quand alors la pizza ? ». Cristina sourit et les fait monter en leur disant qu’elle avait acheté les pizzas aussi pour eux. La fête continue avec les jeunes de l’intifada des kiwis. « Ça a été une très belle soirée. Filippo l’a définie comme le plus bel anniversaire de sa vie ». Le lendemain, deux des marocains reviennent chez Cristina : « Vous aviez dit que si on ne savait pas quoi faire on pouvait venir chez vous… » Et voilà un autre après-midi de jeux avec Sergio, Filippo et les trois autres enfants.
Lundi matin, Cristina marche dans les couloirs de l’Institut Aldo Moro. Deux autres enfants musulmans s’approchent d’elle et lui demandent quand elle organise une fête aussi pour eux. L’après-midi, ils passent chez elle pour la saluer. Un autre élève, Nabil, se joint à eux. Le lendemain encore, la prof travaille tard et en rentrant chez elle, elle trouve Sergio qui joue au ping pong avec les marocains. Le mercredi, ils se présentent encore. Mais elle les renvoie chez eux prendre leur cartable « Vous pouvez revenir seulement si vous étudiez ». Et eux, que font-ils ? Ils reviennent avec leurs devoirs à faire et ils les font. Mathématiques, anglais, et même Dante. Quand ils ont fini d’étudier, Cristina fait chauffer l’eau pour le thé et ils le boivent avec des biscuits. À l’école, un des marocains la revoit et lui dit : « C’était très bien hier ». Très bien ?
Nabil est vif et a les yeux grands ouverts. Il n’a pas peur de poser des questions ni de faire des gaffes. Il demande pourquoi la maison de Cristina est aussi désordonnée. Elle réfléchit et dit : « Justement hier, j’en parlais avec mon mari. Je lui ai demandé de m’excuser parce que bien souvent la maison n’est pas digne de sa présence. Mais on s’est dit qu’une maison propre mais vide, au fond, c’est triste. Il vaut mieux qu’elle soit en désordre si vous êtes là vous aussi ». Et il a répondu : « Mais prof, moi je vais vous aider ». Et il s’est mis à laver les tasses du goûter.

LORD ANGLAIS
En fait, un mois après les attentats de Paris, la maison de Cristina est un va et vient d’enfants étrangers. En tout, ils sont une dizaine, mais les plus fidèles sont Hassan, Nabil, Dodò (qui est rom) et Khalid. Devoir, goûter, jeux. Et puis, dans un élan de joie, ils lavent les tasses, au point que Sainte Lucie a dû penser à nous (le 13 décembre) et nous en apporter de nouvelles, incassables, car les vieilles ont toutes volé en éclats. Une tasse pour chacun : « Comme ça, ils savent qu’il y a toujours une tasse qui les attend », explique Cristina.
À l’école, Said, l’un des enfants, a la réputation de "cas désespéré". Même Cristina a des difficultés et elle l’admet. Et pourtant… Et pourtant, lui aussi, après avoir insulté une surveillante à l’école, s’est laissé convaincre par des amis à demander pardon devant des professeurs et des copains en récitant par cœur le sonnet de Dante Tanto gentile e tanto onesta pare. Cela semblait une scène de film. Il savait qu’on se moquerait de lui à vie. Mais il l’a quand même fait. Le directeur de l’école n’en croyait pas ses yeux : « Je suis sans voix. De vandale à lord anglais ». Il faisait référence au rite du thé de cinq heures.

UN CAFÉ EN COMPAGNIE
Mais Calcinate n’est pas l’île de l’Utopie. Souvent à l’école, il y a des tensions et de la méfiance. Certains parents musulmans, dans un passé récent, n’ont pas caché leur sympathie pour les terroristes. Et tous les bergamasques ne sont pas non plus des pros du dialogue. Mais entre-temps, Chiara, la fille de Elena, l’une des enseignantes de religion de l’Institut Aldo Moro, meurt dans un accident de la route. Lors de ses funérailles, sont présents également ses élèves musulmans et sikh. Ils voulaient être proches d’une personne qu’ils avaient connue dans les couloirs et non en classe, capable d’attirer leur attention et de gagner leur affection. Cristina va également aux funérailles avec ses élèves marocains, dont certains n’étaient jamais entrés dans une église de toute leur vie. « Ils se sont assez bien comportés, si on considère qu’à l’école, ils ne connaissent pas le respect ».
Dans ce « assez bien », il y a un regard plein d’affection capable de prendre en compte le fait que tout ne fait que commencer et que ces enfants sont encore des « vandales ». Et le père de Noureddine, un des marocains, le sait bien. Il a contacté Cristina pour lui dire qu’il ne veut plus que son fils vienne chez elle. Pourquoi ? « Parce qu’il y a aussi celui-là et je ne veux pas qu’ils se fréquentent. C’est une mauvaise amitié ». L’homme n’a pas tout à fait tort : son fils est sur une mauvaise pente et il a été renvoyé de l’école pour quelques jours. Pour elle aussi, ce garçon représente un gros point d’interrogation. Mais elle répond : « Je comprends ce que vous dites. Mais si nous cessons de croire nous aussi qu’il puisse changer, qui le fera ? Si plus personne ne le regarde avec estime, comment fera-t-il pour se regarder avec affection ? Venez voir ce que nous faisons. C’est important, car les enfants verront que vous et moi aussi sommes ensemble ».
L’homme est allé chez Cristina le samedi avant Noël. Il est entré, s’est installé et est resté là à regarder ce qui se passait. Les enfants étudiaient, interrogeaient Cristina, aidaient à préparer le café. Les deux adultes, entre-temps, parlaient et faisaient connaissance. Il a fallu peu de chose pour que l’homme comprenne. « Sur le seuil de la porte, il m’a embrassée fortement, il m’a étreinte. Et les larmes aux yeux, il m’a dit : "Merci pour tout ce que vous faites. Et ce café ensemble, buvons-le souvent" ».