« Je n’ai pas donné, j’ai reçu »

De la périphérie de Milan dans les années 50 au monde entier aujourd’hui : l’expérience de la caritative concerne des milliers de personnes. Pour apprendre la « loi de la vie » et découvrir à quel point la tendresse de Dieu est concrète.
Paola Bergamini

« Entre la fin 1957 et le début 1958, des jeunes garçons et filles de Gioventù Studentesca (le mouvement qui a précédé Communion et libération, ndlr) ont commencé à se rendre chaque semaine dans la Bassa, une vaste zone rurale du sud de Milan. Des centaines de collégiens participaient à ce geste impressionnant », écrit Alberto Savorana dans sa biographie de don Giussani. Une photo en noir et blanc de l’époque montre ces jeunes, certains en veston et mocassins, qui jouent avec les enfants près des baraquements populaires. Les visages sont sérieux et joyeux. Ils n’ont pas de solution aux mille problèmes quotidiens de ces enfants : ils partagent leur existence. Don Giussani disait : « Le besoin de s’intéresser aux autres est tellement naturel, tellement ancré en nous qu’il est présent avant que nous en soyons conscients et qu’on l’appelle loi de l’existence. Vivre, c’est partager. La loi de la vie, c’est la charité ». Telle est l’origine de la caritative : un geste qui ouvre le cœur et qui éduque à vivre pleinement. Et cela continue aujourd’hui.

Sept heures du soir, place de la Liberté à Florence. Michela s’approche d’un clochard qui tente de se protéger du froid coupant. Elle lui demande : « Comment ça va ? ». L’homme répond en toussant beaucoup : « Très bien. Il y a si longtemps qu’on n’a pas vu autant d'étoiles ». Michela lève les yeux : le ciel est plein d’étoiles, en effet. « Au milieu de toute cette m…, il m’a dit de regarder une belle chose dont je ne m’étais pas rendue compte ». Deux samedis par mois, avec une quinzaine d’autres universitaires, Michela participe à l’œuvre de la communauté Sant’Egidio pour les sans-abri. Ils leur apportent à manger, parlent avec eux, répondent à leur besoin de rencontrer une compagnie humaine.

De l’autre côté du monde, à Hiroshima (Japon), Sako, 58 ans, va elle aussi porter chaque mercredi soir du pain et de la soupe aux sans-abri. Cela a commencé il y a vingt ans à l’invitation d’un Père missionnaire que Sako n’avait aucune intention d’écouter. Don Ambrogio Pisoni lui avait dit : « La caritative est un geste qui enseigne la gratuité. Tu viens aussi ? ». Cette phrase avait éveillé son intérêt. « J’ai commencé et je n’ai plus arrêté. » Pourtant, entrer en relation avec ces personnes est difficile. Parfois, des années passent avant qu’elles répondent par monosyllabes à une question aussi simple que : « Comment ça va ? » Elles ne cherchent pas le contact. « A vue humaine, poursuit Sako, rester fidèle à ce geste peut sembler stérile, mais cela me renvoie toujours à la raison pour laquelle nous le faisons : une gratuité pure. C’est ce que j’apprends chaque mercredi. »

En prison, la valeur du temps change radicalement. C’est à la fois quelque chose qui ne passe pas et qui semble vide. « Pour ceux qui le désirent, je mets des copies de Traces au fond de la pièce », annonce Silvio. En l’entendant, les prisonniers applaudissent et l’un d’eux crie : « Bravo ! » Presque une standing ovation. Une fois par mois, un petit groupe de la communauté de Paris participe à la messe de Fleury-Mérogis, dans la banlieue parisienne.Cela dure depuis trois ans. Le moment passé avec les prisonniers se limite à quelques minutes avant et après la célébration. Certains attendent leur procès et ils ne seront peut-être plus là le mois suivant. Comment être soi-même dans un tel contexte ? Comment partager la vie, la leur et la nôtre, en allant à l’essentiel, à ce qui fait que, même derrière les barreaux, il vaut la peine de se lever chaque matin ? La réponse est dans leurs mains : Traces. Chaque mois, ils emportent des copies de la revue, même des années précédentes, en cinq langues. Un titre, une couverture : pour ces prisonniers, cela suffit pour que ce moment si court se dilate en se remplissant de questions et de contenu. Comme dit Silvio, « penser que, dans un lieu pareil, on peut lire les réflexions de Carron, les lettres, l’éditorial, toute la richesse de vie qui est décrite là, cela me change moi. C’est l’occasion de montrer que le désir d’infini ne se laisse pas enfermer derrière des barreaux ». Un prisonnier lui demande : « Je peux prendre quelques copies de plus ? Je veux les donner à mon voisin de cellule qui n’a pas pu venir à la messe ».

Du temps nécessaire pour la caritative, Andrea était convaincu de ne pas en avoir, lui qui dirige l’ONG Avaid à Nairobi, au Kenya. Mais, « vu que tout le monde le faisait », il s’est senti obligé de suivre ses amis qui aident les sœurs de Mère Teresa de Calcutta dans un centre pour handicapés. Pendant un certain temps, il s’est contenté de peler les patates et de nettoyer. Un jour, il voit une sœur qui, avec une infinie patience, nourrit un adolescent aux jambes et aux bras difformes. Il ne peut pas rester sur le seuil de la porte ni s’en aller : il s’approche, prend le bol et commence à lui donner à manger. La sœur lui souffle : « Il est aveugle : caresse-le, comme cela il sentira que tu es là ». Il effleure doucement son visage. « A ce moment, j’ai pensé qu’il était là pour moi, pour me rappeler Jésus. » Le soir, il rentre chez lui avec une joie nouvelle, jamais éprouvée jusque-là. Et il comprend maintenant pourquoi des amis de la communauté qui n’ont rien se lèvent une fois par mois à cinq heures du matin et font deux heures de route pour passer un moment avec ces personnes. L’écrivain Bruce Chatwin, voyant que Mère Teresa embrassait un lépreux, lui avait dit : « Je ne le ferais pas même pour un million de dollars ». A quoi elle avait répondu : « Pour un million de dollars, moi non plus ». Mais pour Jésus, oui.



KAZAKHSTAN/Une caritative appelée Gianna