« Ici, je me sens chez moi »

Une tour de Babel de langues. On se parle même avec les gestes, et pourtant on ne se connait pas. Des chrétiens et d’autres pas, arrivés par des moyens les plus divers. L’impensable unité vécue aux Exercices de la Fraternité en Chine.
Paola Bergamini

Samedi matin, récitation des Laudes. L’assemblée est un peu incertaine. Tous, les yeux fixés sur le livret, cherchent à suivre la prière, mais pour certains la lecture des Psaumes est une première, pour d’autres, qui n’ont encore jamais entendu le ton monocorde, cela s’avère une tâche ardue. C’est le premier jour des Exercices de la Fraternité en Chine. Une cinquantaine de personnes de diverses nationalités, de différents âges, arrivés la veille des quatre coins du pays, travailleurs, universitaires, invités par un ami, par le fiancé, ont rencontré une nouveauté de vie inattendue, au point de vouloir la communiquer aux amis et à la famille et de les inviter aux Exercices. Chacun a une histoire particulière, certains ne sont pas chrétiens, d’autres, en revanche, vivent l’expérience du mouvement depuis des années et se retrouvent pour des raisons professionnelles, catapultés au Pays du Dragon. Après les Laudes, la première leçon en chinois, avec le récit du « oui de Pierre » concrétise le titre de ces Exercices : « Je t’ai aimé d’un amour éternel, j’ai eu pitié de ton néant ». Le silence est profond. On entend à peine, au fond de la salle, le murmure des traductions simultanées en italien et en espagnol, auxquelles s’est rajouté l’anglais pour quelques amis arrivés à la dernière minute. Le repas est une tour de Babel de langues, où pourtant tous essaient de communiquer pour se connaitre et, si les mots manquent, on fait appel aux gestes pour se comprendre. Il n’y a pas d’étrangeté, quelque chose est arrivé, à tel point que quelqu’un a dit : « Je me sens chez moi, en famille, et pourtant je n’avais encore jamais vu la plupart de ces personnes ». Il y a quelque chose à découvrir.

FUTURE ÉPOUSE
L’après-midi, après le silence, il y a un temps pour apprendre les chants et le ton monocorde. C’est une tension qui anime et unit pour faire un pas de plus. Ensuite, à travers le témoignage du détenu, que le père Julián Carrón avait lu à Rimini, la Miséricorde devient un accueil. C’est le moteur qui fait bouger la vie. Cela se poursuit le soir lorsque Piero et Maddalena, italiens, installés en Chine pour le travail, racontent ce que signifie concrètement, se soutenir dans l’amitié du Christ avec leurs familles et leurs proches, avec les enseignants des enfants et avec les voisins. Maddalena parle de cette maman boudhiste en concubinage depuis des années qui décide de se marier parce que « je désire avoir le même sérieux que vous partagez dans votre rapport entre mari et femme ». Pour les noces, le couple lui demande de choisir une lecture pour la cérémonie civile. Maddalena réfléchit et choisit un passage du Pape sur l’amour. Quelques jours avant le mariage, elle a quelques scrupules : peut-être est-ce trop « catholique », et elle le fait donc lire à la future épouse. Celle-ci se met à pleurer et s’exclame : « Je ne veux rien entendre de plus beau le jour de mon mariage. Tu dois m’aider dans la recherche de ma spiritualité, j’ai besoin de quelqu’un qui m’accompagne parce que je cherche Dieu et je vois en toi une compagne pour ma quête. »

LE TEMPS NE SUFFIT PAS
Dimanche matin, les Laudes puis la messe sont très différents du premier jour. Quelque chose est arrivé. L’assemblée de l’après-midi en est le témoignage le plus évident. Xiao Mei évoque une collègue, Wang Min, avec laquelle il s’est tout de suite trouvé en parfaite harmonie et pas seulement sur le travail. Jusqu’à ce qu’elle lui dise qu’elle est catholique et d’ajouter : « Après le Baptême, je me suis sentie un peu abandonnée, mais j’ai trouvé un lieu où je peux vivre et être accompagnée dans ma foi. Viens et tu verras. » Et elle l’invite à l’Ecole de communauté. Xiao Mei y participe et c’est tout de suite un nouveau début qu’elle ne peut garder pour elle et c’est ainsi qu’elle a invité aux Exercices une amie et sa mère, qui est venue parce qu’elle voyait sa fille revenir des rencontres de l’Ecole de communauté très heureuse et elle voulait comprendre. Quand elle est arrivée, en voyant les personnes si diverses par leur nationalité, leur âge, leur culture, elle a eu peur de ne pas se trouver à sa place, elle qui est issue d’un milieu paysan dans le nord de la Chine. Et au contraire, « depuis que j’ai reçu le Baptême, peu de temps après ma fille, je me suis rendue compte que ma vie est plus riche et j’en fais plus l’expérience maintenant que durant les soixante ans vécus auparavant. Pendant ces jours, je me suis rendue compte que nous avons en réalité une langue bien plus riche que la langue parlée : celle du regard. Et je sens que je suis exactement là où je dois être, maintenant ». Pedro et Rosa sont arrivée de l’Amérique centrale en Chine pour être auprès de leur fille. Ils ne sont plus tout jeunes : ils ne parlent pas chinois et se débrouillent à peine en anglais. Ils se sentent seuls et dépaysés, surtout quand leur fille doit retourner inopinément pour une longue période dans le pays d’origine. Ils rencontrent à la messe un prêtre. Ils se connaissent et une amitié commence. « Il nous a invités à l’Ecole de communité et il avait toujours la précaution de mettre à notre disposition un traducteur. Nous avons fait une expérience de foi et de compagnie jamais vécue auparavant. » Il y a, au contraire, celle qui vient à l’Ecole de communauté pour faire plaisir au fiancé. « J’étais réservée », raconte Yue Liang : « Les réunions ne m’ont jamais plu. Mais là, j’ai rencontré Piero et Maddalena et leurs familles. Ils étaient vraiment heureux. Ils étaient différents de mes collègues, avec lesquels, au fond, je me trouvais bien. Un accent de joie encore jamais vu, auquel je ne voulais pas renoncer ». Elle n’abandonne pas et retourne même sans le fiancé. « Je sentais toute la dramaticité du choix que j’allais faire : me marier et partager ma vie avec lui ». Et dans le dialogue avec ces amis, « j’ai vu ce que mon coeur désirait même de manière confuse : construire un lieu de paix et de joie. Sinon à quoi sert-il de se marier ? ». Les interventions se succèdent. Mais il n’y a pas assez de temps pour tous. Après une heure quarante il faut terminer et on projette le témoignage d’Agostino Jiang, ex détenu chinois converti en prison, à la présentation du livre du Pape Le nom de Dieu est Miséricorde.

LES MOTS DE LI WEN
Mais ceux qui n’arrivent pas à parler mettent par écrit leur témoignage. Comme l’a fait Li Wen, une amie non croyante. La première fois, elle était allée à l’Ecole de communauté sur l’insistance d’un ami très proche. L’impression, pourtant, avait été négative : cela lui avait semblé une psychanalyse de groupe, dont elle-même n’avait bien sûr pas besoin. Cependant, par la suite, elle est retournée parce, écrit-elle, « j’avais la curiosité de vouloir comprendre son insistance. Avec le temps, je me suis sentie toujours plus à mon aise. Les gens partagent leur fatigue quotidienne et cela ne semble plus ridicule ou embarassant, et même cela me semble extraordinaire d’avoir de telles préoccupations et de prendre soin de soi. J’ai compris que la religiosité est quelque chose de mystérieux, pas facile à expliquer. J’ai apprécié hier, quand, à la leçon il a été dit que la Miséricorde est Mystère. Ce sont des concepts que je n’ai trouvé qu’ici et ils sont tellement intéressants à connaitre et à assimiler. Plus j’approfondis cette religiosité et plus je comprends mon humanité. Je comprends qu’à travers une nouvelle joie, Dieu m’aide à avancer et simplifie la confrontration avec la réalité quotidienne. J’ai appris que Dieu est bon et qu’il est un ami de mon âme. L’Ecole de communauté est une chose bonne pour moi, pas seulement pour les amis exceptionnels que je rencontre, mais parce que je sens et je connais plus mon humanité ». Les au revoir à la fin ressemblent à ceux de personnes qui se connaissent depuis toujours, et non depuis deux jours. Ou, plus simplement, de ceux qui ont vu quelque chose de grand à partager pour toujours.