Amina, Rachele et le centuple

L’amitié entre deux femmes, grâce à la caritative. La pauvreté, les besoins à partager. Et les surprises. « Elle m’éduque au sens de la réalité »
Luca Fiore

« Les pauvres nous évangélisent », répète le pape sans se lasser. Et nous l’entendons souvent comme un refrain dont nous ne saisissons pas forcément tout le sens… sauf à nous rendre compte ensuite, quand cela arrive, à quel point c’est vrai. Prenez l’amitié entre Rachele, de Padoue, mère de quatre enfants, et Amina, napolitaine, de parents marocains, avec un mari algérien et trois enfants. Elles se connaissent car, il y a huit ans, Rachele lui apportait ‘le colis’ de la Banque alimentaire.

Dans les premiers temps, la rencontre est marquée, d’un côté par l’embarras, de l’autre, par la difficulté à accepter de l’aide. Mais, au fond, Amina est reconnaissante et remarque de temps en temps : « Sans vous, je n’aurais pas pu faire à manger… » Au long des mois, Rachele découvre mieux la vie d’Amina : l’argent manque, et Amina met tout son zèle à suivre jusqu’au bout le cours d’opérateur de santé publique, auquel elle est inscrite. Et elle trouve du travail !

Malheureusement, elle a une maladie auto-immune invalidante et doit abandonner son emploi. « Quand j’allais chez elle, raconte Rachele, j’étais accablée par un sentiment d’impuissance. Ce que nous faisions ou disions, était une goutte d’eau dans la mer ». Mais elle continue à voir Amina parce qu’elle s’aperçoit avec surprise que quelque chose, en elle-même, est en train de changer : « J’ai commencé à me rendre compte que je tenais pour acquis ma manière d’utiliser l’argent, ou les raisons que j’avais de me lamenter. Avec Amina, j’ai été éduquée au sens de la réalité ». Quand Amina s’est trouvée enceinte pour la troisième fois, sa grossesse est un enfer à cause de sa maladie ; et à la maison, la situation empire. Elle est obligée de demander de l’aide. C’est ainsi que Rachele et ses amies l’accompagnent aux visites médicales et qu’elle accepte les invitations à dîner de Rachele. Ce sont des occasions pour parler, par exemple des enfants : « Rachele, toi, comment fais-tu ? » - « Eh, je ne sais pas comment je fais… » - « Rachele, ton mari est tellement bon » - « Eh, mais il a ses défauts, comme tout le monde… »

« Amina m’a appris à regarder ce que j’ai. J’ai toujours envie de lui dire : sois moins anxieuse avec tes filles… C’est facile pour moi de laisser de la liberté à mes enfants car je sais que je ne suis pas seule. Mais elle ? ». Un jour, Amina achète un livre sur la recherche du bonheur et demande à Rachele : « Quel est ton secret ? ». C’est évident qu’elles cherchent la même chose. « Et les questions de mes enfants vont au cœur du sujet : ‘Maman, le Don dit que Jésus nous a choisis par le baptême. Mais alors, Amina, il ne l’a pas choisie ?’ - « Elle a été choisie à travers nous… ».

Quand Amina décide de déménager chez son frère en France, ce n’est pas un choix facile et elle confie à son amie : « J’ai peur, je ne sais pas ce qui m’attend. Mais ici, à Padoue, la seule chose que je laisse, c’est vous. Et c’est la chose que je regretterai le plus ».

« Pour comprendre ce qui s’est passé entre nous, explique Rachele, je pense que les derniers Exercices de la Fraternité sur la pauvreté ont été décisifs. Il n’est pas question de générosité, mais d’une forme de ‘virginité’. Avec Amina, ce qui est arrivé n’est pas le fruit d’une bonne action : j’ai fait l’expérience d’une relation vraie, avec quelqu’un qui m’a permis de mieux comprendre ce que je vis dans la communauté chrétienne. J’ai reçu le centuple, par rapport au temps que j’ai consacré à Amina ».