Traces et mon bonheur

Entretien à trois voix : Aisha, Hanifa, Sara, les femmes musulmanes du Meeting Point qui vendent chaque mois la revue de CL. « Cela me fait aimer le catholicisme ». Voilà pourquoi
Andrea Nembrini et Rose Busingye

Le Meeting Point de Kampala est, depuis son origine, international. Les femmes répètent sans arrêt que « c’est le cœur qui est international » et c’est pour cette raison qu’ils ont toujours accueilli au sein de leur amitié quiconque le désire, sans faire cas de la tribu, de la religion, de la langue. C’est le premier grand miracle de ce lieu si on pense à la conception rigide d’appartenance tribale qui domine encore les rapports en Afrique. Quand elles se retrouvent, les femmes mettent toutes le tee-shirt jaune du Meeting Point International, et lorsqu’elles crient « One heart! (Un cœur ! NdT)  », il est impossible de les distinguer. Depuis environ un an, d’autres couleurs voyantes se détachent dans le jaune : ce sont les voiles de Sara, Aisha et Hanifa. Sara qui est infirmière et collabore avec Rose et qui a invité au MPI ses deux voisines, musulmanes comme elle. L’enthousiasme de cette rencontre fait d’elles, aujourd’hui, l’une des présences les plus significatives du MPI et - comme nous l’avons découvert récemment – les ferventes protagonistes de la vente publique de Traces auquel elles donnent chaque mois de leur temps. Nous avons voulu leur demander l’origine de cette passion.

Pourquoi vendez-vous Traces ? Pourquoi cela vous plaît-il ?
Sara. Je suis profondément musulmane depuis ma naissance. Je suis arrivée au Meeting Point International en 2011. Je ne savais pas ce qu’était Traces, mais j’ai commencé à l’acheter, à le lire et à l’aimer. Il y a un tas de belles choses dans cette revue, il y a beaucoup à apprendre. Il y a, en particulier, les expériences d’autres personnes et quand tu lis une expérience qui est différente de la tienne, tu découvres quelque chose en plus par rapport à toi, de ce que tu désires vraiment pour ta vie. Pour cette raison, je suis en train d’étudier le catéchisme et je fréquente l’école de communauté parce que je veux approfondir.
Hanifa. Même si je suis musulmane, je fréquente le Meeting Point International. La raison, c’est qu’il y avait tant de personnes autour de moi, mais dans ma vie, personne ne m’a accueillie comme dans ce lieu. J’ai été vraiment surprise par la façon dont ils m’ont accueillie et dont ils m’ont traitée. J’étais pleine de douleur, mon cœur était lourd, mais du jour où je suis arrivée dans ce lieu, ma vie a changé. Maintenant, je suis heureuse, et ma famille avec moi. Donc, je regarde Traces : je ne connais pas bien l’anglais, et j’arrive à peine à lire la revue, mais à cause de l’amitié que j’ai rencontrée ici, je la vends, et je suis contente de le faire. Cette amitié m’a poussée à vendre Traces, mais aussi à aimer cette religion. Parfois, je pense que je crois dans cette religion même si je suis mon chemin dans l’islam. Je reste musulmane mais j’aime le catholicisme.
Aisha. J’ai commencé à fréquenter le Meeting Point International parce que je voulais être heureuse comme ces femmes. Un jour, il y avait une femme près de moi avec un numéro de Traces, et en regardant les pages de la revue, mon regard est tombé sur un mot : bonheur. Mais la femme allait s’en aller et je ne savais pas comment j’allais pouvoir trouver encore la revue, alors je lui ai demandé de me laisser la regarder. J’ai vu un tas de photos et sur toutes ces photos les personnes étaient heureuses. Je lui ai demandé combien elle coûtait et j’ai acheté mon premier numéro pour 3 000 shillings ougandais (environ 1 dollar NdT). En la lisant, j’ai été surprise parce que tout dans ces pages parlait de bonheur, de la possibilité d’être heureux, même si on a plein de problèmes. Et quand tu lis ces expériences de personnes heureuses, toi aussi tu deviens heureuse. Il n’y avait pas une histoire dans la revue qui ne te rendait pas heureuse. Maintenant aussi c’est comme ça : chaque fois que je l’achète – et je l’achète toujours – elle me rend heureuse. Traces m’a aussi fait comprendre que les religions sont différentes, mais souvent ce qui nous divise n’est que la façon de s’habiller, alors que nous sommes ensemble, car Dieu est un. C’est ce que j’ai appris de Traces.

Vous pouvez expliquer votre amour pour cette expérience catholique, pour Traces, malgré le fait que vous soyez des femmes de foi musulmane ? Comment ces deux choses peuvent-elles aller ensemble ?
Sara. Rose m’a parlé de ma valeur, une chose qui ne m’avait jamais été dite avant. J’ai compris alors que la religion catholique ne divise pas, mais qu’elle accueille toutes les religions. C’est la raison pour laquelle Rose m’a dit : tu dois te découvrir toi-même. Cela veut dire que personne ne peut te dire : « Viens ici et deviens catholique ! ». Tu es la seule qui peut arriver à ça, toi seule, mais tu peux le faire seulement après t’être découverte toi-même. Quand tu sais qui tu es, tu peux décider ce que tu veux être. Et pour ce qui me concerne, après m’être découverte moi-même, j’ai décidé de rester avec ces catholiques.
Hanifa. Quand j’étais en grande souffrance, personne ne s’est ému de ma situation, personne ne m’a aidée. Mais ici, j’ai trouvé de l’aide… Quelqu’un m’a aimée, quelqu’un m’a offert son amitié. Je ne sais même pas comment l’expliquer : cela faisait un jour entier que je pleurais, et mes enfants avec moi. Ils allaient dans une école vraiment de mauvaise qualité. Ils ne recevaient même pas les bulletins… Maintenant, je suis heureuse, ma maison est totalement changée, les enfants vont à l’école, ils étudient sereinement, ils sont heureux. Comment pourrais-je ne pas aimer ce lieu qui m’a apporté toute cette joie ? Comment pourrais-je ne pas aimer cette revue qui raconte ce lieu ?
Aisha. D’habitude, j’achète les derniers exemplaires qui restent (parce que je ne veux pas qu’ils soient jetés) pour les distribuer à mes amis et dans la famille. Au début, mon père, qui est musulman, m’a demandé où je les prenais, mais maintenant la revue lui plaît. Je lui ai dit de me demander s’il y a quelque chose qu’il ne comprend pas. Souvent, Traces est tellement beau que j’en achète plus d’un exemplaire parce que je sais que celui qui le recevra de ma part sera certainement heureux. Et les personnes comprennent si tu es en train de vendre quelque chose qui est important pour toi. Ce que je lis dans Traces est ce que je raconte aux personnes que je rencontre.

Quand vous vendez Traces, que dites-vous aux personnes que vous rencontrez ?
Aisha. D’abord, je la lis à fond et je me concentre sur les choses les plus belles qui me rendent heureuse et qui m’aident. J’ai envie que les autres personnes soient heureuses comme moi. Et les personnes comprennent si tu es en train de vendre quelque chose qui est important pour toi. Ce que je lis dans Traces est ce que je raconte aux personnes que je rencontre, parfois je leur montre carrément la page à laquelle je fais référence. Et les personnes nous posent un tas de questions.
Hanifa. Je ne peux pas lire Traces parce que je ne lis pas l’anglais, mais mes enfants me le lisent à la maison. Ils me font voir à quelle page est l’article qui m’intéresse et ainsi quand je le vends, je peux dire aux personnes : « Regardez, c’est ici ! ».
Sara. Avant de la vendre, je la lis, comme ça tu apprends la signification de ce tu dis quand tu es hors de l’église à crier : « Traces ! Traces ! ». Et tu dois expliquer, sinon cela reste juste un mot pour les personnes, elles ne comprennent pas. Mais si tu leur racontes ton expérience, elles te disent : « Ok, je te fais confiance, je l’achète ».

Quelle est la plus belle expérience que tu as eu en vendant Traces ?
Aisha. La chose la plus belle pour moi c’est que quand nous la vendons, un tas de gens vient chez nous parce que nous sommes musulmanes, et ils nous demandent pourquoi nous vendons une revue catholique. Et nous pouvons répondre « Parce que nous aimons le faire, parce que nous recevons un grand bien de cette revue, et que nous désirons que toi aussi tu puisses le recevoir ».
Sara. Un jour, j’étais en train de vendre Traces et un personnage âgé important, catholique, est venu à moi et m’a posé un tas de questions pour me mettre en difficulté. Il m’a dit : « Mais vous, qu’est-ce que vous faites ? C’est quelque chose qui vient de l’Ouganda ? D’où cela vient-il ? Le pape le sait ? ». Beh, moi j’ai très bien su répondre à toutes ses questions, je lui ai parlé de Communion et Libération, de l’Italie, et je lui ai dit que même le prêtre pendant la messe, a donné l’annonce qu’il y avait la vente. Et à la fin, il a dit : « Vous, femmes musulmanes, vous m’avez défié » et il s’est mis à chercher de l’argent dans sa poche pour acheter un exemplaire. Quand je le vends, je me sens comme si je vendais de l’or, une chose vraiment précieuse !
Hanifa. Quelquefois, d’autres personnes qui vendent des revues au même endroit que nous, nous disent que la nôtre est très chère parce que c’est une revue muzungu (d’hommes blancs). Mais ils demandent aussi : « Comment faites-vous pour rester avec ces blancs, en les embrassant comme des amis ? Cela me plairait à moi aussi d’être embrassé de cette façon ». Et nous pouvons leur répondre : « Oui, la revue est chère parce qu’elle vient de loin, mais nous aussi, nous sommes “chères”, nous avons une valeur grâce à l’amitié que nous vivons ».