Les vacances à Winona (Minnesota, USA), du 13 au 17 juillet 2018

États-Unis. « Pourquoi devrais-je suivre un nuage ? »

Une amitié née il y a trois ans qui continue de croître. De 14 états américains et du Canada, ils sont arrivés au Minnesota pour quelques jours de vacances ensemble, avec don Julián Carrón. Tout comme l’année dernière. Mais « ce n’est plus la même chose »
Flora Carelli

Nous avons été ensemble tellement de fois, mais cette fois, cela semble être quelque chose de nouveau. Tu as parlé tellement de fois, mais cette fois quelque chose semble nouveau, nous chantons mardi avant la synthèse des vacances, et les mots de « Further On » semblent faire écho à l’étrange paradoxe de ces jours.

Trois années ont passé depuis le début de cette fraternité sui generis, née de façon inattendue en reconnaissance des rapports éclos du travail de certains jeunes américains pour l’exposition « I Am exceptional : The Millennial Experience » (présentée au New York Encounter et au Meeting de Rimini en 2015). Depuis lors, le groupe a continué de croître - plus d’une soixantaine d’adultes, de jeunes, de très jeunes et de moins jeunes, depuis quatorze états américains et le Canada – et de concevoir de nouvelles façons de se rencontrer faisant fi de la distance : réunions locales et quatre week-ends de rencontre par an, une demi-journée lors du New York Encounter et des vacances d’été tous ensemble.
Et paradoxalement, plus le temps passe, plus la question sur ce qu’est cet endroit, ce qu’est la fraternité se dégage – comme si, le fait d’être plus souvent ensemble, permettait d’être plus conscient d’être en face de quelque chose de grand, de mystérieux. Comme l’écrit Marissa, qui a récemment rencontré le mouvement et vient aux vacances pour accompagner son mari : « Ici, il y a une présence magnétique qui m’attire », profondément familière et inconnue en même temps.

Les deux premiers matins ont commencé avec de brèves assemblées, des récits de ce qui s’est passé dans la vie de ceux qui cette année se sont laissés attirer vers cet endroit, laissant apparaître qu’à travers des visages spécifiques, le Christ est devenu le centre de leur affection. Nick, le PDG d’une société de technologie en pleine croissance au Minnesota, se remémore les faits de ces derniers mois : une situation de stress extrême au travail, les problèmes de santé de sa femme, l’arrivée de son troisième enfant en quatre ans. Et dans le tourbillon des événements, sa femme continue à le renvoyer à la fraternité, « un lieu que je peux suivre, même lorsque je me sens en train de sombrer, et où je peux apporter tous mes soucis ». C’est pour ça qu’un week-end, il met les enfants dans la voiture et conduit pendant sept heures pour rendre visite à une amie. Un autre week-end, au déjeuner avec ces amis-là, il demande de l’aide pour regarder les circonstances auxquelles il fait face au travail et, dans les semaines qui suivent, il demande aux partenaires de revoir son rôle dans l’entreprise sur la base de ce qui avait émergé de cette conversation.

« Un lieu que je peux suivre, même lorsque je me sens en train de sombrer, et où je peux apporter tous mes soucis »


Marta, architecte à New York, raconte l’expérience étourdissante de l’attente, « face à face avec le mystère », de la réponse à la demande d’adoption, et comment une escapade pendant un week-end à Washington DC avec un couple de Cometa et des dizaines d’autres familles l’ont laissée respirer dans ces jours dramatiques. Vlad, de New York, raconte comment il a changé son regard sur lui quand il a laissé entrer dans sa vie certains visages, jusqu’à la décision de quitter son travail administratif pour risquer l’aventure de sa propre entreprise, découvrant que le vrai miracle n’est pas les choses extraordinaires qui lui arrivent, mais la relation de préférence qui en découle. À chaque témoignage, le père Julián Carrón répond par une série de questions : « Quelle est la contribution que te donne la fraternité pour vivre le réel ? Qu’est-ce qui nous permet de rester dans l’attente ? Comment est-ce que ce voyage nous fait grandir dans la familiarité avec le Christ ? » – en ouvrant large la possibilité de vivre, attentif et alerte, le lendemain : « Nous ne devons pas répondre maintenant à chaque question. Si nous gardons en nous ces questions, nous pourrons intercepter la réponse ces jours-ci lorsqu’elle se présentera devant nous ».

Les jours qui suivent, entre les jeux, les voyages, la cuisine ensemble et un pèlerinage au sanctuaire local de Notre-Dame de Guadalupe, sont tous marqués par un désir d’une plus grande radicalité, une familiarité avec le mystère qui permet d’embrasser et de façonner tous les aspects de la vie – de la manière d’être avec la conception du travail et les problèmes du monde, à l’utilisation de l’argent et l’éducation des enfants. La recherche de PJ, de St. Paul (Minnesota), sur la comparaison entre les méthodes d’éducation Montessori et de don Giussani, donne naissance à une conversation un soir avec le père Julián, qui se souvient de la façon d’être avec les enfants particulièrement pendant les périodes de vacances, partant de la découverte que « le problème de l’enfant est le problème de l’adulte : nous pouvons introduire à la réalité uniquement si nous sommes prêts à nous laisser générer. Sommes-nous disponibles pour dépendre de quelqu’un de cette manière ? Seulement si nous nous impliquons dans la réalité et que nous avons une réponse à nos réactions, nous pourrons alors nous placer devant leurs réactions et leurs besoins ! ».



La soirée suivante, Tim de New York, raconte son travail à l’observatoire du Saint-Siège auprès des Nations Unies lors des négociations patientes de ces derniers mois, afin d’insérer dans les lignes directrices en matière d’immigration le « droit de rester » pragmatiquement proposé par l’Église – montrant, dans les plis des procédures et des termes techniques, comment cette entreprise nous pousse à embrasser le monde entier et à regarder tout à partir du regard du Christ.

Et puis, quand un après-midi Gary, originaire du Minnesota père de cinq enfants, propose à tous, trente-cinq enfants et onze bébés compris, une promenade de deux heures et demi sur la rivière en canoë, chacun énumère mentalement une centaine de raisons de ne pas y aller. Pourtant, l’un après l’autre, nous montons sur les petites pirogues métalliques et nous nous laissons glisser sur le courant, bouche bée devant la nature intacte et content du calme reposant de la rivière. Le soir venu, nous rentrons tous étonnés de cet après-midi, si symptomatique de ce que la fraternité est pour nous – un endroit où, en suivant un autre, ce qui apparaissait difficile avec notre propre mesure, n’est plus un obstacle. Un lieu qui te pousse constamment à dépasser ta zone de confort et permet de demander l’impossible.

« La tristesse que nous pouvons ressentir face aux contradictions n’est pas parce que les choses ne se sont pas passées comme je le pensais, mais parce que je ne vous regardais pas, parce que vous me manquiez »

Les cinq jours, au coude à coude, ne manquent pas d’efforts, de moments d’inattention et de discussions. Et pourtant, note Marta, « ce qui devient de plus en plus évident avec le temps, c’est que nos contradictions, nos difficultés et nos limites sont des signes de l’Un au travail parmi nous ». « Nos contradictions ne seront jamais résolues, mais elles font partie de notre lutte avec Dieu, et pour cette raison, sont mystérieuses », commente le père José : « Il y a donc la possibilité d’un chemin pour moi. Pas pour résoudre des problèmes, mais pour les embrasser. C’est pourquoi la tristesse que nous pouvons ressentir face aux contradictions n’est pas parce que les choses ne se sont pas passées comme je le pensais, mais parce que je ne vous regardais pas, parce que vous me manquiez ».



Comment procéder, maintenant ? Quelles sont les étapes à suivre et comment prendre des décisions sur des questions aussi pratiques qu’une fraternité en expansion comme celle-ci ? « Mais pourquoi devrais-je aller suivre un nuage ?! – les Israélites auraient-ils pu penser », observe le père Julián : « La seule raison de rester ensemble, d’accepter le sacrifice, les conditions et la mesure d’un autre, est de percevoir ce lieu correspondant à ce que nous recherchons. Je n’ai pas d’autre critère à vous proposer ». « Superbe ! Cependant – souligne vivement Greg – suivre la mesure d’un autre n’est-il pas en contradiction avec l’utilisation de la mesure de mon cœur comme critère de correspondance ? » « Mais la mesure du cœur est de n’avoir aucune mesure ! Et cela, le cœur le découvre en relation avec un autre », un autre qui avec son avènement, ouvre notre petite mesure et nous révèle que nous sommes faits pour beaucoup plus.

Lors de l’assemblée finale des vacances de l’année dernière, Tim avait réagi à l’intervention : « Mais pourquoi, face aux événements de ces jours-ci, continuez-vous à dire “c’est le Christ ?!” Comment pouvez-vous dire cela et être sûr qu’il n’y a pas d’autre explication ? » Lundi, lors de son vol de retour, il a écrit à ses amis : « Je ne peux pas rentrer chez moi sans vous dire. Je t’ai vu, je te connais. J’ai vécu ce moment avec Toi et ce n’est plus la même chose. Peux-tu le refaire ? S’il te plait, continue à être présent de nouveau. »