« Charitas Christi urget nos ! », “l’amour du Christ nous pousse”. La phrase à l'entrée du "Cottolengo" de Turin

Cottolengo. « Si nous ne donnons pas Dieu, nous ne donnons rien »

Nous sommes allés à Turin, dans la “cité” de la charité, où « la raison d’être n’est pas l’assistanat ou la philanthropie, mais l’Évangile ». C’est là le “moteur” qui change la vie de celui qui est accueilli et de celui qui l’assiste (Tracce, 1/2019)
Paola Bergamini

Vito était né sans bras et sans jambe. À l’âge d’un an, ses parents l’ont amené à la Petite Maison de la Divine Providence à Turin pour l’y laisser pour toujours. C’était en 1951.
Il a vécu 68 ans dans cette petite ville dans la ville qu’est Cottolengo : une vie pleine, digne, jamais repliée sur sa condition. Son humanité avait fleuri dans cette nouvelle famille. Il avait appris à lire et à écrire, il a été standardiste, acteur de théâtre, peintre et, dans les dernières années, assistant des enfants de l’école qui existe, à l’intérieur du Cottolengo. « Le pauvre » : c’était souvent la pensée qu’avaient ceux qui le rencontraient la première fois. Mais quand ils s’en retournaient, en silence, ce sont eux qui se sentaient « les pauvres ». « La foi m’a tiré vers le haut », disait Vito dans une vidéo qui illustre l’œuvre.

Lors de ses funérailles, le 27 novembre dernier, l’église de Cottolengo était pleine : malades, résidents de la maison, sœurs, prêtres, infirmiers, médecins, volontaires. « Tu as été un don pour la Petite Maison et la Petite Maison l’a été pour toi : don de la charité du Christ. Tout cela est un miracle de la Divine Providence », a dit don Carmine Arice, père général de la famille de Cottolengo, durant l’homélie.
Vito est une des “perles” de la Petite Maison. C’est ainsi que don Giuseppe Cottolengo appelait les pauvres, les malades, les infirmes qui étaient dans le besoin et qui venaient frapper à sa porte. De 1828 à 1842, année de sa mort, le saint piémontais a mis sur pied cette œuvre qui a accueilli plus de six milles nécessiteux en fournissant des médicaments, de l’instruction et du travail. Une révolution. Son problème n’était pas de résoudre les problèmes sociaux de Turin à tel point qu’il refusait le titre de bienfaiteur associé à l’idée de philanthrope, mais se laissait provoquer par le besoin de qui il rencontrait et il trouvait la réponse dans la charité du Christ pour le frère. « Charitas Christi urget nos ! », (« l’amour du Christ nous pousse ») avait-il fait inscrire dehors sur la porte. Et encore aujourd’hui, cette phrase se lit gravée à l’entrée de Cottolengo. « La charité était le moteur qui le faisait bouger et qui faisait bouger les personnes », explique le père Arice, « car à travers la charité, le frère nécessiteux peut rencontrer le Christ et avoir une espérance pour la vie. Et la chose intéressante est qu’il trouvait des solutions là où les problèmes semblaient impossibles à résoudre. Même quelqu’un comme Cavour est resté bouche bée face à cette œuvre. Pour lui tout naissait des rencontres. Quand le pape François a dit que la réalité est plus importante que les idées, j’ai alors mieux compris l’œuvre de notre fondateur. Il rencontrait des sourds-muets ? Il mettait en place la famille des sourds-muets, c’est-à-dire une maison à l’intérieur de Cottolengo qui les hébergeait. Le samaritain n’a-t-il pas fait la même chose ? Il n’est pas allé chercher tous les malmenés de la région. Il a aidé cette personne ».
De ces rencontres sont sortis l’hôpital, les Familles – non des instituts – des Saint Innocents, de Saint Antoine, de Sainte Anne, de Sainte Élisabeth, des Anges Gardiens… Elles accueillaient les pauvres mutilés, sourds-muets, malades mentaux, malformés, orphelins, ce que la réalité lui mettait devant les yeux. En parcourant les allées de ces 112 milles mètres carrés de charité à côté de l’hôpital, les Maisons accueillent aujourd’hui les nouveaux pauvres : les personnes âgées, les handicapés, les malades affectés par des pathologies neuro-dégénératives, puis l’école primaire et secondaire où 13% des élèves (face aux 2% dans l’école publique) sont handicapés. Et bien d’autres encore, selon ce que la réalité suscite. Et où que l’on regarde, on voit les religieuses que Cottolengo voulut pour assister les laïcs. Il y a celles qui ont une vie apostolique au service des nécessiteux, et celles qui ont une vie contemplative car « prière et Eucharistie sont les deux roues de la Petite Maison », peut-on lire à l’intérieur de l’église où les religieuses se succèdent toute la journée pour le laus perennis.

Quand en 2015, le Pape François vint visiter Cottolengo, il dit : « La raison d’être de cette Petite Maison n’est pas l’assistanat ou la philanthropie, mais l’Évangile : l’Évangile de l’amour du Christ est la force qui l’a fait naître et qui la fait aller de l’avant ». « La charité la plus grande n’est pas de donner quelque chose, mais c’est donner Jésus », continue le père Arice : « Notre objectif est que l’homme se sente bien et que son bienêtre puisse le conduire à la rencontre avec Jésus. C’est ça qui détermine notre action. Cottolengo répétait aux religieuses : “Si aux pauvres nous ne donnons pas Dieu, nous ne donnons rien” ».
Cette “Amour qui stimule” investit même celui-ci, en tant que salarié qui travaille à la Petite Maison. Chiara Maghenzani est infirmière à l’hôpital depuis vingt ans et pourtant elle a eu économiquement de meilleures opportunités. « Je suis restée par choix. On respire ici un air différent. On donne la préférence à la fragilité et pour ça il faut une recherche de sens, du pourquoi tu fais ton travail. C’est pour ça que je cherche la compagnie des religieuses qui sont devenues une présence pour ma vie. C’est là que je retrouve la source de la charité du Christ. Mais parfois la charité génère la jalousie, l’envie car c’est quelque chose qui échappe à la compréhension normale. Il est difficile de comprendre que tu commences en avance ton service seulement parce que tu veux être avec un malade ou parce que tu as besoin de parler avec une religieuse par exemple ».

Dans l'attente du pape François, qui a visité le ''Cottolengo'' le 21 juin 2015

« Comment fait-on pour rester debout ? » est la question que l’on adresse souvent au père Arice. « D’un point de vue économique, il n’est pas possible d’être à l’équilibre quand on assiste les indigents. Il n’y a pas de convention qui tienne. Mais la Divine Providence, depuis le début, a fait que rien n’a jamais manqué ». C’est comme ça qu’un matin un camion rempli de mandarines peut arriver. Et quand il y en a trop, une partie est envoyée aux fondations qui sont en dehors de Turin. « Deo gratias » a dit une religieuse au conducteur du camion. C’est la même expression qu’utilisait Giuseppe Cottolengo quand il voyait l’œuvre de la Providence en acte. Depuis, ces deux mots sont répétés à la fin d’une réunion ou d’une rencontre de quelques minutes pour ne jamais oublier pour « Qui on travaille ».

Rossella Puddu, contrôleuse de gestion, en sait quelque chose pour boucler les comptes. « Une chose est claire : on ne coupe jamais dans les services. Même dans les chiffres, on recherche le sens de la charité de Cottolengo. C’est difficile à expliquer, mais ça se répercute sur mon travail avec les autres entreprises ».
Et c’est au milieu des “perles” accueillies dans la Petite Maison que l’on découvre l’espérance générée par ce lieu. Angela est sourde, muette et aveugle. La communication avec l’extérieur paraissait impossible. Après des années de travail, avec l’aide des sœurs, elle a appris un langage des signes qui lui permet de “parler” avec les gens. Quand elle est allée en pèlerinage à Lourdes, elle n’a pas demandé la guérison mais la paix du cœur.
En novembre 2018, une exposition intitulée : “Avec mes yeux“ a été installée sur la place Castillo, avec des peintures, des sculptures, des poésies et d’autres expressions artistiques, réalisées par les résidents de la Petite Maison. Maurizio Momo, architecte turinois et réalisateur de l’exposition a même dit : « Ce sont des œuvres d’art ! ».
Teresina, affectée par des scléroses de toute sorte a voulu écrire son histoire sur un panneau : « Seigneur Dieu d’amour, de tendresse, tu as posé ton regard sur moi avant même que je naisse. Ton amour, au milieu des replis de mes souffrances, a fait une brèche dans mon cœur, dans mon âme blessée, bouleversée par la maladie, par la mort précoce de ma mère et, comme conséquence, par le choix de mon père de me déraciner de ma terre pour Turin et de me laisser dans la Petite Maison de le Divine Providence. Je te loue, je te rends grâce Dieu d’amour, Dieu de tendresse pour m’avoir fait comprendre dans le temps que la souffrance et la maladie n’était plus un abîme, mais une profondeur à vivre avec une espérance joyeuse ».

Puis il arrive qu’en restant auprès des “perles” de Cottolengo, la charité du Christ devienne si transparente et urgente qu’elle donne une indication pour sa propre vocation. Lucia, infirmière à peine diplômée, commence à travailler “par hasard” à l’hôpital de la Petite Maison. Elle doit se marier sous peu, tout est prêt. Elle est heureuse avec son fiancé. Un jour, elle se perd dans les souterrains de Cottolengo et elle se retrouve dans un couloir où il y a une fête organisée par des handicapés. Elle demande alors à une sœur quel est cet endroit. « Tu es dans la Petite Maison de la Divine Providence où sont accueillis des personnes seules avec des handicaps ». Elle reste là clouée sur place pour regarder. Et elle y retourne le jour d’après, et le jour encore après, attirée par ce lieu. « Je restais là avec ces personnes spéciales. Ils avaient une sérénité que j’enviais, une joie profonde », il y avait quelque chose d’autre. Lucia a besoin de temps, elle ne se sent plus sure de rien, elle se retire pendant un mois dans la prière et la méditation. Lors d’un après-midi pluvieux, alors qu’elle lit dans la Bible : « Je ferais de toi ma servante ! », un rayon de soleil inonde la pièce. C’est vraiment arrivé comme ça. « Rien de sentimental, mais j’ai pensé : cette phrase est pour moi. D’accord, Seigneur, je me fie, je te suis ». Pas de mariage et la décision de devenir une consacrée dans la famille de Cottolengo. Aujourd’hui, elle est sœur Lucia.

Certains retrouvent leur vocation. Un couple en crise : disputes et incompréhension. Il semble que le mariage soit arrivé à sa fin. Un matin, la femme dit à son mari : « Écoute, avant de prendre la décision ultime, allons à Cottolengo comme volontaires, au moins on aura fait une bonne action ». La bonne action a été un nouvel Amour qui les a investi à travers les visages de ces pauvres qui sont heureux dans leurs conditions. Après quelques mois, ils se regardent un soir comme peut-être ils ne l’avaient jamais fait en se demandant : « Mais qu’est-ce qu’on est en train de faire ? ». Et à partir de là, ils sont repartis pour une nouvelle vie matrimoniale.