La cathédrale de Vilnius

Lituanie. Ce qu’il y a de positif

Elle a développé la culture de l’accueil là où on ne trouvait que des internats de type soviétique. Et elle l’a fait par le témoignage. L’histoire (et la méthode) de Sotas, l’ONG de Vilnius qui s’occupe de mineurs à risque (Tracce, avril 2019)
Luca Fiore

Le siège de Sotas se trouve à Verkiu, un quartier populaire de la périphérie de Vilnius, quartier tout en grosses casernes et en béton armé, très éloigné, et pas seulement géographiquement, de l’élégant centre historique de la capitale lituanienne. Sotas, acronyme de « Volontaires pour le service social », s’occupe d’orphelins, de mineurs en famille d’accueil et de familles à risques : ces pans vulnérables de la population dont la Lituanie est en train d’apprendre à s’occuper de manière nouvelle. Notamment en demandant de l’aide à des acteurs non-étatiques comme Sotas.
Indépendante depuis 1990, et membre de l’OTAN et de l’Union européenne depuis 2004, la Lituanie semble encore osciller entre deux complexes : ne pas être encore totalement émancipée de l’hérédité soviétique, et ne pas encore être reconnue comme un pays européen de plein droit. Cela dit, les magasins acceptent l’euro depuis 11 ans, et la plupart des universitaires sont nés après l’indépendance. Et le peuple lituanien est le plus européiste qui soit : le taux de confiance envers les institutions de Bruxelles est le plus élevé de l’Union (66% contre 36% en Italie).
« Sotas est née en 2002, à la veille de l’entrée de la Lituanie dans l’UE », explique Lijana Gvaldaite, l’une des fondateurs de l’ONG : « Au départ, nous nous occupions de soutien à distance et d’adoptions internationales pour le compte de l’Avsi, mais le plus grand travail a été de développer la culture de l’accueil, avec la formation et l’accompagnement des familles d’accueil ».
Au début des années 2000, le modèle d’assistance pour les orphelins et les mineurs éloignés de leurs familles était toujours le modèle soviétique de l’internat, l’orphelinat étatique, où les enfants restaient jusqu’à leur majorité. « Ils étaient peu nombreux à savoir ce qu’était une famille d’accueil, et presque personne n’en parlait. Alors, quand les institutions se sont ouvertes à cette possibilité, nous avons commencé à la promouvoir dans les médias et à offrir des cours de formation ». La méthode était celle du témoignage : d’abord par des histoires venant d’Italie, de couples de Famiglie per l’Accoglienza (Familles pour l’Accueil, ndt), puis, avec le temps, avec des témoignages de familles d’accueil lituaniennes.
Aujourd’hui, l’ONG est une réalité solide avec 15 employés, qui, en plus des cours, de l’accompagnement des familles d’accueil et des adoptions internationales (26 cas difficiles seulement en 2018), a ouvert un centre de jour pour mineurs de familles à risques à Verkiu.
« Sotas a contribué au changement de mentalité dans ce domaine », explique Tomas Milevičius, fonctionnaire du Ministère des Services Sociaux et membre du Conseil directif de l’ONG : « Au début, l’État ne savait pas s’il pouvait faire confiance à des organisations comme la nôtre, mais avec le temps, une estime que nous n’aurions pu imaginer s’est construite ».
Quand les membres de l’ONG parlent de leur travail, ils insistent beaucoup sur la méthode. « Nous l’avons apprise de l’Avsi, qui a essayé de traduire les principes de la Doctrine sociale de l’Église », explique Nijole Gikniene, qui travaille chez Sotas comme assistante sociale depuis 2004. « Nous les avons synthétisés en cinq points : centralité de la personne, partir du positif, agir ensemble, subsidiarité et partenariat. Avec le temps, nous avons essayé de modeler notre travail selon ces critères ». Andrius Atas, psychologue, explique ce que cela signifie dans le détail : « Quand nous rencontrons une famille en difficulté, nous n’analysons pas la situation en détaillant les problèmes, mais nous cherchons les ressources positives des personnes impliquées. Relations, capacités, désirs. Les gens ne se rendent pas compte du positif qu’il y a dans leur vie. Si on le leur fait voir, ils changent d’attitude et essayent de repartir ».

Vilma Jarmalaviciene, une employée de Sotas

Que ce soit pour Nijole ou pour Andrius, la rencontre avec Sotas a signifié aussi la rencontre avec l’expérience de Communion et Libération. « Aujourd’hui, suivre la vie du mouvement m’aide vraiment à travailler », explique Andrius : « J’ai appris que ce n’est pas nous qui changeons le monde en mieux, mais que c’est le Mystère qui agit et nous fait observer et participer au spectacle qu’est la vie des gens. Quand je ne sais plus quoi faire, je pense : « Seigneur, fais Toi quelque chose pour nous qui sommes pauvres ». Et c’est la plus grande contribution que je peux donner aux personnes que j’aide : je sais que, même quand nous avons l’impression d’être dans un cul-de-sac, ce n’est pas la fin ».
En décembre, la directrice de Sotas, Paola Fertoli – une memor Domini en Lituanie depuis vingt ans – a été remplacée par Martynas Palonis, âgé de 27 ans et présent dans l’ONG depuis 2014. Martynas ne participe pas à l’expérience de CL, mais au cours des années, il a appris à avoir de l’estime pour celle-ci, parce qu’il la considère comme étant la source du travail de l’organisation. Andrius raconte : « Récemment, pendant une réunion avec Martynas, j’ai dit une chose un peu provocante. Sotas ne répond ni à l’État, ni à la Conférence épiscopale lituanienne, mais ce que nous faisons, c’est ce que fait l’Église ». Le jeune président a essayé de comprendre : « Nous en avons discuté et il me semble avoir compris ce qu’Andrius voulait dire. Il ne conçoit pas l’Église comme on le fait d’habitude, c’est-à-dire comme une organisation, mais comme l’ensemble des hommes qui vivent leur vie en tant que chrétiens ».
Mais ce n’est pas la seule chose que Martynas a apprise à Sotas : « À l’université, j’avais appris que pour aider une personne il fallait comprendre quels étaient ses manques et chercher la manière de les combler. Ici, au contraire, on part des ressources qui sont déjà présentes. Cette méthode vaut aussi entre collègues, dans les difficultés que nous devons affronter au travail ».
Andrius aussi s’en est aperçu : « Ce qui nous distingue, c’est l’attention pour les salariés, prendre soin de ceux qui doivent aider les autres ». Ce n’est pas un hasard si Vilma Jarmalaviciene, après deux maternités de suite qui l’ont éloignée pendant quatre ans, a décidé de revenir dans l’association, malgré différentes offres de travail plus intéressantes financièrement parlant : « Quand tu travailles, tu dois être content. J’ai affaire à des problèmes très sérieux, mais ici, je ne suis pas seule pour les affronter ».
Kristina Ciginskiene, qui s’occupe de la gestion des projets, raconte la fois où Dalija, une jeune fille en difficulté qui avait commencé à travailler avec eux, avait laissé un billet sur son bureau (« Pardonnez-moi ») et était sortie pour tenter de se suicider. « Nous sommes tout de suite allés la chercher. Heureusement nous l’avons rattrapée à temps. Depuis elle a fait 2 séjours psychiatriques à l’hôpital. Il est facile d’avoir peur dans des situations comme celle-ci. Mais cette fois-là, ce qui a prévalu en moi, c’était la certitude que Dalija était aimée, comme elle est, par le Mystère. Penser cela te responsabilise et te libère en même temps ».

Martynas Palonis et Paola Fertoli, devant l’entrée du centre de jour pour mineurs à Verkių.

Paola, en repensant à ses 17 ans passés chez Sotas, pense à une personne en particulier : Povilas, un jeune garçon qui a grandi en internat. « Quand il en est sorti à 18 ans, il est d’abord allé voir ses parents biologiques, qui entretemps avaient perdu leurs droits parentaux, puis il est venu chez moi. Nous étions devenus pour lui un point affectif. Nous n’avons pas résolu tous ses problèmes, mais nous avons été et nous restons avec lui. Nous l’accompagnons dans les difficultés. C’est ce que nous pouvons faire ».

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Avec les années, l’expérience et la compétence de Sotas ont été reconnues par l’administration communale de Vilnius et par les organismes nationaux. L’ONG est impliquée dans le processus d’ajournement de la Loi pour la protection des mineurs. La législation, approuvée pour la première fois en 1996, évolue continuellement, dans la tentative de se conformer aux standards internationaux. Mais, se sentant peut-être trop en retard, le Pays a péché par excès de zèle : « Vouloir insérer dans la loi une définition explicite de “violence” envers un mineur, comme cela a été fait en 2017, signifie introduire des automatismes qui réduisent la possibilité de comprendre la nature et le contexte de ce qui arrive en famille », explique Lijana en racontant le cas d’une mère qui a été dénoncée pour avoir donné une gifle à l’un de ses enfants et qui a dû aller en prison pour cela. « Notre contribution au débat est de faire comprendre que l’enfant doit être considéré dans sa famille et non pas, comme l’on fait aujourd’hui, indépendamment des rapports qui le constituent. Voir le mineur à l’intérieur de sa famille change aussi l’approche de l’aide sociale. Aujourd’hui, la loi lituanienne a un regard suspicieux envers la famille. Dans les commissions où nous sommes appelés à donner notre avis, nous sommes en train de faire passer l’idée qu’il doit y avoir la possibilité, là où c’est possible, de rencontrer, d’aider et d’accompagner les parents en difficulté. C’est comme cela que l’on protège vraiment les enfants ».