Mon premier amour

Si je devais parler de mon premier amour, c'est n'est pas d'abord le nom de Jésus qui viendrait sur mes lèvres. Mais tellement d'amour reçu et partagé m'apprend à reconnaître et à désirer m'approcher toujours plus près de la source de cet amour

Si je devais parler de mon premier amour, c'est n'est pas d'abord le nom de Jésus qui viendrait sur mes lèvres. Mais tellement d'amour reçu et partagé m'apprend lentement avec les années à reconnaître et à désirer m'approcher toujours plus près de la source de cet amour. Je vois mieux Jésus : lui est cette source d'amour, de vérité, de vie. Tous ces mots ont pris des visages, une chair, une épaisseur, une présence, un poids de plus en plus précieux. Mon premier amour c'était de l'émerveillement, des élans d'admiration, d'enthousiasme, dans une marée d'incompréhension, d'absence de direction et de sens donné par des paroles. Maintenant l'émerveillement est pour la constance fidèle de la vérité cachée dans ce qui m'attirait.
J'ai été attirée, prise par un goût que je n'ai pas choisi mais qui m'a choisie, il m'a entrainée sur un chemin que je n'aurai jamais prévu. Je n'aurai pas su parler de vocation, je cherchais une voie pour vivre un attraction, maintenant je comprends que ce qui m'attirait dans beaucoup de rencontres c'était justement la vie de la vocation, la vie donnée au Seigneur: j'étais attirée par la force de vie et de création de vie que je rencontrais chez des chrétiens, ce sont les croyants qui sont devenus visage du Christ, cette vie est devenue vie du Christ, l'Eglise ma maison.

Je suis née à Paris dans une famille chrétienne, au lycée la JEC fut le lieu le plus vivant pour moi, ensuite cet engagement a continué durant mes études pour devenir professeur d'arts appliqués, je suis entré dans les fraternités Charles de Foucault Jeunes, j'ai vécu avec passion Mai 68: « Nous voulons une autre vie, changer la vie, mais quelle autre vie voulons nous ? Commençons maintenant de la vivre ! »
Alors je vivais mal la tension entre deux exigences qui me divisaient : la radicalité d'une vie consacrée à la peinture et la sculpture, et la radicalité de la foi : suivre Saint Paul dans sa course pour annoncer l'Evangile, je sentais ne pas connaître Jésus Christ et le vouloir. Je ne trouvais pas d'unité entre ces deux voies, je ne trouvais pas d'aide pour avancer vers cette unité désirée.La terre manquait sous mes pieds.
Après l'ébranlement profond qui a suivi Mai 68, je ne voulais plus faire partie d'un mouvement, je redoutais les leader-ship, j'ai commencé à vivre avec deux filles que je ne connaissais pas avant dans une petite maison, nous cherchions une vie communautaire, nous étions liées à un lieu de célébration et de partage évangélique avec quelques frères dominicains. Parmi eux, Dino Quartana, sculpteur, il nous parlait de son expérience de GS en Italie, il citait des paroles de Don Giussani qui me semblaient inouies. Très vite,il nous fait connaîtres ses amis : Lia Sanicola, Sante Bagnoli, Diego Arbizzani, Pigi Bernareggi, Giuliana Contini, Peppino Zola et Adriana, Robi Ronza, Stile et Carlo Buora... j'entendais souvent parler de Bill Congdon, Rodolfo Balzarotti, de Gudo de Subiaco, de la Calabre... je découvrais une fourmilière de gens tentant toutes sortes d'expériences et d'aventures pour vivre ce qui les passionnait, leur foi et leur amitié y étaient totalement engagées. Ils créaient une coopérative, une école, une maison communautaire, une maison d'éditions, une chorale, une formation pour la santé, une ferme agricole. Ils risquaient, sans peur de se tromper, alors que je venais d'un milieu où l'on réfléchissait, où l'on analysait les situations à n'en plus finir pour décider de faire quelque chose. J'ai compris qu'on apprenait beaucoup plus de cette façon là, surtout j'ai découvert un sens complètement nouveau de l'amitié : celle qui vient du sens de la vie partagée, d'une expérience de la foi suivie ensemble.
Je me rendais compte que ce que je voulais s'appelait la vie religieuse dans l'Eglise , j'ai commencé de chercher dans quel couvent, cela se passait toujours mal : je ne voulais rien lâcher, ni la sculpture, ni le travail où l'on gagne sa vie, ni ma petite communauté qui me faisait voir l'Eglise comme le lieu où toutes les vocations se nourrissent les unes les autres– familles, prêtres, religieux, célibataires par choix ou non- tous construisent ensemble le corps du Christ et s'éduquent mutuellement pour sa gloire.
Alors qu'il était souvent présent à Paris, nous avons demandé l'aide d'un discernement sur nos chemins à notre ami Angelo Scola. Il m'a envoyée rencontrer Don Giussani pour vérifier une vocation où il reconnaissait celle du Groupe adulte, les Memores Domini. Don Giussani m'a fait commencer le noviciat.
Nous étions alors une centaine en tout, cette foule m'effrayait .
Je parlais à peine l'italien, seul un livre de Don Giussani était traduit en français. Je pensais : « si cela est vrai, cela doit passer la frontière ». A cette période il n'y avait pas de conscience internationale du mouvement, même si beaucoup étaient partis en mission en Amérique Latine, en Europe de l'Est, en Afrique.
J'ai appris que sous chaque mot important, il y a une expérience, que si nous ne nous comprenons pas c'est parce que nous ne nous connaissons pas, nous n'avons pas partagé la même histoire.
Mon regard et ma conscience ont été transformés par des rencontres, je voyais comment des personnes du mouvement regardaient chacun avec la conscience de ce à quoi il est promis, ce qu'il est appelé à devenir, ils ouvraient un chemin à l'autre, ils ne le jugeaient pas suivant son caractère, ses capacités, ses défauts pour l'enfermer dans un passé, mais ils ouvraient un futur à cette annonce ; « tu es le temple du Seigneur, tu es fait pour sa gloire ».
J'ai rencontré le lieu le plus libre et le plus exigent, le moins formel et le plus pragmatique avec Don Giussani : il cherchait toujours ce qui est possible avec un respect total de la liberté. Il me rappelait toujours : « sois fidèle ».
C'est pour cette vocation des Memores Domini que j'ai pu prononcé la parole que je voulais dire sur ma vie pour toujours face au monde. Je ne vivais pas cette expérience en passant, en attendant autre chose : elle était au cœur de ma vie je la voulais pour toujours, je lui appartiens. Dans l'Eglise, pour l'Eglise avec l'aide de l'Eglise, je dis un oui pour toujours.
Que les circonstances dans leur chaos m'aient conduites à entrevoir et à vouloir cette beauté et cette vérité de l'Eglise fut mon trésor et mon désert. Sur un chemin semé d'embûches et de contradictions apparemment insolubles, la petite flamme de certitude que Jésus était là caché et ne trompait pas, ne parvenait jamais à s'éteindre.
Dans ces luttes j'ai moi aussi été touchée à la hanche et j'ai reçu la grâce de marcher en boitant, d'éprouver la fragilité, la vulnérabilité où grandit la conscience d'être entre les mains d'un autre, de s'en remettre à lui, à sa miséricorde, de demander, de crier « Seigneur vient à mon aide », « viens à notre aide, tire nous de ce lieu où nous sombrons ». De plus en plus mon « je » devient « nous » , je deviens moi-même grâce au regard, à l'attente, à la manière d'être d'amis . Je sens que rien n'advient hors de notre être ensemble. Même ce qui paraît le plus singulier – quand je peins personne ne tient à ma place le pinceau- ce qui naît dans ce qui est le plus solitaire vient de ce qui nous relie. Tout mon travail de création et de chantiers s'est réalisé dans ces liens et ces amitiés données par le mouvement. Le Christ est là quand nous sommes réunis deux ou trois en son nom. Nous sommes part les uns des autres, nous ne faisons pas seulement pour l'autre mais avec l'autre. Nous ne pouvons pas nous ignorer, nous dévorer mais nous accueillir et nous répondre, prononcer ces paroles et faire ces gestes de consentement au don que Jésus nous fait dans la présence de chacun.
Choisir le bonheur.

Marie-Michèle, Paris