« Qui nous sauve du mal ? »

La réalité telle qu’elle est devient la première forme de compagnie, capable de réveiller toute la nostalgie de sa Présence

« Prof, vous croyez vraiment ? me demande Anna, au beau milieu du cours, en classe de première. - « Oui », ai-je répondu. - « Moi, je suis athée ». Mais ce n’est pas là-dessus que se fonde ma relation avec elle, Je lui dis alors que, pendant l’heure de religion, « le but est simplement de découvrir si nous pouvons vivre intensément tout ce qui nous arrive et, à ce niveau, les prises de position comptent peu ». Anna persiste : « Moi, je ne crois pas en Dieu parce que, l’année dernière, à Naples où j’habitais, j’ai vu un garçon se faire assassiner. Je l’ai vu de ma fenêtre, baignant dans une flaque de sang. Puis j’ai compris que c’était un de mes amis. Quand je suis descendue, il y avait à côté de lui sa maman, sa grand-mère et son petit frère qui hurlaient et priaient. Cela m’a semblé la seule chose à faire. J’ai prié moi aussi, comme jamais je ne l’avais fait. Mon ami est mort quand même. Depuis, je ne crois plus. Pourquoi Dieu permet-il ça ? Qui nous sauve du mal ? »
La sonnerie de la cloche interrompt les sanglots d’Anna et le silence qui est tombé. Je sors avec elle. Je lui dis de ne pas avoir peur de ces questions, de les tenir vives, parce que désormais nous pouvons les affronter ensemble. Spontanément, je l’invite à la journée de début d’année de GS (Jeunesse étudiante). Je veux lui offrir ce qui, pour moi, est la réponse à ce qui s’agite dans le cœur de tout homme. Elle me regarde et me dit : « Je ne sais pas pourquoi j’ai raconté tout cela. Je ne voulais pas le faire savoir à toute la classe. Mais, quand je vous ai vue entrer, j’ai compris que je pouvais avoir confiance ». Qu’est-ce qui l’a poussée à avoir confiance ? Elle m’avait défiée au début du cours par son comportement indiscipliné et je n’avais pas été capable d’autre chose que de réagir. Qu’est-ce qui est arrivé ? Sa demande de sens, même si elle est posée comme un défi, m’a rendue immédiatement solidaire, liée à elle par quelque chose de plus grand que mon incapacité. « Aujourd’hui, ai-je pensé, Tu es venu me chercher ! ». La réalité telle qu’elle est devient la première forme de compagnie, capable de réveiller toute la nostalgie de sa Présence. Anna me regarde. Je pense que ce petit visage m’a rendue présente à moi-même, plus attentive, plus disponible pour voir comment, aujourd’hui, Jésus m’appelle, même au cœur de circonstances que je voudrais éliminer, ou du moins éviter. Anna m’a arrachée à ce « pour moi, le présent n’est jamais maintenant ».

Paola, Monza