Un dimanche chez Rod

En regardant nos enfants, je me rends compte que je ne désire rien de plus pour eux que cette ouverture à quelque chose d’autre et de plus grand que nous

Durant l’été de 2013 nous avons parlé entre amis du besoin de faire la caritative. Après avoir un peu discuté, nous avons décidé de rendre visite à Rod le dimanche après-midi. Rod, tétraplégique, est l’ami de plusieurs d’entre nous. Le désir de me laisser éduquer par un geste de charité s’opposait cependant à l’envie de passer mon temps à faire autre chose. En plus je pensais qu’un autre geste aurait sans doute été plus intéressant, mais en même temps j’avais l’intuition que seule une mise en jeu raisonnable de mon temps et de mon énergie me permettrait d’être éduqué par ce que nous comptions faire. Le fait d’en parler avec un ami nous a aidé mutuellement à regarder plus attentivement notre désir et ainsi nous avons commencé à programmer plus systématiquement notre visite. Sortir de chez moi pour me rendre chez Rod est devenu un choix raisonnable de consacrer mon temps à quelque chose en dehors de mes programmes, avec le désir que chaque visite puisse manifester une nouveauté. En regardant nos enfants, je me rends compte que je ne désire rien de plus pour eux que cette ouverture à quelque chose d’autre et de plus grand que nous, de sorte que ma femme et moi nous avons décidé de les amener de temps en temps passer une après-midi avec Rod. Un dimanche nous étions à neuf chez Rod, en train de parler avec lui et de chanter avec la cithare et l’ukulélé. Au début je pensais que c’était ridicule de venir aussi nombreux pour faire compagnie à une seule personne, mais par la suite je me suis rendu compte que Rod ne s’en est jamais plaint, et que moi j’ai plus de neuf amis autour de moi. J’ai commencé à désirer pour moi-même le même sentiment de gratitude que Rod avait pour la vie. Il nous a quitté durant la vigile de Noël. Quand nous en avons été informés, ma femme m’a dit : « Nous avons perdu une des plus belles choses que nous avions ». C’est bien vrai que la caritative est une des expériences les plus authentiques et les plus éducatives que je puisse vivre.

Lucas, Vancouver (Canada)