Je regarde mes élèves après la tuerie au Kenya

Il y aurait de quoi céder au désespoir, par contre la certitude brille encore plus : ce qu’on a rencontré est la réponse à ce qui arrive

Je regarde mes enfants à l’école ici à Nairobi, ainsi que les enfants de mes amis, à qui je suis très attachée, et je pense : quel monde les attend ? Où iront-ils vivre ? J'en tremble. Les journaux d’ici ont opéré une grande censure, au début, aussi pour empêcher que la panique se répande : par la suite ils ont publié des détails horribles sur la façon dont se sont déroulés les faits du massacre au Kenya le 2 avril.
Il y aurait de quoi céder au désespoir, par contre la certitude brille encore plus : ce qu’on a rencontré est la réponse à ce qui arrive.
Alors je reprends, encore plus enthousiaste, mon travail, sûre de construire le bien pour moi, pour les enfants et pour les enfants de mes amis.
Maintenant on a renforcé les contrôles un peu partout et notamment à l’entrée des centres commerciaux. Mais, en réalité, que peut-on faire ? Il est clair que nous sentons notre vie menacée, qu’il n’est pas acquis d’être vivants, d’avoir encore un jour devant soi, de savoir que les amis vont bien et de demander qu’ils soient toujours là. On redécouvre la gratuité du fait d’exister.
Certains amis nous ont écrit pour nous demander si parmi les jeunes décédés il y avait des ex-élèves de notre école. J’en ai eu des frissons. Nous pensons que non, mais c’est comme si ceux qui sont morts, qu’on ne connaissait pas, m’appartenaient : ils étaient à moi tout autant que mes ex-élèves, ils étaient faits pour être heureux.
Cette cruauté me rend plus reconnaissante et sûre de la rencontre que j’ai faite et c’est cela que j’espère pour mes enfants, et puisque je l’espère, je sais qu’un bien les attend.

Porzia, Nairobi (Kenya)