Aliù, Akima et la dame fofolle

J’ai besoin que quelqu’un me regarde pour ce que je suis. Jésus s’arrête tous les jours aux marges de mon cœur, il vient me chercher
Anna, Cernusco sul Naviglio (Milan)

Aliù est sénégalais, il est en Italie depuis 2009, il vend des livres pour les enfants sur la rue piétonne, qui traverse le centre du village où je vis et que je parcours au moins quatre fois par jour avec mon bébé de six mois. Un jour je décide de m’arrêter et de lui demander son nom. En fin de compte, je le vois plus souvent que mes amis de toujours! Il me raconte son histoire, je lui donne quelques pièces. A partir de ce jour, chaque fois que je passe, nous nous donnons de nos nouvelles, mon fils s’amuse et rigole avec lui. On a essayé de lui chercher un petit travail (sans succès pour l’instant) et, si je peux, je lui laisse quelque chose à manger. Quand je n'ai rien à lui donner, il rigole et il me remercie environ dix fois de m’être arrêtée pour lui tenir compagnie.

Akima est une fille marocaine, toujours joyeuse et grande travailleuse, qui m’a aidé à nettoyer et repasser pendant les premiers mois de maternité. Elle parle volontiers de ses enfants. Un jour elle me confie que son mari est toujours ivre et qu’il n’a pas de travail. Un mariage arrangé, alors qu’elle n’était qu’une jeune fille. Son sourire me frappe, quand elle fait face à ma demande d’entrer dans une maison où peut-être elle ne souhaiterait pas entrer, de nettoyer quand probablement elle aurait eu la capacité de faire autre chose, de voir les photos d’un mariage désiré sur les murs... moi pour beaucoup moins que ça j’ai le regard perdu et le visage sombre. De quoi a-t-elle besoin ? D’un travail avec un contrat : j’essaye de le lui chercher. D’assistance : je me renseigne auprès d’associations d’entraide. D’argent : je lui en donne un peu plus à sa dernière visite. Pourtant, son sourire n’est pas de façade. Le dernier jour de travail elle m’embrasse, et son étreinte ne me demande pas de la sauver de sa propre vie, mais de lui tenir compagnie. Bien sûr si on trouve un travail, c’est mieux, mais avant cela elle a l’exigence et le désir d’être aimée, telle qu’elle est, dans la vie qu’elle a. J’ai redécouvert un peu plus ce même désir en moi grâce à Akima.

Et pour finir il y a une dame un peu folle qui se balade dans les rues. Quand elle rencontre quelqu’un elle commence à parler. De temps en temps je m’arrête, j’écoute et je souris. Quand je la salue elle me dit : « Tu sais, maintenant je rentre chez moi et je ne parle plus ». Ai-je fait une bonne action ? Je ne sais pas. Certes la disponibilité à regarder ce qui arrive et à me laisser impliquer dans la réalité que je rencontre m’aide à m’arrêter aux marges de la rue, à ouvrir la porte, non seulement de ma maison, mais aussi de ma vie à ceux que je rencontre, et ceci me fait apercevoir combien j’ai besoin que quelqu’un me regarde pour ce que je suis. Jésus s’arrête tous les jours aux marges de mon cœur, il vient me chercher toutes les fois qu’en soufflant je me mets sur le bord et m’arrête. Mais il ne me traine pas dans la rue en me disant quoi faire, il ne me dit pas où aller en me donnant tout ce dont j’ai besoin. Il me dit bonjour, me prend dans ses bras, me prend par la main et il me dit : « Si tu le veux, viens avec moi ». Beaucoup de fois, en ces mois beaux mais aussi très difficiles, il m’a dit: « Anna, ne pleure pas ».