Je m’accroche intensément à ce désir

Je n’ai qu’un désir : celui de vivre ma foi. C’est-à-dire la certitude que Dieu est tout le réel et donne sens à chaque instant de ma vie
Marie

« Celui qui essaie de communiquer la foi, au milieu des hommes qui vivent et pensent dans le monde d’aujourd’hui, peut réellement avoir l’impression d’être un clown[…] qui se présente au monde d’aujourd’hui, drapé dans les vêtements et les pensées des anciens, et donc dans l’impossibilité de comprendre les hommes de notre époque et d’être compris par eux. » (Introduction au christianisme, Ratzinger)

Dans la façon dont je vis et communique ma foi, suis-je pris pour un « clown » ou pas ?

Cher Silvio,
Comme tu le sais, je ne participe pas, ou très peu, aux divers gestes du Mouvement. Et pourtant, Dieu seul sait à quel point le charisme du Mouvement est important pour moi, surtout la lecture des textes de Giussani et de Carron, en Ecole de Communauté. Cela en effet a ré-animé ma foi d’une manière incroyablement forte. C’est comme si, avant, ma foi était sans oreilles, sans yeux, sans mains. Ou alors comme tronquée et manquant l’essentiel. Un peu mécanique. Un automatisme se vidant peu à peu de sa substance… Il m’a été redonné de vivre l’incarnation chrétienne, et c’est une grande Grâce pour moi et tous mes proches.
La phrase proposée pour l’assemblée de demain m’a frappée et il fallait que je t’écrive.
J’aime bien cette idée exprimée par Ratzinger : à la fois grotesque et anachronique. Serions-nous ainsi ? Risibles, ridicules, pitoyables, étranges, désuets, vieillots, poussiéreux ? Avec nos manies, nos rites, nos phrases ? Nos questions, nos hésitations, nos convictions ?
Peut-être un peu. Comme les curés qui figurent dans les films, les jupes plissées bleu marine des jeunes filles de bonne famille sur les trottoirs de certains quartiers, les sermons languissants d’esprits moralisateurs !
C’est peut-être cette clownerie qui a menacé ma foi durant des années. Je n’avais pas trouvé la cohérence, alors je marchais, bancale, n’osant ôter mon masque et mon nez rouge. Dieu et blablabla…

Aujourd’hui, je peux affirmer avec une certitude profonde que la cohérence est beaucoup plus présente et qu’au quotidien, j’invoque Dieu comme je respire, avec mes enfants, mon mari, mes proches. ‘Comme je respire’, cela signifie que je n’ai plus l’impression que cela détonne dans le décor. Sur mon lieu de travail, je n’évoque jamais le nom de Dieu, mais je m’accroche au Plein. Je pars du Beau. Je me meus depuis le désir du Bon, du Vrai. Ce qui prêterait peut-être à rire, c’est que je m’accroche intensément à ce désir. Ce désir, ce manque ardent et moteur, c’est tout ce que j’ai de plus précieux. J’embrasse ce qui est Lumineux et j’essaie de ne pas me laisser tenter par l’obscur, la plainte, le moins. Les hommes de notre époque vont sûrement rire et se moquer, trouver ce désir, comique, naïf, ingénu. Mais les hommes de notre époque ne sont-ils pas emprisonnés dans une volonté de toute-puissance, vaine et sans joie, sans possibilité d’émerveillement, croyant pouvoir tout contrôler, décider, déterminer ? Ne sont-ils pas en train d’errer, de se perdre, parce qu’ils ont oublié ce désir, sa puissance, sa grâce ?

Mes élèves sont touchés, je le sais. Ils ont encore le cœur très malléable, très sensible. Et je suis émue des regards que nous échangeons. Quand la difficulté me frappe de plein fouet, je demande, je mendie et, dans mon regard, cela doit se sentir que je respire ce désir du Ciel. Par exemple quand, dernièrement, en fin de journée, M. s’avance vers moi, les yeux brillants : « Avec vous, je me sens bien et j’ai besoin de vous dire que, le 23 septembre dernier, j’ai appris que j’avais une affection tumorale à la moelle épinière, et que j’ai commencé la chimiothérapie », le ciel me tombe sur la tête. Je me retrouve désarmée devant cette magnifique jeune fille, mille fois plus désarmée que moi par le drame de la maladie qui la touche dans sa chair et va désormais être sa compagne quotidienne. Mais vraiment, comment affronter cela sans s’abandonner librement et totalement à Lui ?

Est-ce que je communique la foi ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais eu l’intention de communiquer ma foi. Le témoin témoigne malgré lui. Selon moi, un mauvais témoin serait un témoin qui aurait la volonté de témoigner et de convertir : comme si tout était en son pouvoir ! Je n’ai qu’un désir : celui de vivre ma foi. C’est-à-dire la certitude que Dieu est tout le réel et donne sens à chaque instant de ma vie. Et j’imagine que c’est la seule chose que je puisse faire, ‘clownesquement’ ou pas. Vivre ce désir qui fait bouger mon cœur et me fait vivre vraiment la vie. Il me semble que ce désir-là est l’essentiel de ma « communication ». Paradoxalement, est témoin celui qui n’a pas l’égocentrique désir de l’être. Que Dieu justement me garde de ce désir-là !
Et puis, si je suis risible, ce n’est pas mon problème, après tout. Ce qui fait rire, c’est ce qui touche, intrigue et ne laisse pas indifférent. Signe de la pertinence devant les exigences de la vie humaine.