Vie sacramentelle

La grâce que j’ai rencontrée dans le sacrement de la réconciliation. Confessions d’un prêtre.
don Gino, Toulon

Chers amis, il y a quatre ans, sœur Paola – prieure du monastère Notre-Dame de Clémence à La Verne dans le Var – me demandait l’engagement d’aller confesser régulièrement ses "petites sœurs de Bethléem". Aujourd’hui, je ne cesse de rendre grâce pour cette opportunité précieuse, car ces moniales, qui m’étaient déjà très chères dans le Christ, m’ont réellement appris à mieux me confesser. Je n’entrerai pas dans les détails, soucieux de préserver le secret de confession qui, pour un prêtre, est inviolable ; mais ce que je peux dire, c’est que ces religieuses, par leur manière de se mettre en présence de Dieu et de Son pardon, m’ont beaucoup aidé à réfléchir au sujet de ma relation personnelle avec Dieu, notamment au sujet des moindres détails de ma vie quotidienne, afin qu’elle soit entièrement tournée vers Dieu, réellement consacrée au Christ sans aucune réserve. Que de fois j’ai été étonné de les entendre s’accuser de petits manquements que moi j’accomplissais normalement, sans même réfléchir (et qui n’auraient jamais été objets de confession, auparavant…)
J’ai ainsi compris cette chose essentielle : plus on est proche du Christ, et plus la moindre distraction, le moindre écart entre l’idéal et sa mise en œuvre, est vite perçu, pour une âme sainte, comme quelque chose qui tend à exclure Dieu de sa vie – ne serait-ce qu’un instant – et plus encore, comme étant une blessure rajoutée à la Passion du Christ. Par exemple, bien qu’étant prêtre, il m’arrive pourtant fréquemment de ne pas tout vivre constamment en Sa présence, mais de me réserver des moments bien à moi, farouchement défendus par des mauvaises habitudes, où le Christ n’a strictement plus rien à voir. Je crois que chacun de nous en a fait l’expérience personnelle, comme nous le rappelait le père Carrón lors des Exercices Spirituels de Rimini : on peut toujours faire les choses "pour" le Christ – en les enrobant au passage d’une couche vaguement "religieuse" – mais "sans" le Christ, c’est-à-dire sans que le Christ soit réellement présent en tant que motivation, but, et même auteur principal de ce que l’on fait…
Un autre aspect essentiel est celui de la prière. Ces âmes bénies ont fait un choix radical : celui de se retirer du monde, dans la solitude d’un cloître, afin de consacrer entièrement leur vie à la louange de Dieu. Ainsi faisant, elles accomplissent la tâche la plus importante qui nous soit confiée sur cette terre : être la voix de toute l’humanité constamment adressée à Dieu, une intercession continuelle, autant en faveur de ceux qui prient déjà que de ceux qui ne prient plus, ou qui n’osent pas. Bien qu’elles peuvent donner l’impression à certains esprits étroits de ne rien faire d’utile, ce sont bien elles qui, par leurs prières, rassemblent tous les soucis et les besoins du monde, les portent précieusement dans leurs cœurs et les présentent sans cesse devant Dieu ; à l’image de la maternité spirituelle de la Vierge Marie, qui n’arrête jamais d’intercéder pour tous les enfants que Dieu lui donne. Et nous ? Bien que vivant dans le monde, comment pouvons-nous répondre de façon efficace à l’exhortation que saint Paul nous adresse à nous aussi lorsqu’il nous demande précisément de "prier sans cesse" ? Je pense qu’à ce sujet, une aide importante nous vient de la part de don Giussani, pour qui l’attitude fondamentale de la prière consiste à demander la présence du Christ en toute chose. Voyant le souci de ces petites sœurs de Bethléem de ne pas manquer à ce qu’elles appellent la prière continuelle, j’ai compris qu’il pouvait nous arriver facilement de vivre le présent sans même demander que le Christ vienne habiter ce moment, en le soustrayant ainsi fatalement à l’action de sa grâce.
À l’inverse, plus on est éloigné de Dieu, et moins on a la perception du péché en tant qu’obstacle sur la route de la sainteté. Par exemple, il arrive parfois que l’on vienne se confesser sans trop savoir quoi dire, révélant ainsi qu’on est venu voir le prêtre sans s’être préparé par un bon examen de conscience ; certains attendent même du confesseur qu’il leur indique leurs propres péchés... À ceux-là, je réponds toujours que je suis malheureusement bien loin d’avoir atteint le degré de sainteté de saint Padre Pio qui, lui, savait lire dans les cœurs des gens. Combien de fois en effet lui est-il arrivé de dire à un pénitent qui pensait avoir terminé sa confession : « Tu penses que c’est fini ? N’as-tu pas oublié ceci, et cela...? » et il lui racontait ses péchés dans les moindres détails. Il lui arrivait même d’alpaguer quelqu’un qui était juste venu pour accompagner un ami, en lui disant : « C’est toi qui as le plus besoin de te confesser ! »
Voilà pourquoi, aujourd’hui, beaucoup de gens sont désormais tellement éloignés de la grâce de Dieu qu’ils sont devenus presque incapables de discerner le bien du mal, et qu’ils finissent par accepter tranquillement des attitudes et des gestes qui avilissent la nature humaine en l’empêchant au final de s’épanouir correctement. Dans ce climat, on peut arriver jusqu’aux terribles mais grotesques attentats de ces terroristes modernes, qui croient devoir supprimer la vie de leur prochain au cri de « Dieu est grand ! »
Depuis toujours, les plus grands saints sont précisément ceux qui se définissent eux-mêmes comme étant les plus grands pécheurs. Et il n’est pas là question de fausse modestie, bien au contraire : ceux qui cherchent à vivre toute chose en présence de Dieu, justement à cause de cette plus grande "proximité" avec Dieu, perçoivent de façon bien plus aigüe que les autres, comme une offense faite à Dieu, le moindre geste, la moindre attitude empruntés d’autonomie. Car c’est bien là que se trouve la racine de tout péché : en effet, en ce domaine, tout peut être ramené, en tant que source, au Péché Originel, cette tentative absurde de l’homme de se faire la mesure de toute chose, de vouloir décider par lui-même ce qui est bien et ce qui est mal.
Finalement, qu’est-ce qui nous préserve du moralisme, face à notre péché quotidien ? C’est le fait d’avoir devant les yeux, non pas des règles à respecter, mais plutôt une personne à aimer, la personne vivante de Jésus Christ. Car, si j’accomplis toute chose devant Son visage, alors le mal que je fais peut être pardonné, tandis que le bien acquiert une valeur incommensurable.
Que le Seigneur nous fasse la grâce de chercher sans cesse cette "familiarité" avec le Christ, sans laquelle l’homme ne peut pas être homme.