Une vraie amitié

Le christianisme c’est cela : il ne résout pas les problèmes, mais nous met dans la bonne position pour tout regarder et tout affronter
Luca, Belgique

Les faits de Paris ont suscité en moi consternation et peur. Le dimanche après les attentats, je suis allé faire la caritative (aider une fillette malade depuis sa naissance à faire des exercices de physiothérapie et jouer avec elle), l’esprit encore encombré par ce qui s’était passé les jours précédents. Dans la maison régnait une paix contagieuse : depuis 13 ans cette famille est confrontée à une situation vraiment insupportable, mais qui devient supportable, si la vie a un sens. C‘est comme si, dans cette maison, la demande de sens qui a brusquement surgi devant les faits parisiens, était à l’ordre du jour telle la chose la plus "normale" qui soit. Il m’a semblé que justement là on pouvait trouver un principe de réponse à ces faits.

Le lundi j’ai rencontré mon meilleur ami à l’université. Il m’a dit : "Après avoir entendu parler des attentats, je me suis soûlé. Mais quel sens cela a-t-il ? Je ne parviens vraiment pas à comprendre". Moi je n’avais rien qui me distinguait de lui, sauf cette petite lumière que j’avais entrevue dimanche. De plus, il y avait le fait que ces terroristes en quelque sorte se faisaient tuer pour quelque chose, une idéologie terrifiante bien sûr, mais tout de même quelque chose de précis, j’ai dit à mon ami : "Matteo, je voudrais demander à tous les jeunes qui étudient ici, s’il y a quelque chose pour laquelle nous sommes en train de vivre et pour laquelle nous pourrions mourir aussi ! Je ne sais pas s’ils me répondraient, mais toutes les demandes que tu as, moi je les ai aussi !".

La semaine s’est déroulée normalement entre l’étude et la lecture d’articles variés qui nous aidaient à approfondir notre jugement sur les évènements parisiens.
Le jour où l’alerte terroriste est arrivée jusqu’à Bruxelles, nous étions 23 à nous retrouver pour étudier ensemble. Le fait surprenant est que nous n’avons rien fait de spécial, que nous avons simplement fait ce que nous devions faire : étudier et échanger des informations sur ce qui se produisait. Le soir nous avons chanté ! C’est étrange : mon ami s’était soûlé et nous chantions, mais sûrement pas pour oublier ! J’étais resté stupéfait et une semaine plus tard, dans le pétrin, nous chantions. Le christianisme c’est cela : il ne résout pas les problèmes, mais nous met dans la bonne position pour tout regarder et tout affronter. Et avec nous qui étions là - nous ne nous connaissions pas tous - il arrivait une nouvelle fois. Nous venions d’entendre, la soirée précédente, les paroles de Don Gius dans le vidéo : "espérant contre toute espérance" et ce qu’il disait sur le fleuve humain qui s’est élargi dans l’espace et l’histoire pour arriver jusqu’à chacun de nous, d’homme à homme, des gens venus nous rejoindre, nous qui étions des inconnus pour eux, parce que ce sont des gens qui vont dans la même direction que moi !

Cet épisode m’a aidé à saisir le sens du témoignage de cet homme qui a perdu sa femme dans les attentats, et qui en tant que veuf avec un fils a pu dire : "Mon fils et moi, nous sommes plus fort que toutes les armées du monde". Depuis ce weekend je comprends un peu mieux pourquoi ce lien entre homme et homme (qui s’est réalisé dans notre assemblée d’étudiants) et entre père et fils (comme dans la lettre) est plus fort qu’une armée entière, justement parce qu’il change l’homme à travers l’homme. Et comment cela se voit-il ? Le témoignage de ce père de Paris conclut : "Toute sa vie ce petit garçon vous fera l’affront d’être heureux et libre". Voilà la révolution qui change tout, ma propre vie en premier lieu. On se découvre changé parce que ces choses, creusant en profondeur comme un fleuve souterrain, opèrent un changement. Tu le vois dans ta vie de tous les jours. Tu le vois par exemple dans la façon dont tu regardes sans t’angoisser la date toute proche des examens, te mettant simplement au travail en utilisant au mieux ton temps au lieu de plaindre. Et tu changes de telle façon que les gens autour de toi s’en rendent compte. Comme mon ami Matteo qui a décidé de préparer un examen avec moi, grâce à cette amitié qui petit à petit est née entre nous et qui, à travers l’effort d’étudier ensemble, porte la vie de chacun d’entre nous jusqu’au point de devenir une véritable compagnie.