Quinze jours dans l’attente de la fin, et puis...

La possibilité de vivre intensément le temps à l'hôpital
Giovanna

Depuis que j’ai lu le jugement de Carrón sur les évènements de Paris, je me demande durant la journée : "Pourquoi vaut-t-il la peine de vivre ?", et alors je supplie le Seigneur de donner un sens à mon cri. Dans mon service, il y a un patient qui a découvert récemment qu’il avait une tumeur maligne à un stade avancé ; il a fait la chimio et est un peu affaibli. Il ne cesse de répéter qu’il ne croit pas en Dieu, qu’il ne veut voir ni prêtre ni psychologue, qu’il se confie uniquement à nous, médecins et soignants, qui ont le devoir de le guérir, et que par ailleurs il est serein et prêt à mourir... Mais quand il est déprimé, il s’en prend au crucifix dans sa chambre ou au médecin et à l’infirmière de service. "Fortuné", il a travaillé durement, n’a jamais fumé, possède un physique d’athlète, a toujours réussi dans la vie par ses propres forces. Il a une grande fille et une femme qui me cassent les pieds par leurs insistances... Depuis quinze jours, il attend la mort, et prétend y être préparé, mais aux dires de tous il en a une peur folle ; tous les matins il se fait beau, pour être prêt et ne déranger personne au moment fatal. La porte de sa chambre est soigneusement fermée, il ne veut voir personne... Et aucun de nous ne veut entrer car ses discours sont toujours les mêmes, ceux d’un désespéré qui refuse de se faire aider et qui "s’arrange !". Hier, après l’avoir ramené dans sa chambre, il m’a demandé, confidentiellement, combien de jours de vie a-t-il à vivre encore ? Et moi, en repensant à la provocation de Carrón, je me suis fâchée et lui ai dit que je ne suis pas prophète et que c’est le Seigneur qui décide du temps qu’il accorde à lui et à moi, comme il l’a décidé pour mon mari. Je lui ai raconté les circonstances dramatiques de la mort de Gianni et comment, grâce au crucifix, que lui bafoue, malgré la grande douleur que je ressens au cœur, j’ai la force de voir et d’apprécier que dehors brille le soleil. Je lui ai dit qu’il a le privilège de pouvoir faire un parcours qui lui permet de revoir certaines choses importantes, de reconstruire le rapport avec ses proches et surtout de vivre intensément ce temps dont décide le Seigneur et non pas le médecin ni moi. J’avais envie de crier qu’il ne pouvait désirer la mort, parce que l’homme est fait pour la vie et qu’il est beau de vivre. Ce matin je l’ai croisé dans le corridor se promenant bras dessus bras dessous avec sa femme ; il m’a dit qu’il n’a plus hâte de mourir car il a sa femme et sa fille qui l’aiment, et il a raconté qu’il avait reçu un message d’un ami qui disait qu’il priait pour lui et moi aussi je lui ai promis de prier pour lui. Le regard de cet homme sur sa vie a changé. Pour moi c’est un témoignage de notre tâche de chrétiens : puisque Lui nous regarde avec amour, nous devons regarder de la même façon ceux qui nous entourent.