Ce qui construit notre famille

J’ai éprouvé et j’éprouve encore, dans ma douleur, une allégresse qui n’est pas de ce monde

Cher don Julián,
Mon frère Luca a eu un accident de moto et il est mort sur le coup. Quand j’ai rejoint mes parents au funerarium, il n’y avait place que pour la douleur et pour l’image - qui me restera toujours à l’esprit - de son visage tuméfié, visage qui était pourtant souriant. C’est ce sourire qui m’accompagne, associé à la douleur.
Les jours suivants furent vraiment très difficiles. Mon autre frère, Pietro, vit avec son épouse aux Etats-Unis et, quand il est arrivé, je me sentais comme un petit enfant qui, la nuit de Noël, aspire à recevoir le cadeau espéré - qui était son accolade. Nous avons dû attendre toute une journée avant de revoir Luca à la chapelle ardente. Pour la deuxième fois, j’ai eu l’impression de mourir. En
larmes, je suis allé chercher une autre accolade de Pietro qui m’a murmuré : "Ce qui est là, Matteo, c’est seulement son corps ; à présent, au milieu de nous, Luca participe d’un Amour plus grand".

Nous avons perdu l’habitude de penser ainsi ; cela n’est possible que si l’on a rencontré le Christ. Et c’est ce que mon père arrive si bien à expliquer, dans les textes qu’il a écrits la nuit, toute cette semaine. Or il n’écrivait plus depuis trente ans ! "Aujourd’hui, autour de Toi, des fleurs, beaucoup de fleurs. Et Toi, au milieu, avec les bras ouverts. Sur chaque tombe, une croix. Tu es sur ta croix et, dans ce contexte, le symbole est très fort : In hoc signo vinces... Tu veux me dire que c’est cela ? Tu veux me convaincre que le symbole de la mort vainc la mort elle-même ? N’est-ce pas une contradiction ? Ton sacrifice est ma croix, une douleur sans égale. Aide-moi à voir que, sur le bois de la croix, Tu es là, les bras déjà libérés ; et Tu les ouvres pour m’embrasser tous les jours de ma vie."
Il y a quelques années, ma famille a beaucoup souffert. Mais Luca est en train de tout reconstruire dans le Christ. Autrement, comment imaginer qu’un père puisse écrire une chose pareille ? Comment une mère pourrait-elle chanter au cimetière, devant le cercueil de son fils ? En sortant de l'église, j’ai embrassé mes amis : j’ai éprouvé et j’éprouve encore, dans ma douleur, une allégresse qui n’est pas de ce monde. Elle n’est pas le fruit de mon imagination, mais de Sa Présence qui remplit notre cœur brisé. Ma mère a voulu que fût imprimé l’Angelus, au dos de la carte de souvenir "Car, dit-elle, la vie repart toujours d’un oui, comme Luca dans la discrétion de sa vie". Ma mère a toujours su qu’avant d’être ses fils, nous sommes les fils d’un Autre et, quand Dieu l’a jugé bon, Il n’a pas hésité à prendre Luca avec Lui.
Il a pris Luca, mais Il a donné le Christ comme fondement solide à notre famille.

Matteo, Varese