Hier à Fleury

"Comment puis-je réparer cette douleur que j'ai provoquée et dont je suis responsable ?"

En écho au silence de la prison - toutes ces portes fermées, ces personnes dont on ne sait presque rien, ces injustices, ces drames comme ces merveilles que nous ignorons avec une certaine indifférence - je vous partage ce qui m'a profondément touchée ce matin à la messe à la prison de Fleury après notre caritative.
Au début de la semaine, Laurent que nous connaissions bien, quelqu'un de difficile, tourmenté, toujours dans le déni, s'est suicidé...
A la fin de la messe je salue Arnaud, je le connais depuis longtemps, il fait partie des quelques- uns avec qui j'ai plus de liens.
La première fois que je lui ai parlé il y a deux ans, c'était parce que je l'avais vu assis seul et "absent" au milieu de quelques autres qu'il n'entendait pas, qui eux non plus ne le voyaient pas.
Il m'avait dit alors cette impossibilité de se comprendre lui-même, de comprendre comment il avait pu commettre l'acte qu'il avait commis. "Cela pourrait arriver à n'importe qui".
A la messe il est toujours devant. Je l'ai vu, avec le temps, être plus présent et sourire.
Aujourd'hui quand je lui ai demandé des nouvelles, il m'a répondu que son jugement avait eu lieu : il a été condamné à 25 ans de prison.
Je garde en moi encore le choc et l'effondrement que j'ai senti alors, (mais j'ai su aussi que notre servant de messe, encore ici il y a peu de temps, avait été condamné à perpétuité) Arnaud m'a dit que ce jugement était juste, qu'il le méritait, que ce temps était nécessaire.
Je lui ai dit que tout dépendait de comment il pourrait le vivre. Cette liberté était évidente pour lui.
Je lui ai demandé s'il avait des visites : "ce que j'ai fait m'a coupé de presque toute ma famille et de mes amis, sauf mon père, mais il a 86 ans et pour lui c'est difficile de me rendre visite".
"Vous avez des enfants ?"
"Je suis ici parce que j'ai tué ma fille, dans un mouvement de colère j'ai tué ma fille"
"Ce qui a été le plus dur pour moi lors du jugement, ce ne fut pas toute l'épreuve du procès mais de voir la souffrance de ma femme, sans haine ni agressivité… des mots ont été dits, avec une douleur que je n'avais pas réalisée"
"Comment puis-je réparer cette douleur que j'ai provoquée et dont je suis responsable ?"
"La prison apprend l'humilité ; avant j'avais une entreprise qui marchait très bien, nous gagnions beaucoup d'argent, j'aimais les voitures, l'apparence…"
"Ici je vis depuis deux ans dans 10m2, avec ce survêtement, l'argent ne compte plus, on peut vivre avec très peu".
"J'ai toujours été croyant, c'est humainement que j'ai changé"
A la fin, quand nous nous sommes salués parce qu'il y avait l'appel des surveillants, il m'a dit "la vie est pleine d'espoir, parce que c'est la vie, c'est l'espérance".

J'ai pensé à l'attachement du Pape François pour ces rencontres avec les prisonniers où il n'y a rien d'un soucis pastoral et clérical, mais cet amour de s'approcher et d'écouter ceux qui dans le mal, l'exclusion et la souffrance sont visités par le souffle de l'Esprit, quand cela arrive, d'apprendre d'eux le témoignage d'une vie transformée, de contempler la miséricorde qui survient sur le chemin vers la nuit de Pâques.
Car Jésus - dont nous célébrons l'Eucharistie - est bien vivant et présent ici.

M. Michèle, Paris