Avec ma fille, “la belle” pour rencontrer Augusto

Son désir coïncide avec la certitude qui soutient mes journées : savoir que Quelqu’un me veut du bien et m’attend

C’est notre paroisse. Nous y sommes rattachés géographiquement, mais ce fut au bout d’années de pérégrinations que nous avons commencé à la fréquenter pour la messe du dimanche. On cherche toujours le “bon prêtre”, “la bonne situation”, “les bons amis”. Comme toutes les églises, elle a son mendiant noir de peau à l’entrée, auquel faire son aumône “juste et tranquillisante pour la conscience”. A ses côtés il y a une béquille. Il salue de manière gentille sans être mielleuse. Il cherche le regard de tous et a pour tous une parole. Il semble connaître tous ceux qu’il salue. Etrangement sa main tendue ne m’irrite pas comme d’habitude. Un de mes amis, Alessandro, en sortant de la messe s’arrête pour lui parler et l’appelle par son nom. Je ne parviens pas à saisir de quoi ils parlent, mais je remarque qu’il maîtrise l’italien. Le dimanche suivant, avec Alessandro je m’arrête moi aussi et je me présente : “Enchantée, Monica” et lui me répond “Augusto”. Nous découvrons qu’il vient du Niger, qu’il a cinq enfants, dont une fille à l’université qu’il réussit à aider avec l’argent envoyé d’Italie. Il a une jambe rigide qui le fait boiter de manière très nette. C’est à ma plus jeune fille qu’il appelle “ma belle” qu’Augusto s’attache le plus. Je confie à ses prières mon autre fille qui part en séjour Erasmus à Portorico. La fois suivante il me demande si les prières ont fait effet et si le voyage s’est bien passé. Il se rappelle de moi, de ma famille, il me demande toujours des nouvelles et a une parole de remerciements pour moi qui ne fait rien, sinon lui donner quelques pièces et lui demander ses prières. Un dimanche, Augusto n’est pas là. Alessandro m’apprend qu’il est à l’hopital. Je découvre que lors d’une agression non seulement il a été dépouillé, mais également sa jambe déjà atteinte fut cassée. Il fut amené dans l’hopital d’une ville voisine. Je décide alors d’aller le voir avec ma fille, “sa belle”. Nous avons eu un peu de difficulté à le trouver, mais finalement nous avons aperçu sa tête au cheveux crêpés qui sortait du drap blanc. Il semblait dormir mais quand nous nous sommes approchées il a levé son visage et nous a regardées avec des yeux grand ouverts. Il ne réussit pas à parler et alors que je m’excusais d’être venue en hâte sans lui avoir amené quoique ce soit, je remarque ses yeux remplis de larmes. Je lui prends la main lui demandant comment il va. Il me répond en trébuchant plus que jamais sur la grammaire italienne. Il gesticule et se fait comprendre, mais il est très ému. A un moment, son visage subitement très sérieux, il me prononce cette phrase parfaitement audible : “Merci Madame d’être venue. Je sais à présent qu’à Chioggia aussi il y a quelqu’un qui m’attend.” Je reste là avec sa main dans la mienne et je m’aperçois que son désir coïncide avec la certitude qui soutient mes journées : savoir que Quelqu’un me veut du bien et m’attend.

Monica, Chioggia (Vénétie)