La route est belle pour celui qui est en marche

J’ai dit un jour à une amie du Mouvement « Ne m’abandonne pas ! » Je crois que c’est à Jésus que je demandais de ne pas m’abandonner

Très cher père Carron,
J’ai rencontré le Mouvement Communion et libération grâce à une amie qui m’a proposé d’y adhérer ; dans un premier temps, j’ai accepté par curiosité, et j’ai continué pendant une quinzaine d’années. Chemin faisant, la quête du sens de la vie, que je me représentais comme étant travail, mariage, maternité, au lieu de me rapprocher du Mouvement, m’a plutôt poussée à m’en éloigner. Ma présence à l’Ecole de communauté a progressivement baissé puis s’est arrêtée. Je me suis mariée en 1997 ; malheureusement, nous n’avons pas eu d’enfant. Après sept ans de mariage, mon mari m’a quittée sous prétexte d’aller nous préparer un avenir meilleur en Europe. D’un commun accord, nous avons tout vendu. Je n’imaginais pas qu’il se séparait lâchement de moi. Je l’ai attendu pendant cinq ans, jusqu’au jour où, au téléphone, une femme m’a répondu. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai compris que mon mari s’était moqué de moi. Mais j’avais foi en mon sacrement de mariage, je n’ai pas fait d’histoire et, jusqu’aujourd’hui, vingt ans après, nous n’avons jamais eu d’affrontement, mon mari et moi.
J’ai traversé une période où je ne voulais voir personne, surtout pas les amis du Mouvement. Mireille et son mari sont néanmoins restés très proches de moi malgré mon retrait. Etant l’aînée de ma famille, je sentais peser sur moi, comme un reproche, le poids de ma séparation. Abandonnée à moi-même, je n’ai eu de cesse que de me réaliser à tout prix. Mon travail devint mon époux.
Plus je cherchais à me justifier, plus je m’éloignais ; je vivais mon travail comme une drogue. Je le considérais comme la seule chose qui me restait, la seule qui me permettait de garder la tête haute dans cet environnement où je me sentais jugée. Cette impression m’a poussée à accorder toute ma confiance à mon chef d’agence ; comme il ne connaissait pas mon parcours, il me prenait comme j’étais et ne pouvait pas me juger ! La relation ainsi créée avec lui s’est approfondie jusqu’à la recherche inconsciente d’une figure paternelle, ce qui me poussa à l’appeler « papa ». Aveuglée par ce que je vivais, m’étant coupée du Mouvement où le christianisme était proposé avec des noms et des visages, j’ai été une proie facile pour mon chef d’agence qui, abusant de ma confiance, m’a utilisée comme marchepied pour servir ses intérêts, avant de me licencier.
Accusée injustement, je reçois du juge d’instruction l’information que je vais être mise en détention.
Ce jour-là, j’ai vu toute ma vie basculer, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je n’en revenais pas. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Sur la route de la prison, mon cœur redisait ces paroles : "Père, tu me connais mieux que moi-même, dis-moi ce qui m’arrive… Aide-moi à comprendre… Voici qu’on me jette en prison… Qui suis-je ? Que ta volonté soit faite ! "
En prison, j’ai reçu des visites tous les jours et, progressivement, j’ai retrouvé le sens de la vie, qui m’avait été généreusement donné, dans le passé, par le Mouvement. Les mots amitié, famille, fraternité ont pris là une nouvelle connotation.
J’ai commencé à ressentir la nostalgie du Mouvement et de tout ce que j’avais reçu par lui : le désir d’être heureuse en toutes circonstances, de vivre une véritable fraternité et une véritable amitié. Toutes ces choses m’ont été redonnées en prison. Je croyais m’être éloignée du Mouvement, mais il m’a retrouvée en prison. Les amis m’ont retrouvée en prison. Le Christ m’a retrouvée en prison. Je ne savais pas que cette traversée du désert était la retraite spirituelle que le Mystère m’offrait. Dix-neuf mois de retraite spirituelle !
En février 2014, le verdict tomba : j’étais reconnue coupable.
À ma sortie, mon frère m’attendait à la porte de la prison, mes amis m’attendaient, la vie s’offrait de nouveau à moi. S’était-elle seulement interrompue ? NON.
Le désir de revivre les fondamentaux m’a poussée à renouer avec l’Ecole de communauté. J’ai été stupéfaite de la grande liberté des amis du Mouvement qui m’offraient leur présence sans me juger. Plusieurs questions ont ressurgi dans ma tête : Qui suis-je ? que me demande le Seigneur ? qu’attend-il de moi ? Qu’en est-il de mes désirs, du désir de me réaliser ? Je sors de prison, mon mari m’a abandonnée, je n’ai pas d’enfant, pas de travail, mais je ressens un calme et une sérénité que personne ne peut m’enlever. Si je ne dis pas que je sors de prison, mon aspect physique est celui d’une jeune femme comblée sur tous les plans. Je fais l’expérience que toutes les circonstances sont essentielles pour notre maturation.
Dans la messe d’action de grâce que je fais dire à ma sortie, j’éprouve le désir de crier au Mystère : Qui es-Tu ? Et, pour répondre à cette question, je retourne à l’Ecole de communauté. Je voudrais combler le grand vide que je ressens. Je m’inscris aux vacances du Mouvement à Kribi : là, je vis une semaine d’une vie dont j’avais complètement oublié la saveur. Je suis émue par l’histoire de Miguel Mañara, proposée au cours des vacances de cette année ; par ce qui ressort de cette histoire dramatique, je récupère mon moi.
Père Carron, j’ai dit un jour à une amie du Mouvement « Ne m’abandonne pas ! » Je crois que c’est à Jésus que je demandais de ne pas m’abandonner. En t’adressant cette lettre, je voudrais, comme l’Enfant prodigue, revenir à la maison, dans les bras de mon père. Je voudrais ne plus avoir peur, ni de ma famille, ni de mes amis. Je voudrais être libre, je voudrais aimer et me sentir aimée, avoir une identité.
L’absence de la figure du père dans ma vie a souvent été compensée par l’amitié, mais maintenant, j’ai envie d’être une fille qui a un père. C’est la première fois que je m’exprime dans le Mouvement et je souhaite que ce ne soit pas la dernière, car je ne voudrais plus vivre dans l’ombre.
Merci à tous ceux qui ont cru et qui croient en moi ; merci, père Carron, de nous accompagner sur cette route qui n’est belle que pour celui qui marche. Que la Vierge Marie nous donne la force de dire Oui au Seigneur !

Edwige Lyly Lapatience, Cameroun