Au pub avec des collègues très cool

Le lundi n’est plus le jour où on commence à attendre la fin de semaine et les pauses café ne sont plus une complainte. Les repas et les parties de babyfoot sont devenus des moments où on se raconte et où on s’intéresse les uns aux autres

Mes chefs ont décidé de me donner une promotion avec une nouvelle fonction dans un nouveau département. J’ai des nouveaux collègues très cool, chacun avec ses connaissances, toujours prêt à t’expliquer comment il a résolu un cas difficile ou fait un placement. Une foire expo continue de la vanité technique à coup de chiffres et de graphiques pour ensuite passer à la foire expo de la vanité esthétique tout de suite après le travail : salle de sport et nourriture "bio", et le pub pour boire des bières autant que tu peux en supporter. Je n’aime pas trop la bière et cette ambiance ne me plait pas trop : la saoulerie comme objectif et les sujets principaux que sont la carrière et le sexe (de sorte que l’on ne parle pas de foot). Souvent, je partais à la fin de la première tournée, mais en rentrant à la maison j’avais le cœur lourd car j’avais l’impression de m’enlever la possibilité que cette circonstance puisse être "pour moi". Alors j’ai commencé à rester selon ce que la réalité – le pub – me permettait et nous avons commencé à nous connaître, à parler de nous-mêmes et à blaguer. Et j’ai commencé à découvrir mes collègues et eux à me découvrir, enlevant leurs masques et parlant ouvertement de leurs vies et de ce qu’ils désirent vraiment avant l’argent et la carrière. Ainsi Serena qui m’a révélé qu’elle est venue à Dublin après que son fiancé l’aie quittée un an avant le mariage, ou bien Matteo qui a quitté le mariage après six mois, ou bien Mary qui a décidé d’arrêter l’université alors qu’il ne lui restait plus qu’un examen à passer et qui maintenant vit au jour le jour en travaillant au customer service sans aucune attente sur le futur. Tous ces destins que j’ai eu le privilège d’approcher et grâce auxquels j’ai redécouvert une passion pour le mien. Une des choses qui m’a le plus surpris est que les journées de travail et les formalismes de bureau ont changé. Le lundi n’est plus le jour où on commence à attendre la fin de semaine et les pauses café ne sont plus une complainte. Les repas et les parties de babyfoot sont devenus des moments où on se raconte et où on s’intéresse les uns aux autres. Tout a un accent humain et nos rapports sont ponctués d’une certaine "cordialité affective" qui interroge. Ce qui nous change et qui change la réalité, ce qui frappe les gens est un geste de gratuité, dire sans rien attendre en retour : « Tu m’intéresses ». Justement avant-hier, Carmen, une jeune fille que j’ai aidée quand elle avait un problème avec les ventes et qui disait ne plus supporter personne, m’a arrêté pour me dire que dernièrement elle était un peu plus contente. Elle est en train de trouver quelque chose de positif même chez ceux qui lui piquent des contrats et elle voudrait commencer à travailler « moins sur les performances et un peu plus sur moi ». Quand je pense qu'il y a une dizaine d’années j’étais perdu et sans confiance alors qu'aujourd'hui je suis heureux même si la vie est une fatigue. Une joie qui vient d’un regard de quelqu'un qui me veut du bien maintenant, et qui m’a aidé sans faire trop de discours au milieu des urgences de la journée.

Paolo, Dublin (Irlande)