Les chants pendant la promenade

Vacances. Cette beauté qui apparaît sur les sièges arrière

Un voyage vers Pila avec d’indésirables passagers de dernière minute. La réalité désamorcera cependant les préjugés à travers le regard du mari et de la fille. Et aussi à travers les pantalons de Renato et l’histoire de Simon…

Lorsque Alberto, mon mari, m’a demandé de l’accompagner pendant un jour et demi à un séjour de vacances avec le groupe de Ugo Comaschi, je n’imaginais absolument pas ce que j’allais rencontrer. J’accepte la proposition et je me retrouve à préparer les bagages : vêtements chauds et légers, plusieurs changes et le nécessaire pour chaque éventualité… bref, deux valises bien pleines. Je me prépare aussi psychologiquement à vivre une situation où je ne connais personne.

Le soir précédant notre départ, Ugo appelle Alberto. « As-tu de la place dans ta voiture ? Simon, mon ami albanais, et Renato ont besoin d’un passage ». Je décide immédiatement que moi et ma fille Cecilia restons à la maison. Pas question de voyager avec deux parfaits inconnus, surtout connaissant les personnages que Ugo rencontre avec sa caritative pour les chômeurs. Ma première fille Elisa me vient à l’esprit, avec toutes ses rencontres au Mexique et son « oui » renouvelé chaque jour. Je comprends que refuser cette proposition signifie dire non à Dieu. J’encaisse le coup et je pose immédiatement les conditions du voyage : « Je conduis la voiture. Cecilia s’assoit devant, Alberto au milieu avec les bagages. Les invités au fond, à la place des valises. Et on lave la voiture à 100 degrés à notre retour. »



Nous arrivons au rendez-vous. Simon entre avec un petit sac à dos et un sourire reconnaissant. L’autre passager est introuvable. Il arrive peu après, sans bagage, une bouteille de vin à la main : « C’est un cadeau pour Ugo. Il le mérite ». Comme mon mari, il a une confiance inébranlable en Ugo, et cela m’irrite. Cecilia demande s’ils sont amis. Non, Renato et Simon se rencontrent pour la première fois. Elle leur répond que c’est une bonne chose qu’ils soient assis l’un à côté de l’autre, ainsi ils peuvent faire plus ample connaissance. La positivité de Cecilia transforme ma petite stratégie en belle occasion. Je commence à avoir honte. Alberto m’attendrit quand il leur demande de raconter leur histoire : Ce n’est pas dans sa nature. Après trois heures de voyage, nous arrivons à destination. Une chose est claire : Renato est passionné par les avions et les aéroports. Il a dû le répéter environs cinquante fois.

La rencontre du vendredi soir a déjà commencé. Nous mangeons nos sandwichs dans le hall de l’hôtel. Mon mari a préparé le pique-nique, autre fait surprenant. Cecilia échange quelques chips avec Renato. Je recommence à parler. J’accepte une chips de Renato et je lui offre un biscuit. Nous réussissons à suivre la dernière partie de la rencontre avec Silvio Cattarina. Je comprends alors que ma conversion se jouera durant ce jour et demi de vacances.

Une randonnée est au programme le samedi matin. Renato se présente avec des pantalons improbables que Ugo lui a prêtés. « Je monte avec vous sur le télésiège, parce que vous êtes une belle compagnie », nous dit-il. Ugo le convainc de monter à pied, mais au moment de partir il oublie Renato. Nous essayons de lui proposer de venir avec nous, mais rien à faire : Ugo lui a dit de l’attendre. Avec un grand effort, Alberto l’accompagne un moment, jusqu’à ce que Ugo redescende le chercher. Au sommet, Cecilia et moi prenons un coup de soleil : il y avait de tout dans nos valises, sauf de la crème solaire.

Au souper, nous retrouvons Renato et Simon, qui nous ont gardé trois places. J’ai l’impression d’être en famille. Simon demande s’ils peuvent rentrer avec nous à Milan. Renato investit toute sa petite monnaie pour m’offrir une bière, parce que je lui avais dit que je la préférais au vin. Je n’ai pas envie de boire, mais je comprends que c’est important pour lui. Je prends une demie. Renato est rayonnant et offre à Cecilia une orangeade, finissant, je crains, ses économies. Il répète sans cesse que notre compagnie est belle et il me suit comme une ombre, parce que « je suis un point de référence ». Personne ne me l’a jamais dit.

Le soir de la fête finale, Alberto est déjà installé sur les sièges avant lorsque nous pénétrons dans le salon. Cecilia aperçoit Renato et Simon assis un peu plus en arrière et va s’installer entre eux. Renato s’endort quelques fois, Cecilia le réveille en battant les mains et lui se ressaisit en riant.

Dimanche matin il y a l’assemblée. Ugo appelle à lui Simon et il commence à raconter son histoire. Simon a rencontré le mouvement en cherchant du travail. Il a compris avoir croisé quelque chose de tellement exceptionnel qu’il a cherché Ugo, encore et encore. Ugo l’a ensuite emmené aux Exercices où il s’est confessé pour recevoir la communion. Pendant ce temps à la maison, la femme de Simon, très préoccupée que son mari ne fasse pas de gaffe, priait pour sa conversion… Tout d’un coup, je comprends la raison de ses yeux toujours curieux et attentifs à ne pas perdre une miette de ce qui se passe. Je reconnais la Beauté, celle-là même que hier j’avais coincée au fond du coffre de la voiture. Je vois l’humilité et la pauvreté d’esprit de cet homme aux yeux d’enfant. Je pleure. J’ai honte. Je reconnais le Seigneur.

Arrive l’heure du départ. Cecilia, soucieuse que personne ne renverse Renato, le prend par la main pour traverser la route. Je revois la même attention qu’elle avait pour son grand-père atteint d’Alzheimer, trois ans auparavant, et je m’émeus. Je décide que maintenant, les invités peuvent s’installer dans la deuxième rangée dans la voiture. Simon est content de rentrer. Qu’a-t-il dans son coeur ? Renato recommence à parler d’avions. Alberto, à cause de sa cardiopathie, se sent mal durant le voyage : nous sommes descendus trop vite. Nous nous arrêtons, Simon s’approche d‘Alberto qui marche à l’ombre et pleure de peur. « Ne t’inquiète pas, je l’accompagne », me rassure-t-il. Je reste avec Renato. Je l’interroge sur ses parents et il me raconte la mort de sa mère, se mettant à pleurer comme un enfant. Nous reprenons la route et arrivons à Milan. Nous nous saluons et chacun reprend son chemin. Mon cœur cependant est comblé et je ne peux oublier un instant, pas même un détail. Je pourrais raconter les chants, la promenade sur le lac, les témoignages, la soirée… Mais Renato et Simon sont beaucoup plus que tout cela.

Lucia, Milan