« Je peux m’abandonner à Celui qui fait toute la réalité »

Un événement dramatique au travail. La fatigue de participer à une chorale sans connaître la musique. Et la découverte que la réalité est faite par Quelqu’un à Qui on peut faire confiance

Ces derniers temps j’ai pu vérifier comment l’école de communauté m’aide de plus en plus à avancer dans mon chemin professionnel et humain.

Dans le service de chirurgie universitaire où je travaille depuis deux ans, j’ai accepté la responsabilité de chef de service. Derrière ce choix longuement mûri, j’avais conscience que j’allais m’occuper, avec mon équipe, de patients atteints de pathologies graves et complexes.

Il y a quelques jours, j’ai opéré un patient atteint d’une maladie très grave. Je me suis préparé à affronter cette intervention avec mes collaborateurs et d’autres spécialistes, en cherchant et en étudiant la thérapie et la technique les plus adaptées à ce cas clinique. J’ai essayé de prévoir les différentes complications pouvant survenir et la manière de les maîtriser avant, pendant et après l’intervention.

J’ai fait tout ce qui me semblait possible pour traiter convenablement le patient qui, sans soins, serait mort et pendant l’intervention tout s’est en effet déroulé pour le mieux, et même au-delà des attentes logiques. Malheureusement, une heure après l’intervention, brutalement, le patient a commencé à se compliquer de façon irréversible à ce stade, et malgré tous les soins entrepris en réanimation, deux jours après il est décédé d’une complication imparable.

Le jour du décès, j’étais très éprouvé, triste, découragé. Je pensais à la famille du patient, tant de fois rencontrée, et qui m’avait manifesté une confiance absolue tout en ayant connaissance des complications survenues. Je pensais à l’équipe tout aussi désemparée et à moi-même. Comment pourrais-je surmonter cette circonstance tragique ? Comment supporter humainement, la mort de ce patient ? Même si elle était prévisible étant donnée la gravité du cas, je restais bloqué sur cette "défaite".

Un fait qui n’a rien à voir avec mon travail et avec ce drame m’a permis de faire un pas important.
Le soir même du décès, nous nous sommes retrouvés pour dîner avec des amis qui ont créé une chorale à laquelle je participe depuis quelques mois. Le dîner était aussi l’occasion pour se redire les raisons pour lesquelles nous chantons ensemble et pour partager nos expériences sur le chœur. Je leur ai dit que pour moi chanter était tout d’abord un sacrifice, car je ne comprends rien à la musique, je ne sais pas lire les notes et dans le groupe je suis probablement le plus « ignorant » sur le plan musical, mais que je venais quand même chanter car c’était l’occasion de rencontrer mes amis, avec qui d'habitude je préfère plutôt faire des belles randonnées en montagne.

Toutefois, ce qui me semblait de plus en plus clair était que ce moment devenait pour moi l’occasion pour vivre davantage l’obéissance. Précisément parce que je ne connais ni les notes, ni la musique je suis obligé d’obéir complètement à celui qui dirige. Alors, je deviens attentif aux conseils que le chef de chœur me donne. S’il nous dit que nous avons bien chanté ou si au contraire il nous corrige en disant que cela ne va pas, je lui fais confiance. Autrement dit, chanter m’oblige à être plus pauvre devant celui qui conduit, la réalité m’oblige à faire confiance à un autre.

Le lendemain, en pensant à ce qui m’était arrivé au travail et à ce que j’avais dit à mes amis au cours du dîner, je me suis subitement rendu compte que ce qui me manquait pour sortir du poids de la circonstance dramatique que j’avais vécu était, comme pour le chant, de m’abandonner à celui qui me guide, à Celui qui fait toute la réalité.

Dans Engendrer des traces dans l’histoire du monde on peut lire: « Le mot mémoire apporte une lumière décisive parce qu’il indique que la rencontre faite aujourd’hui trouve ses racines dans le passé… : toute la richesse du début se retrouve dans le présent et c’est dans ce présent que l’homme découvre la divinité de l’origine ».

Giovanni Rastelli, le grand chirurgien cardiaque mort précocement à 36 ans et dont le procès de béatification est en cours, disait : « La première charité que nous, médecins, nous devons avoir pour les malades est la science ». J’essaie donc dans mon travail, avec mes forces, de ne pas oublier cela. En même temps, j’ai compris que c’est seulement en confiant tout à Celui qui est l’origine de toute la réalité, belle ou dramatique qu’elle soit, et en faisant mémoire de ce fait commencé il y a deux mille ans et présent maintenant, que je peux vaincre mes « défaites ». Sans cela, je serais mortellement écrasé sous le poids de mes limites.

Lettre signée