Une abondance d’affection pour ma vie

Dans la maladie, la découverte de « tout ce dont je n’étais pas privée » et que« un autre nouera ta ceinture et te conduira là où tu ne voulais pas ». Et une demande naît : « Seigneur, que veux-tu de ma vie ? »

J’ai lu ces jours-ci ce texte qui dit mieux que je ne saurais le faire ce qui a résonné en moi ces derniers temps : « Qui oserait prétendre n’avoir pas besoin d’être supporté par les autres ? D’être porté par eux ? Or comment quelqu’un qui, pour vivre, a besoin d’être supporté par les autres, pourrait-il lui-même se refuser à supporter ? N’est-ce pas la seule chose qu’il puisse donner en retour, l’unique réconfort qui lui reste, de supporter comme on le supporte lui-même ? La sainteté de l’Église consiste d’abord à supporter pour ensuite porter. Lorsqu’on cesse de supporter l’on cesse également de porter, et l’existence qui n’a plus d’appui, ne peut que sombrer dans le vide » (Joseph Ratzinger, La foi chrétienne : Hier et aujourd'hui, Cerf, 2005, p.247)


J’ai beaucoup entendu ce mot « supporter » pendant ce temps de pandémie : « … tout ce que nous avons dû supporter ». Ce caractère insupportable nous le connaissons tous bien. J’ai vécu des périodes de ma vie où j’ai souffert de me sentir supportée, ou plutôt insupportable pour des personnes que j’aimais. Enfin je dois bien souvent me supporter moi-même et me débrouiller assez mal avec cela ! Mais il y a un sens objectif dans ce texte auquel je suis confrontée maintenant : j’arrive à un âge où je ne vais plus où je veux comme je veux en raison d’une maladie neurologique sans remède. Elle a fait de grands progrès ces derniers temps, maintenant mes amis me conduisent, ils m’accompagnent où je dois aller, j’ai besoin d’eux, de m’appuyer sur eux pour avancer, je dois demander leur aide. Je ne suis plus autonome comme jadis !

La covid, je ne sais pas comment j’ai fait, mais je ne l’ai pas attrapée, je me suis aussi mieux rendu compte de tout ce que je n’avais pas attrapé, des maladies bien plus graves, de la dépression, du désespoir, de l’abandon, j’ai vu tout ce dont je n’étais pas privée : les nombreux zoom qui ont rendu plus forts nos liens dans notre école de communauté et notre fraternité, le couvent juste en face de ma maison pour les offices des heures et la messe, l’atelier chez moi pour travailler, la présence physique quotidienne de quelques amis, plein de choses m’ont manifesté une abondance objective d’affection pour ma vie. Alors que j’ai vécu si longtemps avec une excellente santé, alors qu’on regarde une personne handicapée avec pitié et en prenant le large, j’ai appris à devenir une handicapée reconnaissante, ou pour le moins une handicapée qui cherche et demande de l’être, je guette la joie et la gratitude, beaucoup d’initiatives nous appartiennent, rien ne va de soi ni n’est escompté, nous sommes tous fragiles, profondément blessés quelque part, nos souffrances ont besoin de douceur et de guérison. Nous avons tant besoin d’être accueillis et portés par nos proches. C’est comme apprendre plus d’humanité !

Mon espérance aujourd’hui c’est de m’approcher plus de Jésus, de l’aimer plus, d’être plus bienveillante avec ceux qui m’agacent, avec ceux que j’aime mal, tout comme j’apprends le pardon pour moi-même, j’espère que la confiance et la foi grandissent en moi, que la prière ait plus de goût, de nécessité et de simplicité : « Qu’attends-tu de moi Seigneur ? Que veux-tu de ma vie ? »

À la fin de l’évangile de Jean, Jésus dit à Pierre : « Quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voulais pas ». C’est paradoxal, mais je crois que c’est ce que Pierre voudra vraiment, il préfèrera se laisser conduire par Jésus plutôt que d’aller où il voudrait lui-même. C’est cette volonté mystérieuse qui nous appelle.

Marie-Michèle, Paris