Curé pour toujours

Il n’est pas le « bon pape », mais le pape de la bonté. Pape de la tradition, et non pas du traditionalisme. Mgr Gianni Carzaniga parcourt de nouveau la vie et le pontificat d’Angelo Roncalli : un pasteur « près des gens ».
par Paola Bergamini

« Ce qui nous fait vaincre le monde, c’est notre foi. Mes chers amis et frères, prenons garde des vains simulacres qui aujourd’hui encombrent le monde en le terrorisant. Toutes les époques se ressemblent ». Ainsi Mgr Angelo Roncalli, nonce apostolique à Paris, termina son homélie le 26 août de l’Année Sainte 1950, dans l’église Saint-Alexandre à la Colonne, à Bergame. Le futur pape Jean XXIII, qui sera canonisé le 27 avril prochain avec Jean-Paul II, a toujours eu un lien particulier avec cette paroisse. C’est ici que, jeune séminariste, il écouta l’homélie du patriarche de Venise, Giuseppe Sarto, futur pape Pie X ; c’est ici qu’il fit sa première homélie importante en tant que prêtre, sur saint François de Sales. D’autres occasions aussi le ramèneront dans cette église.
« Jean XXIII est la plus belle expression d’un clergé, celui de Bergame, près des gens, dévoué à la charge pastorale. Il se considéra toujours comme un curé », explique Mgr Gianni Carzaniga, recteur du séminaire de Bergame, pendant huit ans directeur de la Fondation Jean XXIII, où sont gardés et étudiés les écrits de ce Souverain Pontife. Il a abandonné cette charge lorsqu’il est devenu curé de Saint-Alexandre. « Cet engagement était incompatible avec la charge d’âmes ».

Qu’est-ce que cela signifie que Jean XXIII se considérait comme un curé, alors qu’il ne l’a jamais été ?
Le premier cadeau que le Seigneur lui a fait, ce fut de le rencontrer. Angelo Roncalli est devenu prêtre, parce qu’il voulait être prêtre, c’est-à-dire annoncer Jésus Christ en toute circonstance. Ce n’est pas quelque chose qu’on apprend dans les livres, il en avait fait l’expérience en regardant son propre curé, qui était toujours près des gens par une sollicitude pastorale capillaire. En cela, il sera toujours curé. Je pense aux années passées dans les périphéries de l’Europe.

En quel sens ?
D’abord en Bulgarie, aux côtés de plus de 160 000 immigrés catholiques macédoniens qui s’étaient enfuis pendant la guerre. Ensuite pendant les dix ans passés en Turquie, où il était délégué apostolique, c’est-à-dire le représentant du pape auprès des catholiques : un évêque missionnaire, aux côtés des gens. Son rôle diplomatique auprès de ces gouvernements a été peu valorisant, presque nul. En Turquie, il avait même été obligé de s’habiller en civil. Mais cela ne l’empêchait pas de tisser des relations, des rapports, de frapper aux portes de service. C’est l’homme du dialogue attentif. Un épisode peut mieux détailler sa position intelligente et rusée, dans le sens de la ruse évangélique.

Laquelle ?
En 1961, Nikita Khroutchev envoie à Jean XXIII des vœux pour ses quatre-vingts ans ; quelques mois après, sa fille et son gendre se rendent en visite chez le pape. Beaucoup crièrent au dégel entre l’URSS te le Saint-Siège. Le pape Roncalli ne se fait pas d’illusions et dit : « Le monde a été fait en six jours. Celui-ci est le premier pour la Russie ». Il sait que partout on peut annoncer l’Évangile, avec cependant un minimum de prudence. Lorsque, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, il fut envoyé à Paris comme nonce apostolique, donc avec un rôle important, il se rend compte de l’œuvre de déchristianisation commencée par la Révolution française. Toutes ces expériences, il les portera avec lui à Rome. Le monde était en train de changer. Il éprouvait l’anxiété, le désir de s’adresser à l’homme contemporain. C’est pour cela qu’il convoque le concile Vatican II.

Peut-on dire que le concile a eu comme origine un souci pastoral ?
Absolument. Jean XXIII le dit clairement. Ce concile n’est pas né d’une question doctrinale, mais bien du désir de prendre soin des familles, de ceux qui sont dans le besoin, des hommes vivant dans une société en pleine mutation. Ce ne sont pas les dogmes qu’il faut revoir, on n’en a pas besoin, mais la manière de les présenter. Voilà sa sensibilité pastorale, sa façon d’être curé. La doctrine doit devenir chair. Tout en étant ancré à la tradition comme prêtre. Il est l’homme de la tradition, et non pas du traditionalisme.

C’est-à-dire ?
Tradere signifie garder et transmettre le mystère chrétien. Le pape Roncalli parle à tout le monde, en sachant bien qu’il y a des différences. Autant que le pape François, il respecte tout être humain, mais il n’a nullement l’intention de changer le dogme, ni la doctrine. Jean XXIII regarde ce qui unit, et non pas ce qui divise. En ce sens-là, son tradere est vivace, vivant.

Un exemple ?
Pendant une visite aux détenus de la prison Regina Caeli, il n’a pas honte de raconter l’histoire d’un cousin à lui, qui avait fait de la prison. Voilà le pasteur qui « se met à côté ». Il communique avec fraîcheur ce qu’il a dans le cœur : à savoir, son rapport avec le Seigneur, qui se penche sur tous, pour leur offrir son désir de les rencontrer. Il se rend transparent, dans cette relation qui permet de pardonner et de se pardonner le mal accompli. Pour lui, l’Évangile réanime les fibres de l’existence, au point de faire comprendre que la relation avec le Père, que nous offre le Fils, c’est quelque chose qui nous remet en question, capable de dissoudre même la colère, parce que l’homme se sent aimé et peut aimer.

Il y a beaucoup d’affinités avec le pape François…
L’une est fondamentale : tous les deux partent de la rencontre avec le Christ, qui met en mouvement l’existence investie par un amour plus grand. Les règles n’en sont qu’une conséquence. Le pape François, autant que Jean XXIII, est en train de nous annoncer l’expérience d’avoir rencontré le Christ. Mais ils ont aussi un autre aspect en commun : la prière. Jean XXIII se prépare au concile, par une semaine d’exercices spirituels. Il pense que sa personne est dans le mystère du Christ. Il écrit : « La prière est ma respiration ». Sa prière est pour le monde. Quand il dit le Rosaire, au troisième mystère joyeux, où l’on annonce la naissance de Jésus, il ajoute : « Ceci est pour tous les enfants qui naissent ». Au soir de son élection, quand il se retrouve seul avec son secrétaire Mgr Loris Capovilla, celui-ci lui demande : « Qu’est-ce que nous faisons ? ». Il répond : « Récitons les vêpres ».

Dans une interview, don Giussani dit que le trait caractéristique de Jean XXIII fut « la longanimité miséricordieuse de Dieu pour le salut de l’homme ».
En cela se reflète la bonté de Jean XXIII. Comme le souligne toujours le cardinal Capovilla, il n’est pas le « bon pape », mais le pape de la bonté. C’est-à-dire que son regard, ainsi qu’il l’a reçu du Christ, est rempli de confiance, prêt à la correction, mais sans condamnation. C’est l’annonce de la vérité.