Navarro-Valls : « Il a secoué le monde avec une phrase tirée de la Genèse »

L’ancien porte-parole du pape Wojtyla se demande comment et pourquoi sa foi a changé l’Histoire
Alessandro Banfi

Joaquín Navarro-Valls a été l’un des plus étroits collaborateurs de Jean-Paul II, et a assumé pendant 22 ans la direction du Bureau de presse du Saint-Siège. La vie exceptionnelle du successeur de Saint Pierre, qui a remis Jésus Christ au centre du message de l’Église universelle, est inscrite dans son regard et dans son esprit. Avec lui, Traces réfléchit sur la signification historique de son pontificat.

L’un des fils d’interprétation du pontificat de Jean-Paul II se rapporte aux conséquences politico-stratégiques de sa grande mission pastorale. Certes, élire un cardinal polonais signifiait aller chercher un représentant de l’Église catholique au-delà du rideau de fer. Toutefois, on ne peut pas vraiment dire que Wojtyla avait un projet politique…
Non, il n’en avait pas. Mais il avait quelque chose de plus important : il avait un projet humain. Et c’est la chose qui, aujourd’hui encore, manque le plus. Si on ne possède pas une solide connaissance anthropologique, comment peut-on légiférer, comment peut-on organiser la vie sociale et politique de la société et des peuples qui se composent d’hommes dont on ne sait pas « qui » ils sont ? Une telle opacité anthropologique est, aujourd’hui encore, le drame numéro un de notre culture.

Le seul but de son message a été de remettre Jésus au centre de la scène, et je repense à son premier discours sur la place Saint-Pierre : « Ouvrez tout grand les portes au Christ ! »...
Ces premières paroles contenaient déjà l’essence de la conception qu’il avait de sa mission. Rappelons les coordonnées culturelles de cette époque : il y avait le structuralisme d’un côté et le marxisme de l’autre. Pas vraiment le marxisme réel de l’Europe de l’Est – qui n’était plus qu’une simple technique de pouvoir – mais le marxisme académique, tel que celui de l’École de Francfort. Il s’agissait d’une vision fermée de l’homme, sans aucune ouverture, où l’idée même de la personne était problématique. La pensée de Karol Wojtyla, développée dans Personne et acte, est aux antipodes de cette vision. Il a basé son pontificat sur la préservation de l’ouverture transcendante de la personne humaine, menacée d’être traitée comme un objet.

Sa première encyclique, Redemptor hominis, est également entièrement orientée sur « le Christ, centre de l’univers et de l’histoire ». Dans quel sens peut-on dire qu’il s’agit du point de départ de sa mission « politique » ?
Il partait toujours du commencement, c’est-à-dire de l’origine de la personne humaine, de cette phrase tirée de la Genèse qui constitue la première biographie de l’être humain : « Et Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance ». L’histoire est la conséquence argumentée de cet acte créateur. Mais Dieu ne s’est pas contenté de créer l’homme : Il l’accompagne tout au long de son existence. C’est pour cette raison que Jean-Paul II a pu affirmer, sur la place de la Victoire à Varsovie, lors de son premier voyage en Pologne, en 1979 : « Exclure le Christ de l'histoire de l'homme est un acte contre l'homme ». Être conscient de cela, c’est être conscient aussi du mensonge du système communiste de l’époque. Et cela peut être la pierre de soutien d’un grand mouvement de changement socio-politique – comme cela a été le cas au cours de l’histoire. Mais ce n’est pas encore en soi de la “politique” : c’est à la base un principe d’identité personnelle qui tend à construire un écosystème conforme à l’être humain.

En résumé, quelle impression avez-vous conservée de sa manière d’agir plus “politique” ?
Je réponds avec les mots de Mikhaïl Gorbatchev lors d’une interview datant de quelques années : « Je dirais que la pensée politique de Jean-Paul II naissait de sa spiritualité, se nourrissait de sa pensée spirituelle ». Pas mal pour un homme qui se dit agnostique.