Une nouvelle voie

Le 19 octobre le pape Giovanni Battista Montini sera proclamé bienheureux. Mgr Apeciti, responsable dans le Diocèse de Milan pour les causes des saints, nous fait connaître une personnalité sous bien des aspects incomprise.
Stefano Filippi

Paul VI, qui a été pape dans une des époques les plus difficiles pour l’Église, sera proclamé bienheureux le 19 octobre, le dernier jour du Synode extraordinaire sur la famille. « On n’aurait pas pu choisir une date meilleure, Montini est le Pape du Synode », dit monseigneur Ennio Apeciti, professeur d’histoire de l’Église à la Faculté théologique de l’Italie du Nord et responsable dans le diocèse de Milan pour les causes des saints. « Quelqu’un avait proposé le 8 décembre, le jour anniversaire de la clôture du Concile, d’autres l’année prochaine. C’est le pape François qui a voulu que sa béatification coïncide avec la fin du Synode. » Giovanni Battista Montini a été actif dans la diplomatie, dans la curie, a été Archevêque de Milan, est devenu pape au milieu du Concile, puis l’a été dans des années dramatiques : la guerre froide, 1968, le terrorisme, l’introduction du divorce et l’avortement. Et « par quelque fissure la fumée de Satan est entrée dans le peuple de Dieu ». Dans une époque de transformations radicales et de contestations parfois violentes de deux mille ans de tradition chrétienne, Paul VI a annoncé la foi au prix de graves incompréhensions. « Il était surtout un homme amoureux du Christ », dit monseigneur Apeciti, qui a suivi son procès de béatification en tant que délégué de l’archevêque. La première décision de Paul VI a été celle de poursuivre le Concile Vatican II. En soi, il n’y était pas tenu. La mort du Pape suspend un Concile : celui de Trente s’arrêta pendant dix ans. La Curie avait dissuadé une reprise immédiate du Concile : cela se voit dans la méditation de monseigneur Tondini aux cardinaux avant le conclave. La première session n’avait approuvé aucun document. Le danger que tout tombe à l’eau était concret. Qu’a fait Paul VI ? Le 22 juin, dans son premier discours en tant que Pape, il a annoncé que la partie prééminente de son pontificat serait consacrée à poursuivre le Concile sans interruption. Il fallait un saint tel le pape Jean XXIII pour le commencer et un autre saint pour le mener à terme en dépit des “prophètes de malheur”. C’était à lui de le relancer, de le guider, d’accorder ceux pour qui le renouvellement était trop lent (c’est la raison pour laquelle son amitié avec le cardinal Suenens se dégrada) et les traditionalistes.

Quelle mission s’était donnée Paul VI ? Trouver une médiation ? Non : c’était de rechercher l’unité de l’Église. Et quand cela était nécessaire, il est intervenu de manière résolue afin de débloquer une situation, comme lorsqu’il a fait introduire la célèbre Note explicative préliminaire au chapitre 3 de la Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium ou lorsqu’il a pris en main la discussion sur le célibat des prêtres. Il a voulu que la Constitution pastorale Gaudium et spes soit le dernier document du Concile, quitte à la faire réécrire trois jours avant la clôture.

Il a également voulu que le ferment de ces années arrive partout : il a été le premier Pape à voyager en avion. Ses pèlerinages sont un signe très important. Pendant le Concile, il a annoncé le retour en Palestine du premier Pape pèlerin. Ensuite il s’est rendu en Inde, a rencontré Mère Teresa dans les slums de Calcutta et, avant le départ, a vendu sa tiare. Son troisième voyage a été à l’ONU des superpuissances, où il a prononcé son célèbre « jamais plus la guerre ». La terre de Jésus, la terre de ceux qui meurent de faim, la terre des puissants.

Après la clôture du Concile, Paul VI a dû le mettre en œuvre. Comment nous défie-t-Il ? Un défi grandiose. Le monde évoluait dans la tension : la guerre au Vietnam, la chute de Khrouchtchev, l’invasion de la Tchécoslovaquie, les premiers germes de la contestation. Déjà lors des Audiences générales de 1967 il avait invité les jeunes à réfléchir. Il avait saisi la nouveauté et les dangers d’un monde qui naissait et qui risquait de s’égarer.
Quelle a été sa réponse ? Il a écrit trois encycliques en deux ans. Populorum progressio est le manifeste programmatique de l’après-Concile : l’Église ne peut pas rester indifférente au cri de douleur qui monte de l’humanité, elle doit se mettre en route sur les sentiers des opprimés. Dans Sacerdotalis caelibatus il a proposé le célibat aux prêtres en crise non dans des termes disciplinaires mais comme amour passionné pour le Christ.

Sa troisième encyclique, Humanae vitae, a été la plus contestée. Avant elle, toutefois, a eu lieu un fait très important : l’Année de la Foi, clôturée par le Credo du peuple de Dieu. Des critiques et des contestations avaient déjà explosé, par exemple à propos de la liturgie. Et lui, il a reproposé en positif toute la foi. On trouve sur Youtube le film de la cérémonie du 30 juin 1968 : l’on voit les visages égarés des cardinaux quand Paul VI commence sa lecture. Au lieu de condamner les erreurs et les confusions, il propose encore une fois la vérité. On s’est moqué de lui, il a été considéré faible et hésitant, mais ce Credo est le symbole d’un Pape qui choisit une voie nouvelle, non pas celle de l’anathème mais celle de la proposition, tout en sachant que la plupart de la Curie le critiquerait.

Les oppositions se sont encore plus acharnées. L’encyclique Humanae vitae complète une trilogie sur l’amour : l’amour pour les pauvres, l’amour des prêtres pour le Christ, l’amour des époux. Cette encyclique a été couverte de mensonges ; c’est un des premiers moments où l’on a vu à quel point les moyens de communication peuvent manipuler ou détourner la vérité, un peu comme cela est arrivé à Benoît XVI lors de son discours de Ratisbonne. Paul VI parle de l’« Humanae vitae munus », du don de transmettre la vie. Non pas du devoir d’avoir plus d’enfants, mais du charisme qui vient de Dieu, de la mission spécifique des époux qui les rend semblables à Lui. Elle contient des pages magnifiques sur l’amour conjugal ; ce n’est qu’à la fin qu’elle parle de la fécondité dans le mariage.

C’est la dernière encyclique de Paul VI. Pourquoi ? La campagne de presse et la désinformation consciente l’ont fait profondément souffrir et nous ne l’avons peut-être non plus compris dans son intelligence. Comme son magistère créait tellement de problèmes, dans les dix années suivantes il est passé aux exhortations apostoliques. Voilà donc Gaudete in Domino, le premier document d’un Pape sur la joie, et Evangelii nuntiandi, que le pape François cite 29 fois dans Evangelii Gaudium. On comprend pourquoi François aime tellement Paul VI : Bergoglio a fait sien, avec un discernement authentique, le vrai esprit du projet d’Église, de rapport avec le monde et d’humanité que Paul VI demandait. Quand il était archevêque, il a passé sa vie dans les villas miseria de Buenos Aires parce qu’il a pris au sérieux Populorum progres sio. Une foi positive, enthousiaste, courageuse, qui n’aime pas souligner les erreurs. Paul VI a clôturé l’Année Sainte de 1975 par une prière qui est un cri : « La civilisation de l’amour l’emportera sur la fièvre des tensions et des difficultés inévitables du monde d’aujourd’hui ». Cette espérance est la clé de voûte qui l’a soutenu dans la terrible période de la laïcisation de l’Italie : au moment de la loi introduisant le divorce en 1970 et du référendum qui a suivi en 1974, l’Italie était en déroute. Lors du référendum, même d’importants représentants catholiques ont défendu cette loi dans une confusion totale d’idées. Quelle tristesse pour le Pape de voir des maîtres de la pensée catholique qui s’opposaient à lui. Et pourtant, dans ces années-là, quel est le cri de Paul VI ? « La civilisation de l’amour l’emportera ». Au milieu des troubles, de la confusion, des guerres, son regard est tourné vers le Christ. Si nous perdons la centralité du Christ, sa réalité et son aspect concret, nous ne comprenons pas Paul VI.

Pendant ses années à Milan, Montini a montré qu’il était un grand éducateur. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? Dès qu’il est arrivé dans son diocèse, il a eu l’intuition que Milan était une réalité grandiose du point de vue numérique, mais que les chrétiens engagés étaient une minorité, c’est pourquoi il est allé chercher les lointains. Il a célébré sa première messe en tant qu’Archevêque au Centre Don Gnocchi, au milieu des enfants mutilés. Sa première visite a été à la Policlinique à Milan, la deuxième à Sesto San Giovanni, la plus grande ville ouvrière italienne et le plus grand bastion communiste du pays : en huit ans d’épiscopat, il s’y est rendu vingt-cinq fois et a prêché dans les usines. Le troisième grand geste de Montini en tant qu’archevêque a été la mission à Milan en 1957, qui a engagé toute la ville pendant un mois. Il n’a pas voulu qu’on prêche les novissimi, les vérités ultimes, mais Dieu comme Père. Il a impliqué aussi bien les cardinaux Siri et Lercaro, les pères Turoldo et Mazzolari, que des mannequins et des veilleurs de nuit. Avec le monde de l’école, il a pris la mesure du détachement de la vie de l’Église.

Que voulez-vous dire par cela ? Sur 15 000 étudiants invités à la mission, 2 500 y ont participé, un tiers des enseignants de l’école élémentaire, 4 000 collégiens sur 20 000 et 8 000 lycéens sur 15 000.
Un nombre plus élevé que les autres. En effet, Montini a fait apposer une note à cette statistique : « Pour cela je souhaite qu’on remercie explicitement Jeunesse Étudiante. Nous vivions avec beaucoup de chiffres apparents.
C’est la perception qu’en avait don Giussani aussi dans ces mêmes années. Exactement. J’ai toujours été frappé par le fait que Montini ait fait insérer ce remerciement particulier à l’homme qui avait pris conscience de la situation et s’y était investi avec toutes ses énergies. La mission a été faite précisément pour reprendre la formation des jeunes. Don Giussani a également relancé la lettre pastorale sur le sens religieux. Il y avait une entente profonde entre eux, même si Montini lui a dit plus tard : « Je ne comprends pas vos méthodes, mais je vois leurs fruits. » Ce sont les paroles d’un homme qui sait respecter.

En 1972, Paul VI a dénoncé la « fumée de Satan » qui était en train d’entrer dans le temple de Dieu. Quel courage il a eu et à quel point on s’est moqué de lui.

Pourquoi Paul VI est tellement sous-estimé ? Il a vécu dans une période dominée par de terribles idéologies, ce que je ne souhaite à personne. Lorsqu’il a publié Populorum progressio, le président de la Banque Mondiale Robert McNamara déclara qu’un Pape communiste n’avait pas le droit à être aidé, c’est pourquoi il a coupé les fonds aux missions.

Un Pape communiste : c’est la même accusation qu’on adresse aujourd’hui à François. Paul VI était haï. Ni les Américains ni les Soviétiques ne pouvaient aimer le Pape des pauvres et de la paix. En Italie, le libéralisme radical qui avait en main de nombreux journaux (et je crois qu’il les a encore) a contrecarré cet homme trop limpide. Et la « fumée de Satan », la confusion à l’intérieur de l’Église : à cette époque, dix mille prêtres ont quitté l’habit.

Paul VI ne craignait-il pas trop de blesser la sensibilité des autres ? Une des objections qui ont été soulevées pendant le procès de béatification a été qu’il n’était ni assez fort ni assez prudent, mais il a été aussi clair que le cristal : un mystique très respectueux des personnes, mais tout aussi ferme quand elles allaient à l’encontre de la communion. Les hommes durs, froids, aussi tenacement attachés à leurs idées au point de ne pas accepter le dialogue, il les mettait de côté. Il a baisé les pieds du métropolite orthodoxe Méliton, il a supplié à genoux les Brigades Rouges (dans sa lettre leur demandant la libération du chef du gouvernement italien Aldo Moro, enlevé puis tué en 1978, ndt) comme devant l’évêque traditionaliste Lefebvre, mais quand celui-ci a insisté dans son erreur, il est intervenu parce que « vous déchirez la communion de l’Église ». Paul VI a dialogué jusqu’au bout sans céder d’un millimètre. Un homme pareil dérange ; mais nous aussi, en tant qu’Église, nous nous sommes laissés enivrer par les sirènes qui chantaient à cette époque-là.