« Voici ce que nous dirons au synode »

Riyadh et sa femme Sanaa viennent d’Irak. Ils interviendront au synode pour témoigner de la beauté d’une vie chrétienne, même quand il y a la guerre, même quand les amis s'enfuient et que le front du terrorisme se rapproche.
Luca Fiore

À un certain point les eaux du Tigre, le grand fleuve qui traverse Bagdad, forment une grande boucle qui embrasse une langue de terre appelée Karrada. C’est dans ce beau quartier de la capitale que se trouve le siège de l’université, conçue dans les années cinquante par Walter Gropius, le fameux architecte allemand du Bauhaus. C’est une zone qui a toujours été considérée comme un modèle de convivence entre chrétiens et musulmans. Tout du moins jusqu’à ce que la tempête de la guerre et du fondamentalisme ravage la ville. C’est là qu’habitent Riyadh et Sanaa Azzo, un des douze couples mariés invités au synode extraordinaire sur la famille. Avec eux il y aura la famille As Zamberline du Brésil, les Botolo du Congo, les Campos des Philippines, ainsi que les Conway d’Afrique du Sud, les Gatsinga du Rwanda et les Heinzen des États-Unis. Les pères synodaux parleront de questions qui concernent surtout les couples comme eux, la famille. Et eux apporteront leurs histoires, leurs vies, leurs visages.

LE CHEMIN DE LA BEAUTÉ. Les Azzo par exemple témoigneront de leurs 38 années de mariage. Ils ont deux fils et sont deux fois grand-parents. Une vie ordinaire vécue durant les années les plus terribles pour leur pays. Leur histoire n’a rien de particulier ; elle est faite de gestes quotidiens modelés par une foi simple et sincère. En les écoutant, en les voyant parler, on a l’impression que c’est un beau couple. Et, comme l’indique aussi l’Instrumentum laboris de ce synode, la via pulchritudinis, le chemin de la beauté, est justement la voie royale de la pastorale familiale. Une voie qui, selon Evangelii gaudium, est « la voie du témoignage plein d’attraction de la famille vécue à la lumière de l’évangile ».
« Nous nous sommes rencontrés il y a 44 ans à l’université – raconte Riyadh. Je faisais des études d’ingénieur mécanicien, et Sanaa des études en pharmacie ». C’était une époque merveilleuse à Bagdad : les étudiants faisaient la fête tous ensemble, passaient les après-midi dans le parc, fréquentaient la paroisse ou la mosquée. Les jeunes grandissaient ensemble et le cauchemar du fondamentalisme islamique était loin. « Nous nous sommes mariés en 1975, après deux années de fiançailles. Puis notre premier fils est arrivé, Nayce, suivi quelque temps plus tard de Zyad ».

LA VIE À KARRADA. « Nous avons vécu ensemble des années magnifiques, quoique difficiles – raconte Sanaa. Riyadh était un combattant lors de la guerre contre l’Iran, et je restais seule à la maison avec les enfants. Toutefois notre mariage s’est fortifié grâce à la foi et à l’attachement à la vie paroissiale ». Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la vie des chrétiens à Karrada se passait dans une ambiance cordiale au milieu d’amis, de familles et de collègues musulmans. Riyadh et Sanaa se rappellent le temps où ils étaient régulièrement invités chez des amis pour célébrer les fêtes musulmanes. Et il était normal de recevoir les vœux d’amis musulmans pour Noël ou pour Pâques. « Il y a certes des différences d’usages et de mode de vie – poursuit-elle – mais c’étaient des amis, nous nous aimions ». Aujourd’hui, tout a changé. Non pas à cause de divisions sectaires qui auraient rompu les liens d’amitié (leurs amis étaient des gens modérés nous disent-ils), mais parce que la plupart de leurs amis ne sont plus là. Beaucoup d’entre eux, parmi lesquels des musulmans, ont fui à l’étranger.

Mais de quelles différences Sanaa parle-t-elle ? De quel mode de vie ? À mesure que le temps passe, une différence en particulier émerge : Ryiadh et Sanaa continuent de s’aimer. « Le fait que pour nous ce lien du mariage dure pour toujours est un témoignage vis-à-vis des musulmans - explique-t-elle. Le divorce est pour eux chose normale, prévue par leur religion. Et ces dernières années je me suis aperçue que notre amour était non seulement important pour nous – évidemment – mais aussi pour eux. Ils nous ont regardés et ont vu quelque chose qu’au fond ils voudraient eux aussi ». Riyadh poursuit : « Pendant toutes ces années, ils ont vu le sacrifice réciproque, la confiance mutuelle. Vivre, comme dit la Bible, comme un seul corps et une seule âme. Chez nous aussi, les désirs individualistes l’emportent souvent dans les familles. Mais le mariage chrétien que nous sommes appelés à vivre est tout autre chose. Et les gens s’en rendent compte ».
Le père Albert Hisham est le jeune curé de la cathédrale chaldéenne Saint-Joseph, l’église que les Azzo fréquentent depuis de nombreuses années. Il est arrivé il y a un peu plus de six mois et a immédiatement remarqué que ce couple était une présence.
« Ils sont très attentifs aux familles pauvres à qui ils viennent en aide – explique le père Albert. Ils n’ont pas peur de s’approcher des personnes en difficulté, de ceux qui ont perdu un parent ou un enfant. Ce sont vraiment des gens de foi ». Quand je demande à Sanaa ce qu’elle dira à Rome, elle répond avec simplicité : « Je parlerai de ma gratitude pour ces 38 années de mariage. Je dirai que ce qui soutient notre famille c’est notre amour, et que notre amour est soutenu par la foi. Nous sommes conscients d’avoir contribué à la vie de notre pays à travers notre travail, à travers l’éducation de nos enfants, à travers l’amitié pour les gens. Et c’est la raison pour laquelle nous voulons rester ». Une vie normale, rien d’héroïque : un sourire derrière le comptoir de la pharmacie, le sérieux et la fiabilité dans le travail… Cela peut sembler banal, mais les musulmans reconnaissent aux chrétiens une propension prononcée à la sincérité. « S’ils ont besoin de quelqu’un à qui faire confiance, ils s’adressent à nous », sourit Riyadh. Et Sanaa d’ajouter : « La confiance réciproque qui existe chez les couples chrétiens est souvent enviée par les musulmans ».

« NOUS SOMMES ENCORE LÀ ». Mais être mari et femme, père et mère, dans une ville comme Bagdad, a voulu dire aussi affronter les bombardements de la première guerre du Golfe et le chaos qui a suivi la mort de Saddam Hussein. « Quand j’étais jeune je pouvais aller sans peur dans n’importe quel quartier de la ville – explique Sanaa. Aujourd’hui, je dois faire attention à ma façon de me vêtir, et je ne peux plus me rendre dans certains quartiers sans mettre ma vie en danger ». Un rosaire est accroché au rétroviseur de sa voiture. Ça aussi c’est un petit signe d’un témoignage qui dit : « nous sommes encore là ». Car le grand défi aujourd’hui pour les habitants de Bagdad est de rester. Et ce n’est pas un hasard si le patriarcat chaldéen a transformé le séminaire (qui a été transféré à Erbil dans le Kurdistan pour des motifs de sécurité) en appartements pour jeunes couples. « Dans notre paroisse, onze mariages ont été célébrés en 2013. Il y a quinze ans, il y en avait plus de cent chaque année – explique Riyadh. Et ce n’est pas uniquement parce que les gens ont fui. Les jeunes cherchent d’abord une opportunité à l’étranger. La question de fonder une famille ne vient qu’après ». Sanaa nous dit que leur fils, Zyad, a dû fuir lui aussi. « C’était en 2007 quand les rafles ont commencé à Bagdad. Comme il est médecin et que les islamistes cherchaient surtout des professionnels confirmés, nous étions vraiment effrayés ». Riyadh a travaillé pendant 28 ans pour le gouvernement, mais aujourd’hui il travaille en tant que manager dans une grande entreprise de construction où travaillent des milliers de personnes. Les divisions sectaires dans le pays – notamment entre sunnites et chiites – créent de nombreuses tensions jusque sur le lieu de travail : « Maintenant je dois faire très attention aux décisions que je prends. Quand je travaillais pour l’état, j’étais plus protégé. Aujourd’hui, un ouvrier pourrait me menacer et demander aux membres de sa propre tribu de lui faire “justice”. Parce que ce sont les tribus qui contrôlent le pays maintenant, et plus le gouvernement. Aujourd’hui, on peut risquer sa vie juste en appliquant les consignes de son entreprise. Et moi je ne peux pas faire appel à la protection de tel ou tel parti, parce que tous les partis sont islamiques ».

Qu’est-ce qui l’aide à vivre au milieu de ces tensions quotidiennes ? « Je prie tous les jours avec ma femme, je lis la bible pour me donner du courage. J’aime répéter les paroles du psaume 120 : “Le Seigneur te gardera, au départ et au retour, maintenant, à jamais.” »

En attendant leur arrivée à Rome, Sanaa lit l’Instrumentum laboris. « Ce document parle beaucoup de la crise de la famille, des difficultés que rencontrent ceux qui voient leur mariage échouer. Au Moyen-Orient, les problèmes familiaux sont moins liés à ce phénomène. Peut-être se prépare-t-on mieux ou choisit-on mieux son partenaire. Ou bien croit-on plus à la valeur du sacrement. On verra ce qui émergera de la discussion au synode, mais je crois comprendre que le défi est de trouver des voies pour mieux insérer les couples séparés et divorcés dans la vie de l’Église. » Pendant qu’elle se prépare au synode, elle pense à ce qui est en train de se passer au nord de l’Irak, à ces quelques couples de Mossoul avec qui elle a assisté à la rencontre mondiale de la famille à Milan en 2012. Dans leur paroisse, ils récoltent des produits de base et de l’argent qu’ils expédient aux camps de réfugiés du Kurdistan comme signe de soutien de la part des chrétiens. Ce qui se passe conditionne nécessairement son jugement sur le thème du synode. « Ce qui divise aujourd’hui la famille chez nous, c’est la guerre. Souvent ce sont le mari et la femme qui quittent le pays, tandis que les enfants restent ici. Je ne crois pas que la famille doive être séparée, surtout quand les enfants sont petits ».

UN MESSAGE. Le souvenir des années passées à attendre Riyadh, seule à Bagdad avec leurs enfants Nayce et Zyad, est très vivant. Mais il y a aussi le souvenir d’autres moments de difficultés, de peur et de souffrance. En septembre encore il y a eu des attaques terroristes même à Bagdad, dans un quartier non loin de Karrada. Mais pour Sanaa « ce qui nous aide le plus c’est notre amour et notre foi. Je sais que je peux compter sur mon Seigneur à n’importe quel moment. Je pense que dans ce qui est en train de se produire, il y a un message. C’est comme si Dieu voulait nous dire quelque chose. Qui sait, peut-être nous prépare-t-Il quelque chose de meilleur. Mais il faudra sans doute encore du temps. Moi j’essaye d’apprendre, de comprendre. Et, en attendant, j’essaie de garder les yeux ouverts ».