Nous voulons être prêts

Des jeunes du CLU de Nairobi, venant de différentes universités, se sont retrouvés pour affronter le choc de l'attaque de l'université de Garissa, mais aussi la grande nouveauté qu’ils ont rencontrée dans la vie
Paolo Perego

Ils se sont retrouvés le lundi de Pâques pour le déjeuner, les yeux encore pleins de ce qui était arrivé quatre jours plus tôt sur le campus universitaire de Garissa, dans l’est du Kenya, non loin de la frontière somalienne : 148 morts dans l’attaque terroriste des fondamentalistes islamiques de Al-Shabbaab. C’est un groupe de jeunes du CLU de Nairobi, venant de différentes universités. Ils se sont retrouvés pour affronter le choc et la peur, mais aussi la grande nouveauté qu’ils ont rencontrée dans la vie.

Daisy et Eunice, étudiantes en génie à l’Université Jomo Kenyatta de Nairobi racontent ce repas durant lequel ils ont partagé leurs réflexions. « Vingt-deux jeunes de Garissa, chrétiens protestants, ont été tués pendant qu'ils priaient. Ils avaient entendu les coups de feu, mais ils n’ont pas arrêté de prier. Cela nous a tous beaucoup marqués. Nous aurions très bien pu être à leur place ». Et ce n’est pas du fatalisme : « Ici, la vie est déjà précaire à la base, pas seulement à cause du terrorisme » explique don Gabriele, missionnaire de la Fraternité San Carlo, qui suit les jeunes avec Simon Kingori.

De plus, il y a maintenant la peur des attaques contre les chrétiens. Un étudiant avec un capuchon sur la tête est entré dans une bibliothèque et les jeunes se sont enfuis par les fenêtres. Il est arrivé aussi qu’un générateur électrique explose à l’université, et certains étudiants se sont jetés du sixième étage. « C’est quotidien. Ce qui s’est passé à Garissa, cela pourrait m’arriver à moi », explique Daisy. « Peut-être que la première réaction est celle de penser à comment se mettre à l’abri. Mais on comprend que le problème n’est pas là. Nous avons beaucoup discuté sur WhatsApp avec nos camarades. Certains ont parlé de stratégie, de ce qu’il fallait faire pour limiter le nombre de morts en cas d’attaque : « Allons tous à leur rencontre et seuls ceux qui sont devant mourront » a écrit un jeune musulman. Moi, j’ai écrit ce qui était important pour moi, c’est-à-dire que je ne me donne pas ma vie. Et à cause de cela, puisque quelqu'un me la donne à chaque instant, elle est précieuse. Il peut arriver beaucoup de choses, et on peut même mourir dans un attentat au centre commercial ou à l’université. Le risque est réel ! C’est pourquoi je vis plus intensément. Comme nous l’avons dit lors de ce repas, nous voulons être prêts ». Ils ont tous ce souci de vivre, « mais ils ne pensent pas tous à la valeur de la vie elle-même. Seuls quelques-uns, en privé, m’ont écrit pour me remercier ».

Il est évident qu’ils ont tous peur, mais il n’y a pourtant ni rage, ni rancœur dans les paroles de Daisy. Ni dans celles d’Eunice : « Après les événements de Paris, une amie nous avait rappelé l’invitation du Pape à prier pour la conversion des terroristes. Eh bien, aujourd'hui, je désire que ces terroristes puissent rencontrer ce que j’ai rencontré. Mais comment pouvons-nous leur montrer que le Christ est la réponse ? Seulement en vivant ». C’est un jugement qui avait également été formulé lors de ce repas, en relisant l’article de Julián Carrón sur Paris, sur la beauté désarmée qui vainc la violence. On peut penser à diverses stratégies, ou bien apprendre le Coran en arabe pour essayer de se sauver s’ils nous mettaient à l’épreuve… « Mais cela ne m’intéresse pas » dit encore Eunice. « Si cela m’arrivait, je veux me présenter devant Dieu comme une chrétienne, jusqu'au fond. Loyale avec l’expérience que je suis en train de vivre. Et je demande au Christ d’avoir vraiment la capacité d’affronter toutes les circonstances, de me convertir. Si ce n’est pas vrai pour moi, que puis-je communiquer ? Je ne crois pas que ma tâche soit de hurler « Jésus Christ » à tout le monde, en faisant des sermons… Ma tâche est de vivre ma vie sérieusement, chaque jour, avec joie, parce que le Christ est avec moi. Personne ne peut donner à l'autre ce qu'il n'a pas ».